Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde - En 2050, la France pourrait compter 4 millions de personnes de plus de 60 ans en perte d’autonomie

Juillet 2019, par Info santé sécu social

Selon l’Insee, les seniors en perte de capacités, aujourd’hui près de 2,5 millions, vont augmenter de plus de 60 % par rapport au recensement de 2015.

Par Béatrice Jérôme Publié le 26 juillet 2019

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30,2 % des individus de 75 ans ou plus sont en perte d’autonomie, contre 6,6 % des individus âgés de 60 à 74 ans.
Un chiffre électrochoc. En 2050, la France comptera près de 4 millions de personnes de plus de 60 ans qui ne pourront plus se lever ou faire leur toilette seules, préparer ou prendre un repas sans dépendre d’autrui, ou bien qui, pour une part, seront sujettes à des altérations de la mémoire. L’Insee, dans une étude publiée jeudi 25 juillet, établit que les seniors en perte d’autonomie, qui sont aujourd’hui près de 2,5 millions, vont augmenter de plus de 60 % par rapport au dernier recensement de 2015.

L’estimation frappe d’abord par l’ampleur de la hausse. Elle ébranle ensuite parce qu’elle est deux fois plus élevée que la statistique qui fait foi dans les rapports officiels et qui figure dans les documents du ministère de la santé et des solidarités. Les acteurs publics ont eu jusqu’ici pour seule référence la projection de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui prévoit que les personnes en perte d’autonomie seront 2,2 millions en 2050, contre près d’1,3 million aujourd’hui.

L’étude de l’Insee, coélaborée avec la Drees et rendue publique jeudi, laisse entrevoir un complet changement d’échelle. La part des seniors en perte de capacités physiques ou cognitives passerait ainsi de 3,7 % en 2015 à 5,4 % de la population totale en 2050. L’institut statistique module cette explosion démographique par département. Leur proportion augmenterait le plus sensiblement dans le Gard, les Hautes-Alpes, l’Ardèche. En revanche, elle resterait stable dans les Hauts-de-Seine. La croissance des plus dépendants serait globalement plus manifeste à partir de 2027, quand la génération des baby-boomers, nés dans les années 1950, passera le cap des 75 ans.

Dans son rapport rendu en mars à Agnès Buzyn après la concertation nationale « grand âge et autonomie » orchestrée par la ministre de la santé, Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, a intégré les données de la Drees et non pas celles récentes de l’Insee. Le rapport indique que « la hausse annuelle du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie devrait doubler entre aujourd’hui et 2030, passant de 20 000 à 40 000 par an. Leur nombre s’élèverait à 2 235 000 en 2050, contre 1 265 000 en 2015 ».

L’écart varie du simple au double entre l’étude de l’Insee et le rapport Libault. Difficile de conclure, pour autant, que les deux chiffres se contredisent.

Des critères administratifs
En effet, l’étude de la Drees à laquelle se réfère le rapport Libault prend pour base de référence le nombre des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Un point de départ restrictif, car toutes les personnes âgées dépendantes ne bénéficient pas de cette aide. Les raisons de ce non-recours sont multiples : elles ne connaissent pas l’existence de l’APA ; elles y renoncent parce que leurs revenus élevés ne leur donnent droit qu’à un niveau d’allocation modique ou bien parce que leur entourage familial les aide. Enfin, à domicile, l’APA est allouée après une visite des équipes médico-sociales des départements qui décident ou non de l’attribuer en fonction de plusieurs critères, dont l’état de santé de la personne. La projection de la Drees retient donc des critères administratifs.

L’Insee a travaillé sur une autre base. Elle s’est fondée sur deux enquêtes épidémiologiques réalisées sur la base de questionnaires établis en 2014 et 2015 par les plus de 60 ans interrogés sur leur autonomie dans les actions du quotidien. « Quand le rapport Libault a été élaboré, l’Insee n’avait pas réalisé les projections pour 2050 à partir de ces données déclaratives », explique Delphine Roy, chef du bureau handicap et dépendance à la Drees.

De fait, l’étude de l’Insee met pour la première fois en évidence une réalité jamais démontrée jusqu’ici : un senior sur deux en perte d’autonomie ne serait pas attributaire de l’APA.

Pour autant, rien ne permet de dire à ce stade que le petit pavé dans la mare statistique que constitue l’étude de l’Insee ébranle l’échafaudage financier que le gouvernement cherche à assembler à partir du schéma livré par le rapport Libault. « Cela ne changera rien aux projections financières si le ratio entre bénéficiaires de l’APA et population totale des seniors en perte d’autonomie reste le même entre aujourd’hui et 2030, voire 2050 », réfute Delphine Roy, coauteure de l’étude.

« Les besoins sont considérables »
Le rapport Libault préconise 175 mesures dont il évalue le coût à 9,2 milliards d’euros entre 2018 et 2030. Or, dans ce total, figurent 4,3 milliards au titre de l’évolution démographique fondée sur la seule évolution du nombre d’allocataires de l’APA. Faudra-t-il revoir à la hausse l’évolution naturelle des dépenses à la lumière des projections de l’Insee ?

Déjà les langues des acteurs du secteur, qui jusqu’à présent s’étaient gardés de remettre en cause la trajectoire financière du rapport Libault, se délient. « On a applaudi le rapport Libault parce qu’il a eu le premier le courage de reconnaître l’ampleur des besoins, confie Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). Mais on savait, avant même la publication de l’étude de l’Insee, que les besoins estimés par le rapport étaient sous-cotés. C’est une évidence pour les professionnels que nous sommes ! » Aujourd’hui, l’APA coûte près de 6 milliards d’euros. Un quasi-doublement des bénéficiaires en 2050, comme le prévoit le rapport Libault, entraînera une hausse supérieure à 9,2 milliards d’euros, explique-t-elle.

comment trouver 9 milliards d’euros pour financer la réforme de la dépendance
Le rapport Libault préconise une rallonge financière de 550 millions d’euros d’ici à 2024 pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile, afin de revaloriser les salaires des professionnels. « C’est notoirement insuffisant pour un secteur aussi sinistré », assène Mme Arnaiz-Maumé. « Les besoins sont considérables. Ce qu’il faut désormais c’est s’atteler au financement de ces mesures, un financement progressif mais d’ampleur inédite », prévient Olivier Véran, député La République en marche de l’Isère et rapporteur de la commission des affaires sociales.

Avec d’autres députés macronistes, il tente d’obtenir de Bercy que le gouvernement « réduise le rythme du remboursement de la dette sociale [le « trou » de la Sécurité sociale] actuellement plus rapide que nécessaire au vu de nos engagements », assure M. Véran. Il en va de la capacité de dégager « des marges pour financer au premier chef la dépendance ». Mais s’agissant des arbitrages financiers en cours en vue du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, on se montre plus que prudent au cabinet d’Agnès Buzyn. « Réponse fin août, pas avant », temporise l’entourage de la ministre.