Afrique

Le Monde - Etats, ménages, secteur privé : qui doit financer les soins en Afrique ?

Septembre 2019, par Info santé sécu social

CARNET DE SANTÉ. Au niveau mondial, le continent concentre 16 % de la population mais seulement 1 % des dépenses médicales.

Agathe Dahyot / Le Monde
En 2030, l’Afrique aura tourné la page. Les épidémies de sida et de tuberculose, le paludisme et les maladies tropicales négligées auront cédé le pas. Il n’y aura plus qu’à « permettre à tous de vivre en bonne santé et de promouvoir le bien-être de tous à tout âge »… Il ne s’agit pas d’un rêve éveillé mais bien d’un des Objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations unies et que les Etats membres de l’Union africaine (UA) se sont engagés, début 2019, à tenter de remplir. Le chemin est encore long…

Alors que la campagne de renflouement du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme bat son plein avant la réunion internationale du 9 octobre à Lyon, ce scénario reste encore une lointaine utopie. Le paludisme est en recrudescence, de nombreux cas de tuberculose multirésistante sont diagnostiqués ici et là sur le continent, et les difficultés de dépistage du sida mais aussi le manque d’infrastructures de base, d’équipements et de personnel qualifié freinent les avancées.

Les familles mettent la main à la poche

En février, lors d’une réunion à Addis-Abeba (Ethiopie) consacrée à l’investissement dans la santé et à laquelle participaient dirigeants africains, partenaires internationaux et représentants du secteur privé, les premiers se sont engagés à augmenter leurs dépenses publiques afin de rendre plus performants leurs systèmes de soins. Mais l’effort est lourd et cette initiative a comme un air de déjà-vu, puisqu’ils avaient déjà pris cet engagement au début du millénaire, au Nigeria, sans y parvenir. Dans la déclaration d’Abuja de 2001, ils avaient promis de consacrer au moins 15 % de leur budget annuel à ce secteur d’ici à 2015. Dix-huit ans plus tard, seuls trois pays honorent cette promesse, selon le département des affaires sociales de la Commission de l’UA : l’Ethiopie, la Guinée et le Malawi.

« Si vous comparez les budgets au moment de l’adoption de la déclaration d’Abuja et ceux d’aujourd’hui, vous verrez qu’aucun pays n’a stagné ou diminué son budget. Il y a eu des progrès », défend Amira Elfadil, commissaire aux affaires sociales de l’organisation panafricaine. Si la plupart des Etats africains ont bien augmenté la proportion de leurs dépenses publiques et si le niveau moyen des dépenses de santé par habitant a plus que doublé entre le début des années 2000 et 2014, passant d’environ 70 à 160 dollars, le financement public reste largement insuffisant.

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En 2015, l’Afrique ne représentait toujours que 1 % des dépenses mondiales consacrées aux soins de santé. Un chiffre ridicule pour un continent qui accueille 16 % de la population du globe. Or « les résultats médiocres en matière d’éducation et de santé compromettent les perspectives de croissance soutenue et de réduction de la pauvreté », déplore Olumide Okunola, expert à la Société financière internationale (IFC, filiale de la Banque mondiale dévolue au secteur privé).

Quand l’Etat ne règle pas la facture, ce sont les ménages qui mettent la main à la poche. La moyenne des dépenses personnelles de santé est passée de 15 dollars par habitant en 1995 à 38 dollars en 2014, selon un rapport de la Banque mondiale. Mais cela a des conséquences. Chaque année, ces dépenses médicales familiales font tomber 11 millions d’Africains dans la pauvreté, alors qu’un investissement étatique de 30 dollars par personne dans ce secteur pourrait générer 100 milliards de dollars de gains économiques au bout de cinq ans, selon l’UA.

« La richesse du continent ne réside pas dans ses ressources naturelles, mais dans son capital humain », abonde Joyce Nganga, responsable des politiques et du plaidoyer chez WACI Health, une organisation régionale basée à Nairobi (Kenya). Pour elle, il est urgent que les Etats africains passent enfin « de l’engagement à l’action » s’ils veulent que la couverture santé universelle devienne un horizon possible.

Un marché de 35 milliards de dollars par an

Faudrait-il alors rendre plus contraignant l’engagement des gouvernements d’investir davantage dans la santé ? « Les mécanismes restrictifs ne fonctionneraient pas » auprès des Etats membres de l’UA, tranche la commissaire Amira Elfadil. Elle estime que la solution se trouve plutôt dans la responsabilisation et le plaidoyer et que la force de l’UA n’est pas de punir mais de « réunir les plus hautes volontés politiques en Afrique ».

Et d’y ajouter de l’argent privé. Le soutien financier, technique et stratégique des entreprises commerciales et sociales est à ses yeux nécessaire pour améliorer les services de santé, tout en permettant de profiter des opportunités immenses offertes par ce marché estimé à environ 35 milliards de dollars par an par le cabinet de conseil McKinsey. « Le secteur privé pourrait être engagé dans une stratégie gagnant-gagnant : en fournissant des services, en construisant des hôpitaux, en fabriquant des médicaments… », poursuit Amira Elfadil. De quoi faire faire des économies aux Etats, puisque l’importation de médicaments coûte aujourd’hui 14 milliards de dollars par an au continent.

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Mais d’après Angela Muathe, de WACI Health, la participation du secteur privé ne doit pas non plus éclipser le rôle des gouvernements nationaux, à qui revient la responsabilité première d’offrir des soins de qualité. Une meilleure mobilisation des ressources nationales est donc indispensable. Imposition, assurance maladie, taxes sur les télécommunications, l’alcool ou le tabac sont autant de pistes prometteuses.

Une meilleure gestion financière est aussi indispensable, notamment pour que ces ressources essentielles pour améliorer la santé des populations ne soient pas détournées. « La société civile a un rôle clé à jouer pour articuler les priorités, signaler les dysfonctionnements, mais aussi avoir un œil sur l’utilisation des ressources », conclut Allison Kelley, directrice de la Plateforme africaine collaborative pour des solutions de financement de la santé, un projet de cinq ans financé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid).

Car respecter l’engagement financier des 15 % n’a finalement que très peu de valeur si la transparence et l’obligation des gouvernements de rendre des comptes ne sont pas renforcées.