Le droit à la santé et à la vie

Le Monde - IVG, diabète, cancer… ces intox sur la santé qui polluent Google

Octobre 2016, par Info santé sécu social

L’amendement destiné à sanctionner les sites anti-IVG a remis, depuis le 28 septembre, au centre du débat la question de la circulation sur Internet des fausses informations sur la santé.

Par Laura Motet

C’est devenu un réflexe pour de nombreux internautes : dès que le moindre doute s’installe sur leur état de santé, une recherche sur Internet s’impose. Selon Google, près de 1 % des requêtes reçues concerne d’ailleurs des mots-clés médicaux. Cette pratique n’a pas échappé aux groupes d’intérêt, qui ont adapté leurs stratégies de communication pour influencer l’internaute.

La stratégie de communication la plus utilisée, tous acteurs confondus, est de présenter des points de vue orientés comme des sites contenant des informations neutres, pour leur donner une certaine légitimité.

Une fois ces contenus produits, il faut s’assurer qu’ils arrivent en bonne place sur la page de résultats de Google. Le moyen le plus rapide d’y parvenir est de sponsoriser son site. Ce dernier apparaîtra alors au-dessus des résultats de la recherche, avec le libellé « Annonce ».

Comme les anti-IVG, les industriels de l’agroalimentaire choisissent régulièrement la stratégie de la mise en avant payante de leurs contenus. Une recherche croisée sur leurs produits et un mot-clé relatif à la santé (« santé », « information », « cancer », etc.) entraîne pratiquement systématiquement l’apparition de leurs sites d’« information » parmi les liens sponsorisés.

Une recherche sur les liens entre aspartame et diabète renvoie vers un lien sponsorisé par un industriel de l’agroalimentaire.

Mais il est également possible de jouir d’une bonne visibilité sans avoir de grandes ressources financières. Pour apparaître en bonne position dans la page de résultats liée à une requête les concernant, il faut par exemple publier régulièrement de nouveaux contenus. Une technique que les sites tentant de dissuader les femmes d’avorter emploient beaucoup.

C’est dans ce contexte que le 28 septembre, Laurence Rossignol annonçait qu’un « délit d’entrave numérique » serait ajouté au projet de loi égalité et citoyenneté. L’objectif : étendre à Internet le délit d’entrave à l’accès à l’information sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) créé en 2014. Si l’amendement a été refusé par le Sénat le lendemain pour des raisons techniques, il devrait faire son retour dans une autre loi dans les mois à venir.

Depuis le début de 2016, les nombreux témoignages régulièrement publiés sur le site ivg.net lui ont permis de devancer de nouveau le site officiel ivg.gouv.fr, peu animé au quotidien, dans les résultats non sponsorisés. Le site, d’apparence neutre, est en fait animé par l’association baptisée SOS-Détresse et un certain René Sentis, par ailleurs auteur d’ouvrages chrétiens sur l’amour et la fécondité.

Le site « pro-vie » ivg.net apparaît dans les liens sponsorisés de Google concernant l’avortement. Les modes d’action des « pro-vie » ont en effet évolué, et une « nouvelle génération » utilise désormais volontiers le Web ou les réseaux sociaux. Les sites anti-avortement jouent principalement sur la fibre émotionnelle de l’internaute en mettant en avant des témoignages. Certains donnent systématiquement la parole aux femmes ayant choisi de garder l’enfant, comme testpositif.com, dont le webmaster est Emile Duport, le leader du mouvement anti-IVG Les Survivants. Mais la plupart préfèrent mettre en avant des témoignages autour du « traumatisme postavortement ».

Non, l’avortement n’est pas à l’origine de troubles mentaux

CE QUE IVG.NET AFFIRME

Sur les sites anti-IVG, nombreux sont les témoignages autour du « traumatisme post-avortement ». Morceau choisi du site ivg.net :

« Je suis tombée enceinte en septembre 2010 à 16 ans après seulement sept mois de relation avec mon copain. Le jour de l’avortement a été pour moi l’expérience la plus atroce que j’aie pu vivre jusqu’à maintenant, autant physiquement que moralement. Après ça, j’ai fait une dépression pendant un an qui m’a causé un syndrome psychosomatique. »

POURQUOI C’EST TROMPEUR

Le docteur Laurence Esterle, directrice de recherche au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), s’est penchée sur les nombreuses études concernant les troubles mentaux et l’avortement : « Au bout du compte, les deux seuls articles qui font preuve d’une bonne ou très bonne méthodologie montrent que l’IVG n’augmente pas le risque de développer des troubles mentaux si on prend en compte les antécédents de troubles mentaux. »

La stratégie de la mise en doute

« Créer le doute sur les coûts sanitaires, sans pour autant les nier » : telle était la stratégie de l’industrie du tabac dévoilée par le Tobacco Institute en 1972.

Une stratégie de contenu que les industriels de l’agroalimentaire ont reprise à leur compte. Rarement complètement faux, mais jouant sur la focale des études ou des données contradictoires, les faits mis en avant par les industriels peuvent souvent se résumer par « le débat scientifique reste ouvert ». Une affirmation du Centre d’études et de documentation du sucre (Cedus), au sujet du lien entre prise de poids et consommation de boissons sucrées.

Dans un article intitulé « Le sucre fait-il grossir ? », l’organisation des producteurs de sucre (Centre d’études et de documentation du sucre) affirme :

« Il n’y a pas de recommandation précise concernant la part que doivent représenter les glucides simples (sucres) pour ne pas pénaliser les produits laitiers ou les fruits, mais les glucides complexes (féculents notamment) doivent être privilégiés. »

POURQUOI C’EST FAUX

En mars 2015, l’Organisation mondiale de la santé publiait un communiqué établissant des recommandations claires au sujet du sucre.

« [L’OMS] recommande de ramener l’apport en sucres libres à moins de 10 % de la ration énergétique totale chez l’adulte et l’enfant. Il serait encore meilleur pour la santé de réduire l’apport en sucres à moins de 5 % de la ration énergétique totale. »

Les « sucres libres » évoqués par l’OMS regroupent les sucres de type glucose, fructose, saccharose ou sucre de table « ajoutés aux aliments et aux boissons par le fabricant, le cuisinier ou le consommateur, ainsi que les sucres naturellement présents dans le miel, les sirops, les jus de fruits et les jus de fruits à base de concentré ».

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Charcuterie et cancer : les industriels jouent sur les modalités de l’étude de l’OMS

Ce qu’affirme INFO-NITRITES.FR

Lancé à l’initiative de la Fédération française des industriels charcutiers, traiteurs, transformateurs de viande (FICT), le site info-nitrites.fr affirme « La consommation quotidienne de charcuteries en France est nettement inférieure aux 50 g de référence de l’IARC [Centre international de recherche sur le cancer, organisme rattraché à l’Organisation mondiale de la santé]. En effet, les Français adultes consomment en moyenne 36 g de charcuteries par jour » (source : étude individuelle nationale sur les consommations alimentaires, INCA).

POURQUOI C’EST INCOMPLET

La FICT tend à faire croire qu’il n’y a pas de problème avec la consommation de charcuterie en France en ne citant que la consommation moyenne de charcuterie en France. Or, d’après cette même étude, près d’un quart des Français consommeraient plus de 50 g de charcuteries par jour, soit le seuil à partir duquel la charcuterie est classée comme « cancérigène certain » par l’IARC.

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Aspartame et diabète, les scientifiques renvoyés dos à dos

Ce qu’affirme ASPARTAME-INFORMATION.FR

L’aspartame est un additif alimentaire très utilisé dans les produits allégés.

Parmi les liens sponsorisés liés à la recherche « diabète et aspartame » apparait le site aspartame-information.fr, propriété de l’un des leaders japonais de l’agroalimentaire, Ajinomoto Co. Le lien mène vers la page d’accueil, sans lien avec notre requête sur le diabète.

Une recherche sur le site nous mène à une page consacrée à « l’alerte inopportune et non corroborée sur l’aspartame ». Un médecin affirme qu’« il n’a pas été démontré que l’aspartame pouvait être de quelque façon que ce soit dangereux pour les diabétiques. »

POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ

Si l’EFSA (European Food Safety Authority) affirme effectivement que « l’aspartame et ses produits de dégradation sont sûrs pour la population générale (y compris les nourrissons, les enfants et les femmes enceintes) », des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) contestent ce résultat. Selon l’Inserm, « l’analyse confirme une relation entre boissons sucrées et diabète de type 2 et révèle pour la première fois en France, que contrairement aux idées reçues, le risque de diabète est plus élevé lorsqu’il s’agit de boissons “light” que de boissons sucrées “normales” »

En faisant nos recherches sur les problématiques de santé publique, nous avons comptabilisé bien moins de sites émanant d’organismes officiels parmi les liens sponsorisés que de sites émanant de groupes d’intérêts. Seul l’Institut national du cancer a une politique de sponsorisation systématique de ses contenus.

Plus étonnant encore, malgré l’interdiction de la sponsorisation d’« annonces relatives à l’avortement » dans les règles en matière de publicité sur Google, les sites « pro-vie », comme ivg.net ou ecouteivg.org, apparaissent régulièrement dans les liens sponsorisés. Une présence qui tranche avec celle, plus sporadique, des sites d’associations défendant le droit à l’avortement (ivglesadresses.org, planning-familial.org, choisirsacontraception.fr).

La question de l’IVG illustre le positionnement difficile du moteur de recherche, qui vit de la publicité et doit en même temps promouvoir des informations fiables pour garder la confiance de ses utilisateurs. En juin, la firme américaine a d’ailleurs décidé d’afficher des encadrés informatifs validés par des professionnels de santé pour les sujets médicaux les plus recherchés aux Etats-Unis. En France, le programme Google Ad Grants sert pour l’instant cet objectif de fiabilité, en offrant aux associations éligibles, telles que le Planning familial, un crédit de publicité. Interrogé sur le sujet, Google déclare « restreindre la promotion des produits liés à la santé et s’occuper de supprimer les publicités qui contreviennent aux lois locales ».

Laura Motet
Journaliste au Monde