La santé au travail. Les accidents de travail et maladies professionnelles

Le Monde - La sécurité, angle mort du travail intérimaire

Mars 2016, par Info santé sécu social

2015, année noire chez ArcelorMitall. Entre avril et septembre, trois salariés sont décédés chez l’aciériste, dont deux à Dunkerque, un site classé Seveso seuil haut. Ces derniers étaient des intérimaires, l’un ayant été recruté par un sous-traitant. Celui-ci, âgé de 21 ans, a été écrasé entre deux wagons au cours d’une opération de déchargement. L’autre, 40 ans, est tombé dans une rigole de fonte en fusion. Le même accident a touché un intérimaire en septembre 2015 à l’usine du groupe de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).
Cette situation dramatique a conduit la société d’intérim Randstad à retirer, le 30 octobre, 28 de ses intérimaires de l’usine de Dunkerque, le temps que leurs postes soient « mis au niveau de sécurité attendu », a indiqué cette société d’intérim. Mais certains se sont réinscrits dans une autre société d’intérim pour pouvoir retravailler à l’usine…

Les intérimaires forment, globalement, une population plus vulnérable face aux risques professionnels que l’ensemble des salariés. Selon les données de l’Assurance-maladie, l’indice de fréquence des accidents était en effet, en 2014, de 46,5 pour 1 000 salariés de l’intérim, contre 33,4 tous salariés confondus. Quant aux décès, l’intérim représente proportionnellement, en 2014, le double de l’ensemble des travailleurs, avec 32 morts (pour 774 000 intérimaires), contre 539 (sur 18,6 millions de salariés). S’ajoutent 32 autres décès d’intérimaires dans des accidents de trajet.

Pour Pascal Jacquetin, directeur adjoint de la branche risques professionnels à l’Assurance-maladie, les intérimaires sont soumis au régime de la double peine avec « un nombre d’accidents ayant entraîné au moins un jour d’arrêt de travail qui évolue plus vite que le nombre d’intérimaires au travail. »En 2014, la hausse du nombre d’intérimaires était de 1,2 %, celle du nombre d’accidents les concernant de 3,1 %.

Des intérimaires insuffisamment formés

Dès lors, faut-il craindre une augmentation des accidents et des décès au travail avec la hausse de 4 % de l’intérim en 2015, passée en janvier 2016 à 5,6 % ? « Il n’y a pas de risque que cela survienne », affirme François Roux, délégué général de Prism’emploi, le syndicat des professionnels de l’intérim et du recrutement. Le nombre de décès et d’accidents diminue depuis 2012, fait il valoir. Heureusement, car 2011 avait été catastrophique en tout point, avec 50 décès au travail et 45 373 accidents du travail (35 975 en 2014) chez les intérimaires, d’après l’Assurance maladie. « Le taux de fréquence des accidents du travail est sur une tendance longue à la baisse grâce aux mesures de prévention », souligne encore M. Roux. A l’inverse, pour Alain Wagmann, secrétaire de l’Union syndicale de l’intérim CGT (USI), « il paraît logique que le regain de l’intérim en 2015 se traduise par plus d’accidents et de morts car nous ne percevons pas d’éléments nouveaux en termes de prévention. On assiste à une externalisation des risques par les entreprises utilisatrices. »

Chez ArcelorMittal Dunkerque, la CGT dénonce ce qu’elle considère comme une politique de management et de prévention à deux vitesses : « On confie des missions aux intérimaires alors que la validation de leurs compétences n’est pas correctement faite. » Jean-Paul Bussi, délégué national CGT chez Randstat, souligne que, dans l’usine, « les fondeurs bénéficient de 8 semaines de formation, les intérimaires, sur les mêmes métiers, n’en ont que 35 heures. »Ces derniers n’auraient pas non plus les mêmes équipements de protection individuels. « C’est faux, dément la direction d’ArcelorMitall France. Intérim ou pas, nous ne faisons aucune différence en termes de sécurité. » Depuis ces accidents, ajoute-telle, « des mesures de renforcement de la sécurité ont été prises. »
Une expertise externe, limitée au secteur fonte, va être engagée, portant sur le management de la sécurité et la politique de prévention des risques professionnels, demandée par le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Cette mission devra aussi « poser un diagnostic sur le recours à l’intérim et sur les moyens mis en oeuvre pour assurer la validation des compétences requises, et l’expérience nécessaire pour assurer le poste de travail en sécurité. »

« Le sale boulot »

Globalement, tout concourt à ce que les intérimaires se retrouvent en première ligne. « La constante de toutes les enquêtes sur les accidents du travail est que les précaires sont les plus exposés à des situations à risques, observe François Desriaux, rédacteur en chef de la revue Santé et Travail. On les fait venir pour le sale boulot que les autres ne veulent pas faire. Cela arrange tout le monde. » Appelés dans l’urgence, les intérimaires travaillent souvent sous pression. « Ils doivent être opérationnels rapidement mais ne connaissent pas l’entreprise. Ils ne savent pas à qui demander de l’aide et bien souvent les salariés permanents n’en ont rien à faire des intérimaires », témoigne Marie Pascual, médecin du travail qui a beaucoup travaillé sur cette question.

La formation est également un point faible. « Le défaut de formation sécurité est ce que l’on retrouve principalement dans les enquêtes sur les décès et les accidents du travail chez les intérimaires, relève Gérald Le Corre, inspecteur du travail et militant CGT. Le code du travail contient beaucoup de textes dans ce domaine, mais ces articles ne donnent pas toujours lieu à des circulaires d’application. » Quant à la formation sécurité renforcée pour occuper des postes qualifiés à risques, « elle ne dispose pas de référentiels comme pour les travailleurs de l’amiante. »

Formation ou information ?

Pour M. Le Corre, il y a aussi confusion, dans les entreprises, entre formation et information. « En général, est organisée une session d’accueil sécurité puis l’intérimaire est mis en doublon avec un salarié permanent, voire avec un intérimaire
un peu plus compétent. Et comme il y a des impératifs de production, les dysfonctionnements ne sont pas analysés », déplore-t-il.

La précarité du statut pousse l’intérimaire à exécuter toutes les tâches demandées
par l’entreprise utilisatrice, même celles qui lui paraissent dangereuses, dans l’espoir d’être reconduit. « S’il rencontre un problème, il ira voir son chef une fois, deux fois, et s’il ne s’en sort pas, il ne sera pas repris, observe M. Le Corre. Alors à un moment, il prend des risques. » Comme cet ouvrier en mission dans une petite société du bâtiment en région parisienne, mort en août 2014 à la suite d’une chute de 12 mètres. « Il devait poser des éléments sur un toit, raconte Marie-Odile Bonnet, secrétaire CGT du CHSCT chez Manpower Ile-de- France. Il est monté à l’échelle, il avait un harnais mais pas de possibilité de l’accrocher. Son chef de chantier a dit qu’il avait vu qu’il avait peur. Mais il l’a laissé monter ! »
Dans certains cas, les intérimaires sont utilisés comme des bouche-trous, mis au départ sur un poste précis puis sur un autre pour lequel ils ne sont ni missionnés,
ni formés. « Il n’est pas interdit de changer un intérimaire de poste au : cours d’une mission, indique M. Roux. C’est la vraie vie. Ce qui est critiquable, en revanche, c’est lorsque, sans prévenir l’agence d’intérim, l’intérimaire va d’un poste ordinaire à un poste à risque. » Ou à un poste nécessitant d’autres compétences qu’il n’a pas forcément.

« Fabien ne disait jamais non »

Un changement qu’à vécu Fabien Adonis, mort au travail le 19 décembre 2012 à l’âge de 25 ans. Il travaillait alors comme intérimaire dans une entreprise de logistique à Val Bréon (Seine-et-Marne). Sa mère, Annick Goupil, raconte qu’« on lui faisait faire tous les postes. » Il avait obtenu le certificat d’aptitude à la conduite d’engins en sécurité (Caces) niveau 1. Or, sur le poste de cariste qu’il a occupé en dernier lieu, « le niveau 3 était nécessaire », selon Mme Bonnet. L’accident serait survenu alors qu’il chargeait, seul, d’énormes bidons sur la remorque d’un camion à quai. Une barre métallique du véhicule serait tombée au sol, qu’il aurait percutée. Le choc l’aurait projeté sur les manettes de l’engin qui se seraient enfoncées dans son thorax. « Il est mort d’un arrêt cardiaque, précise Mme Bonnet. Fabien n’aurait jamais dû être seul pour faire ce travail. » Son frère avait lui aussi travaillé en intérim pour le même logisticien. « On lui demandait des choses qu’il n’avait pas à faire, il a été viré, raconte Mme Goupil. Fabien, lui, a continué. Comme il avait des crédits à payer, il ne disait jamais non. »

Et puis il y a des morts sans nom, sans visage. Le 30 juillet 2015, sur un chantier de la société Sade (filiale de Volia), situé à Clichy, un intérimaire de Manpower est mort, semble-t-il, des suites d’un malaise. C’était un sans-papiers,qui travaillait sous alias. « La direction de Manpower nous a caché ce décès, qu’elle n’a pas déclaré comme accident du travail », dénonce Mme Bonnet. Le CHSCT ne l’a appris qu’en octobre. De son côté, La Sade affirme avoir informé immédiatement son propre CHSCT et Manpower. La confédération CGT a recherché sa famille afin qu’elle puisse percevoir les droits auxquels elle pouvait prétendre. Il s’appelait Mamadou Traoré. Sollicitée, la direction de Manpower ne nous a pas répondu.