Le droit à la santé et à la vie

Le Monde - Moquée par le SAMU, une jeune Strasbourgeoise meurt peu après

Mai 2018, par Info santé sécu social

LE MONDE | 08.05.2018 | Par Anne-Sophie Faivre Le Cadre

Un ambulancier du SAMU des Hospices civils de Strasbourg, le 31 décembre 2001.
Que s’est-il passé le 29 décembre 2017 à Strasbourg ? Un enregistrement audio troublant a été publié il y a plusieurs jours sur le site d’information local alsacien Heb’di. On y entend une jeune femme qui contacte le SAMU pour des douleurs et recevoir moqueries et hostilité de la part des répondantes. Un document dont l’authenticité a été confirmée par l’hôpital qui a pris en charge la patiente.
La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a réagi mardi sur Twitter en faisant part de son « indignation ». Elle « demande une enquête de I’IGAS sur ces graves dysfonctionnements. Je m’engage à ce que sa famille obtienne toutes les informations. » La ministre ajoute qu’une réunion se tiendra à ce sujet « dans les jours qui viennent au ministère ».

Sur l’enregistrement, une opératrice soupire : « La dame que j’ai au bout du fil, elle a appelé la police. » « C’est parce qu’elle a la grippe, c’est ça ? », répond l’autre. « Elle m’a dit qu’elle va mourir. Et ça s’entend, qu’elle va mourir. » Des rires gras ponctuent la discussion.

Au bout du fil, une autre voix, exsangue, peine à mettre des mots sur sa douleur. Naomi Musenga, une jeune Strasbourgeoise, tente de décrire ses maux. « Si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche », la tance l’opératrice d’une voix agacée. « J’ai très mal. Je vais mourir », souffle la jeune femme. « Oui, vous allez mourir un jour, comme tout le monde, O.K. ? Vous appelez SOS Médecins, je ne peux pas le faire à votre place », conclut sèchement son interlocutrice.

« Tout est vrai »
Naomi Musenga est morte quelques heures plus tard. Elle avait 22 ans, elle était mère d’une petite fille. Après avoir réussi à appeler SOS Médecins au terme de cinq heures d’attente, elle a été transportée, encore consciente, à l’hôpital par le SAMU. Elle a fait deux arrêts cardiaques, a été transférée en réanimation et est morte à 17 h 30, le 29 décembre 2017.

Selon le rapport d’autopsie, que nous nous sommes procuré, Naomi Musenga a succombé des suites d’une « défaillance multiviscérale sur choc hémorragique », c’est-à-dire que plusieurs organes s’étaient arrêtés de fonctionner, un syndrome pouvant résulter de facteurs variés. L’autopsie du corps a été pratiquée le 3 janvier – soit cent douze heures après la mort de la jeune femme. Elle rapporte que le corps de Naomi Musenga était alors en « état de putréfaction avancée multiviscérale ». Il est pour l’heure impossible de savoir si ce défaut de prise en charge initial a aggravé ou non sa situation.

« Cela paraît tellement gros mais, pourtant, tout est vrai », lâche, dans un soupir, Thierry Hans. Directeur de la publication du site Heb’di, « le lanceur d’alerte alsacien », qui a révélé l’affaire, il a été contacté par la famille Musenga peu de temps après la mort de la jeune femme. Aucun autre média local ne s’est fait l’écho de ces faits.

« Une enquête est en cours. On ne dira rien de plus »
L’hôpital de Strasbourg confirme que l’enregistrement du SAMU est authentique, mais il se refuse à tout commentaire supplémentaire. « On a fait un communiqué de presse, une enquête est en cours. On ne dira rien de plus », dit l’établissement. En onze lignes, ce texte succinct présente les condoléances de l’hôpital à la famille et annonce qu’une enquête administrative a été ouverte le 3 mai – soit six jours après la publication de l’enquête d’Heb’di, et cinq mois après la mort de Naomi Musenga.

La voix de Louange Musenga tremble. Cinq mois après la mort de sa sœur, la jeune Strasbourgeoise se souvient des interminables semaines d’attente de l’enregistrement comme d’une épreuve supplémentaire dans le deuil de la famille. « L’hôpital a fait traîner. On ne l’a eu qu’au bout de trois semaines », nous confie-t-elle.

Le père de Naomi Musenga l’écoute en premier. Puis sa mère. « J’avais peur d’entendre cet enregistrement. Depuis que ma mère l’avait écouté, elle ne dormait plus, elle tremblait, elle pleurait sans cesse. A chaque fois qu’on l’écoutait, on avait l’impression d’entendre Naomi mourir une seconde fois. »

La famille prend alors la décision de le publier pour que jamais ne se reproduise le drame de la jeune femme. « Naomi était une fille brillante, forte, courageuse. Elle rêvait de reprendre ses études, elle élevait seule sa fille. On ne comprend pas comment elle a pu mourir en une journée », souffle sa sœur.

Travers structurel
Pour le vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, Patrick Hertgen, le drame vécu par Naomi résulte autant d’une faute professionnelle de la part des deux interlocutrices de la jeune femme que d’un travers structurel propre à l’organisation morcelée des plates-formes d’appel :

« Le fait que Naomi n’a pu parler à aucun médecin est une anomalie, qui n’est hélas pas exceptionnelle. Sapeurs-pompiers et SAMU doivent pouvoir mieux travailler ensemble et perfectionner leurs procédures de traitement des appels afin qu’un tel drame ne se reproduise plus. »
Le docteur Patrick Pelloux, président de l’association des médecins urgentistes de France, ainsi que le docteur François Braun, président de SAMU-Urgences de France, ont publié le 8 mai un communiqué appelant à la tenue d’un rendez-vous immédiat avec la ministre de la santé pour « améliorer la régulation médicale afin qu’un tel drame ne se reproduise pas ».

Aucune enquête judiciaire n’a pour l’instant été ouverte sur les circonstances de la mort de Naomi Musenga. Noëlle Heymann, cheffe de cabinet du procureur de la Républiqueà Strasbourg, précise cependant qu’un courrier émanant de la famille de Mme Musenga vient d’être réceptionné par le parquet de Strasbourg. Celle-ci sollicite l’ouverture d’une enquête sur les causes de la mort de la jeune femme.

Mise à jour le 8 mai à 20 heures : la citation de Patrick Hertgen a été modifiée à sa demande.

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