L’exécutif ne veut pas renoncer à sa réforme-phare, mais le chantier est périlleux à mener avant 2022
Depuis le début de l’été, le président de la République et le premier ministre le répètent comme un mantra : la réforme des retraites sera relancée avant la fin de la législature actuelle. « C’est un engagement d’Emmanuel Macron de 2017 », souligne-t-on à Matignon, en affichant clairement l’objectif : « Que la loi puisse être promulguée dans le présent quinquennat. » « Nous devons construire ce changement », a encore martelé, le 8 octobre, Jean Castex, à l’occasion d’un discours prononcé pour le 75e anniversaire de la Sécurité sociale.
Mais quel sera le contenu du texte ? Reprendra-t-il celui qui avait été adopté, début mars, avec l’aide du 49.3, avant d’être mis entre parenthèses à cause de l’épidémie de Covid-19 ? A quel moment la procédure législative sera-t-elle réenclenchée ? « Toute la difficulté est là », observe Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio et spécialiste des questions sociales. « Je serais étonné qu’il ne se passe rien, complète un conseiller de l’ère Hollande. Mais je ne vois pas ce qu’ils peuvent faire. Le chemin est très escarpé. »
Le pouvoir en place se retrouve dans une nasse dont la porte de sortie s’avère introuvable, à ce stade. Il ne veut pas renoncer à un projet, qui matérialise l’ambition transformatrice du macronisme, le but étant d’instaurer un système universel en abolissant, au passage, les régimes spéciaux de pensions et en cherchant à améliorer le sort de certaines catégories de population (femmes, agriculteurs…). Mais, à l’approche de la présidentielle de 2022, un tel chantier est politiquement périlleux car il suscite des craintes et des oppositions, comme l’a montré la longue grève à la RATP et à la SNCF, fin 2019 début 2020.
Rouvrir les discussions
Quoi qu’il en soit, le thème devrait figurer à l’ordre du jour de la conférence du dialogue social organisée le 26 octobre à Matignon, avec les organisations d’employeurs et de salariés. Les échanges s’annoncent tendus, puisque syndicats et patronat ont clairement indiqué que l’urgence n’était pas là, à court terme, et qu’il fallait se concentrer sur l’emploi, dans un contexte où la récession fait rage. « Je ne vois pas comment ils peuvent redémarrer quelque chose de concret d’ici la fin du quinquennat, juge Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT – une organisation pourtant acquise au principe d’un système universel mais pas dans la version proposée par l’exécutif. On n’a pas le temps de reprendre le débat par le bon bout. » A ses yeux, « il n’y a plus de chemin démocratique » :« On ne va pas recréer des conflits dans la période. » Numéro un de FO – une centrale hostile depuis le départ à la réforme –, Yves Veyrier continue de réclamer son « abandon pur et simple ».
L’idée de rouvrir les discussions divise, au sein même du gouvernement et de la majorité. « La priorité, c’est de lutter contre la crise sanitaire et pour la relance. On ne va pas réformer les retraites en même temps ! », s’agace un ministre. « Sur la suppression des régimes spéciaux, les droits des femmes, il y a une attente très forte. Je pense qu’on peut embarquer le plus grand nombre sur ces sujets », considère, au contraire, l’un de ses collègues. « Il faut qu’on soit dans quelque chose de pacifié, de positif », insiste un membre du gouvernement, en rappelant qu’il y a dans cette affaire des « enjeux politiques de crédibilité » : en d’autres termes, le pouvoir ne doit pas être accusé de manquer de volonté réformatrice.
Député La République en marche (LRM) du Val-de-Marne et rapporteur général de la réforme, Guillaume Gouffier-Cha y croit dur comme fer. « Nous avons été élus sur cet engagement : fonder un système universel de retraites, rappelle-t-il. Ça se fera durant la mandature, nous n’avons pas changé de discours. » Le parlementaire tient d’autant plus à ce projet qu’il correspond, selon lui, à une « attente » de l’opinion. Subsistent les questions du « quoi » et du « comment », qui ne sont « pas encore tranchées », reconnaît-il : elles le seront, après concertation avec les partenaires sociaux.
Co-rapporteur du projet de loi, le député MoDem de la Vienne, Nicolas Turquois, reste, lui aussi, « convaincu de l’intérêt de cette réforme », en particulier pour les personnes qui perçoivent des petites pensions. « Après, s’agissant de l’opportunité politique de remettre le sujet sur l’ouvrage, ça se décide plus haut », poursuit-il. Une députée LRM, pourtant en première ligne sur le dossier, confie avoir « zéro information sur la reprise du projet de loi ». « On ne sait absolument rien, on n’a pas eu de réunion. » Le flou règne, selon elle, sur les « conditions » dans lesquelles le chantier pourrait redémarrer. Un de ses collègues certifie, au contraire, que le gouvernement demande à des élus macronistes de l’Assemblée nationale de formuler des propositions. Démarche d’autant plus nécessaire, enchaîne-t-il, que « des caisses sont dans une situation financière complexe et que les Français se demandent si leurs pensions seront payées demain ».
C’est, en effet, l’autre dimension épineuse du sujet : l’équilibre comptable des régimes de retraite. Le ralentissement de l’activité économique a creusé les déficits, ramenant cette problématique au sommet de la pile des préoccupations gouvernementales. La question doit d’ailleurs être abordée, fin 2020 ou début 2021, avec les syndicats et le patronat dans le cadre d’une réflexion d’ensemble sur les moyens budgétaires à allouer à la protection sociale dans son ensemble.
Dans l’intervalle, le Conseil d’orientation des retraites (COR) va présenter, jeudi 15 octobre, à la demande du premier ministre, un « point d’étape » sur la situation financière du système, avant de rendre son rapport annuel en novembre. En juin, cette même instance avait indiqué que les caisses de retraites, prises dans leur globalité, pourraient plonger dans le rouge à hauteur de 29,4 milliards d’euros en 2020. Si les nouvelles projections du COR confirment cette dégradation – ce qui paraît très vraisemblable –, elles vont conforter tous ceux qui, au sommet de l’Etat, plaident en faveur d’une mesure d’âge pour réaliser des économies : par exemple en allongeant la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une pension à taux plein. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, est d’ailleurs partisan de solutions de ce type : le 1er octobre, devant le Club de l’économie du Monde, il déclarait ainsi qu’ « on ne peut garantir un système parmi les plus généreux au monde sans aucun effort en matière de travail ».
« Se faire hara-kiri »
Là encore, il semble que les opinions ne soient pas unanimes au sein de l’exécutif. « On crame des milliards par mois depuis le début de la crise, on n’en est plus à savoir si on va cramer dix milliards dans vingt ans ! », évacue un ministre. « Il serait assez paradoxal, alors que nous sommes mobilisés sur la défense de l’emploi, de demander aux personnes de travailler plus longtemps. Ça serait assez cacophonique », ajoute un de ses collègues.
Pour Cendra Motin, députée LRM de l’Isère, un tel débat est prématuré. « Nous ne sommes pas à la fin de la crise, loin de là, donc on va avoir du mal à avoir une vision à long terme sur laquelle avancer, remarque-t-elle. Sans chiffres stabilisés, difficile de prendre des décisions structurelles sur la durée de cotisation ou l’âge de départ. » C’est même « impossible, tant que nous sommes dans une situation sanitaire critique, qu’une partie de la population est en chômage partiel, que des entreprises sont à l’arrêt », avait d’ailleurs affirmé, le 5 octobre dans Le Figaro, l’économiste Antoine Bozio, souvent présenté comme l’un des inspirateurs de la réforme. Mais la question se reposera « très vite », « dès que nous serons sortis de cette crise », avait-il complété, car, selon lui, « pour maintenir le niveau des retraites, il faut que l’âge de départ augmente progressivement pour tout le monde ».
L’exécutif en a bien conscience. « Il est de notre responsabilité de ne pas fermer les yeux », assène ainsi un proche de M. Castex. Ce dernier attend le rapport annuel du COR avant de se déterminer. Dans les couloirs du pouvoir, la perspective d’un relèvement pur et simple de l’âge de départ à la retraite n’est plus taboue – alors que le candidat Macron avait promis en 2017 de ne pas y toucher. « On va y venir, estime un proche du chef de l’Etat. Il faudra faire des économies. Il faut transformer et maîtriser la dépense publique. » « Il faudra tenir compte de la situation conjoncturelle, tempère-t-on à Matignon. Si le chômage est extrêmement fort début 2021, il serait absurde et contracyclique de faire une mesure d’âge [en obligeant les assurés à se maintenir plus longtemps sur le marché du travail]. Il faut voir la période de mise en place. » Selon son entourage, le premier ministre ne s’attend pas à parvenir à un consensus sur les économies à réaliser afin d’assainir les comptes.
D’autant qu’une telle mesure, à quelques mois de la présidentielle, n’est pas sans danger. « C’est une bonne façon de se faire hara-kiri, lâche un responsable syndical. Leur problème, c’est qu’aucune des manettes n’est efficace à si court terme. Vous avez l’inconvénient de la mesure paramétrique sans avoir rétabli les comptes en 2022. Si c’était leur intention, il aurait fallu le faire cet automne avec le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. »
En attendant, le calendrier parlementaire promet d’être serré. « Nous allons avoir la loi autonomie, le séparatisme, les mesures de la convention citoyenne pour le climat, le retour de la loi bioéthique… », énumère une cadre de la majorité, qui ironise : « Faire les retraites à l’automne 2021, c’est un bon coup d’envoi de campagne présidentielle ! » Ne rien entreprendre, c’est prendre le risque d’être taxé d’immobilisme. Entre les deux maux, il faudra choisir.
par Raphaëlle Besse Desmoulières, Bertrand Bissuel Et Olivier Faye