Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde - Sauver la psychiatrie publique

Septembre 2019, par Info santé sécu social

Editorial.
Les remèdes proposés par le ministère de la santé ne sont pas à la hauteur de la crise du secteur. Un redéploiement des moyens hors de l’hôpital et un vigoureux effort de formation sont indispensables.

Le constat n’est pas neuf, il n’en est que plus alarmant : la psychiatrie publique est au bord de l’implosion. « L’hôpital psychiatrique tel qu’il existe en France peut-il encore soigner les malades ? », s’interrogent les députées Caroline Fiat (LFI) et Martine Wonner (LRM) dans un rapport présenté mercredi 18 septembre.

Malades inégalement pris en charge, soignants en souffrance, structures saturées, un diagnostic comparable avait été posé dès janvier 2018 par la ministre de la santé, Agnès Buzyn, à la suite de mouvements de grève durs dans plusieurs établissements. « Je ne suis qu’un garde-fou », se plaignait alors dans Le Monde un infirmier, estimant ne plus avoir les moyens de soigner.

Parent pauvre et isolé des structures de santé, la psychiatrie sert trop souvent de variable d’ajustement dans le budget des hôpitaux. En même temps, le délitement ou la disparition des centres médico-psychologiques (CMP), chargés localement du premier accueil, renvoient vers l’hôpital, souvent via les urgences, des patients qui n’en aurait pas besoin s’ils avaient été pris en charge plus tôt. D’un côté on supprime des lits, de l’autre les malades affluent.

Dans les années 1960, la création des secteurs, dont les CMP sont le premier maillon, avait constitué une avancée historique. Tournant le dos à la psychiatrie asilaire et aux pratiques d’enfermement de l’avant-guerre, elle avait permis de développer sur tout le territoire une prise en charge hors les murs, et systématisé le lien entre soins et prise en charge sociale. Cette sectorisation est jugée « en échec » par le rapport parlementaire, qui compare le parcours de soins à « un labyrinthe », facteur de malaise et d’inégalités.

L’offre de soins doit être repensée en fonction des patients et non en référence à des structures, estiment les rapporteuses. Elles proposent de « sortir la psychiatrie de l’hôpital » en « redéployant 80 % » du personnel vers la ville « à l’horizon 2030 » à travers un développement des pratiques ambulatoires et des équipes mobiles, un développement des dispositifs médico-sociaux extrahospitaliers. Afin d’assurer la cohérence, une Agence nationale de la santé mentale devrait être créée, sur le modèle de l’Institut national du cancer.

Aggiornamento nécessaire
Bizarrement, les deux députées qui signent le rapport ne disent pas un mot des mesures annoncées par la ministre de la santé en 2018. Comme elle l’a fait récemment à l’égard des médecins urgentistes, Mme Buzyn a eu le mérite de reconnaître la réalité du malaise des acteurs de la psychiatrie publique. Mais les remèdes qu’elle a proposés – préservation des budgets hospitaliers, révision des tarifs, promotion des bonnes pratiques – ne sont pas à la hauteur de la crise.

Manifestement, la révolution qu’avait constituée la sectorisation pour en finir avec la psychiatrie répressive a atteint ses limites et nécessite un aggiornamento. Si des réouvertures de lits paraissent nécessaires à court terme pour apaiser les tensions, l’indispensable réorganisation passe par un redéploiement des moyens hors de l’hôpital et par un vigoureux effort de formation.

La psychiatrie n’est pas la médecine « des autres ». En France, une personne sur cinq souffre d’un trouble psychique au cours de sa vie. La précarisation des modes de vie, la fragilisation des structures familiales ont fait exploser la demande. Sortir la maladie mentale de la stigmatisation, rendre leur dignité aux patients et aux soignants n’est pas seulement une nécessité sanitaire, c’est une exigence de justice sociale.