L’hôpital

Le Monde - « Tri des patients », « perte de chance »… Un collectif alerte sur la situation « catastrophique » en pédiatrie

Octobre 2021, par Info santé sécu social

La situation est d’autant plus « grave » pour Christophe Marguet, chef de service au CHU de Rouen, que « l’hôpital public est le seul recours en médecine pédiatrique ».

Le Collectif inter-hôpitaux (CIH) sonne l’alarme. « Des enfants en situation d’urgence ne peuvent plus être pris en charge par les services compétents », a dénoncé cette organisation de soignants, jeudi 28 octobre.

« Les difficultés que nous rencontrons actuellement sont totalement inédites », a déclaré Oanez Ackermann, du service d’hépatologie pédiatrique du centre hospitalo-universitaire (CHU) Bicêtre (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), dont 10 lits sur 24 sont aujourd’hui fermés. « En ce mois d’octobre, nous n’avons pas pu accueillir cinq enfants en situation d’urgence vitale » et nous avons dû annuler « 25 hospitalisations programmées depuis plusieurs mois », a détaillé la pédiatre lors d’une conférence de presse organisée par le CIH et rediffusée sur YouTube.

« Perte de chance »
« C’est du tri », a affirmé Véronique Hentgen, pédiatre au centre hospitalier de Versailles, évoquant le report d’une chirurgie pour une infection ganglionnaire, la non-hospitalisation d’un enfant nécessitant un électroencéphalogramme pendant vingt-quatre heures, d’un autre souffrant de douleurs articulaires ou encore l’impossibilité de poser des pompes à insuline « car il n’y a plus de place d’hospitalisation ». « Nous sommes donc aujourd’hui à la croisée de deux chemins : soit le politique décide d’abandonner l’hôpital public, soit il prend enfin le problème à bras-le-corps et engage une réforme de fond (financement, recrutement, gouvernance) qui garantira un accès aux soins pour tous de qualité », a jugé Mme Hentgen.

La situation est d’autant plus « grave » pour Christophe Marguet, chef de service au CHU de Rouen, que « l’hôpital public est le seul recours en médecine pédiatrique ». « A terme, on constate une perte de chance pour l’enfant qui a besoin de soins, pour les parents confrontés à la maladie chronique, et un épuisement des soignants », a expliqué Isabelle Desguerre, chef du service de neuropédiatrie à l’hôpital Necker-

Enfants malades.

Elisabeth Ouss, pédopsychiatre au sein du même établissement, a fait état de « conditions inéthiques, suscitant une charge mentale, une responsabilité terrible, qui ne suscitent pas de vocations et contribuent à éloigner de l’hôpital de jeunes praticiens ». Laurent Rubinstein, infirmier aux urgences et en réanimation, dit arriver à l’hôpital « la boule au ventre car [les soignants] ne sav[ent] pas s’[ils sont] en nombre suffisant ».

Réponse de la ministre
Cette alerte a été relayée, dans la soirée, au Sénat, par la sénatrice Sylviane Noël (Les Républicains) à la ministre déléguée à l’autonomie, Brigitte Bourguignon.

« Sur la pédiatrie, c’est sûr, il y a des tensions, nous n’en disconvenons pas », a reconnu la ministre, au banc du gouvernement pour l’examen du projet de loi portant « diverses dispositions de vigilance sanitaire ».

« Mais il n’y a pas de tri, notamment dans les urgences », a affirmé Mme Bourguignon, ajoutant qu’« il est hors de question de ne pas prendre un enfant en urgence vitale ».

Le cri d’alarme du collectif intervient alors qu’une épidémie de bronchiolite fait rage en France. En métropole, toutes les régions sont en phase épidémique, à l’exception de la Bretagne et la Corse, qui sont en phase préépidémique. Lors de la semaine du 18 octobre, 3 342 enfants de moins de 2 ans ont été vus aux urgences pour une bronchiolite, dont un tiers (1 138) a ensuite dû être hospitalisé. Dans les deux cas, 9 sur 10 avaient moins de 1 an.

Arrivée « plus précocement » cette année, celle-ci « met en difficulté » les services pédiatriques de l’hôpital Necker, à Paris, explique le professeur Sylvain Renolleau, chef du service de réanimation pédiatrique. « Nous ne pouvons pas ouvrir toute notre capacité d’accueil, que ce soit en soins critiques, en pédiatrie générale ou dans les autres spécialités », ajoute-t-il.

Courante et très contagieuse, la bronchiolite provoque chez les bébés une toux et une respiration difficile, rapide et sifflante. La plupart du temps bénigne, elle peut toutefois nécessiter un passage aux urgences, voire une hospitalisation.

Fermeture de plus de 5 700 lits à l’hôpital
Cette conférence de presse intervient également au lendemain d’un entretien publié dans Libération, dans lequel le ministre de la santé, Olivier Véran, a esquissé les raisons de la fermeture de plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète en 2020 (« faute de soignants, faute surtout de pouvoir en recruter »).

Outre le manque de personnel, le ministre de la santé notait une augmentation de l’absentéisme ainsi que des démissions. Résultat : « Dans seize CHU, [on constate] une hausse de près d’un tiers des postes vacants chez les paramédicaux par rapport à l’automne 2019. » Les nouveaux recrutements ne suffisent pas à compenser les besoins. Entre 2018 et 2021, un peu plus d’un millier d’étudiants infirmiers en formation ont « démissionné avant la fin de leurs études ».

Dans son avis du 5 octobre, le conseil scientifique faisait, lui, état d’« un pourcentage important de lits fermés, chiffré à environ 20 % », malgré un « recours déjà important et en augmentation aux heures supplémentaires et à l’intérim ».