L’hôpital

« Le Monde des lecteurs » - Pandémie : quel avenir pour notre système de santé ?

Juin 2020, par infosecusanté

« Le Monde des lecteurs » - Pandémie : quel avenir pour notre système de santé ?

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« il faut impérativement modifier d’une part les statuts professionnels de chacun, tellement ils sont assortis d’un nombre considérable de clauses qui ont pour principal effet d’interdire toute souplesse et toute innovation et d’autre part moderniser les règles de gestion des hôpitaux, en les simplifiant pour leur accorder une plus grande autonomie de gestion », affirme Joseph Pollini, médecin retraité ex-interne des Hôpitaux de Marseille.

Publié le 12 juin 2020

L’article de Guy Collet et Gérard Vincent, paru dans Le Monde daté du 24 avril 2020, a retenu toute mon attention, mais permettez-moi de faire part aux auteurs de cet article ainsi qu’à leurs lecteurs de quelques remarques et réflexions personnelles à ce sujet. La pandémie en cours et les réactions observées ont bien mis en relief, me semble-t-il, l’importance d’hôpitaux publics performants, toujours situés en première ligne quel que soit le péril sanitaire ou les catastrophes et, tout autant, la collaboration et la solidarité dont doivent faire preuve tous les professionnels, et ce quel que soit leur statut.

Je regrette tout d’abord que ces auteurs aient qualifié d’irresponsables et de « poncifs d’un autre âge » certains professionnels de santé du secteur public, dont sans doute les médecins opposés au maintien de la tarification à l’activité (T2A). Ces termes m’ont paru aussi injustes qu’excessifs, car je peux témoigner de l’existence, dans de nombreux cas, d’une bonne entente, même si elle n’est pas toujours totale et si des désaccords peuvent persister, entre la direction de l’hôpital et le corps médical.

Je désapprouve aussi un autre jugement, plutôt à l’emporte-pièce, affirmant que « les personnels motivés et engagés n’ont pas besoin d’être protégés par des statuts, qui ne confortent que les médiocres ». Je crois sincèrement qu’une telle caricature est aussi inutile qu’outrageante, même si elle n’est pas totalement dénuée de fondement.

Ceci étant dit, concernant l’article cité, j’approuve quasi totalement ce qui a été dit, en particulier sur le courage politique qu’il conviendrait d’avoir, enfin, pour contrer les corporatismes. Mais qui donc devrait faire preuve d’un tel courage ? Les « politiques » sont-ils seuls visés ? Ne s’agit-il pas plutôt de l’ensemble des acteurs : médecins, directeurs d’hôpitaux, personnel soignant comme administratif et technique, syndicats professionnels et bien sûr les citoyens, ces derniers choisissant leurs représentants !

Excellente me parait surtout l’idée, que personnellement je défends en vain depuis plus de quarante ans, de transformer notre système de santé en un seul « service public de santé ». C’est-à-dire, soyons clairs, en un service rassemblant tous les professionnels d’un même territoire, qu’ils travaillent en institution ou à titre libéral, dès lors qu’ils se déclareraient solidaires du service public de santé ainsi instauré.

J’emploie le conditionnel car l’article cité ne dit rien de ce que pourraient devenir, sur le plan de l’exercice professionnel, les médecins et les soignants qui refuseraient une telle réforme ! Doit-on imaginer pour eux la possibilité de leur déconventionnement total vis-à-vis des Caisses d’assurance maladie ou, à défaut, l’obligation pour chaque professionnel d’adhérer au nouveau système ? Et dans le domaine des revenus, l’idée d’un « financement mixte » des acteurs, « forfaitaire » pour la mission et « à l’activité ou à l’acte » pour rémunérer l’engagement des professionnels, me parait des plus intéressante.

Mais de tels changements ne seront pas facilement acceptés, n’en doutons pas, en raison de l’opposition inévitable de nombreuses corporations professionnelles et syndicales comme de tous ceux qui tirent des avantages de leur statut actuel, qui profitent des déséquilibres institués et, il faut bien le dire, des privilèges accordés, encore couverts par les lois en vigueur. Comment imaginer en effet que notre système de santé, dont nous Français paraissons si fiers, au point de nous gargariser si souvent de ses vertus tout en en soulignant sa prétendue merveilleuse complémentarité public-privé, pourrait être modifié sans heurts et sans l’opposition de ceux qui en bénéficient le plus ?

Une opposition farouche est en effet tout-à-fait prévisible de la part de ceux qui pourraient craindre ainsi la réduction de revenus très confortables, comme ceux que permet parfois d’obtenir le secteur libéral de la médecine, et d’autre part des acteurs de nos hôpitaux publics, voire des salariés du cadre associatif, en raison des avantages liés à leur statut, en termes de protection sociale et de stabilité des revenus ; du moins chez ceux qui sont devenus de véritables idolâtres de l’actuel service public hospitalier ou qui considèrent que de tels changements sont impossibles, voire dangereux et totalement utopiques !

Quant aux grandes libertés - d’installation, d’action et de prescription - si farouchement défendues, et ce de façon non nuancée par la majorité des syndicats médicaux, comme par le Conseil national de l’Ordre des médecins, mais aussi par quelques-uns de nos meilleurs professeurs de médecine, comment faire pour aboutir au consensus nécessaire ?

Mais revenons à cette fameuse « complémentarité ». Un très joli terme, et un mode de collaboration dont personne ne devrait pouvoir remettre en cause la valeur et le bien-fondé. Cependant, qui peut donc nier que cette belle idée peut aussi servir de prétexte à défendre et protéger, de façon parfois hypocrite à mon avis, une concurrence déloyale ? Pour preuve, l’existence d’une répartition déséquilibrée des tâches, qui d’ailleurs n’a cessé de croître. Ce mode de partage des tâches est souvent considéré, à tort à mon avis, comme le témoin d’une excellente collaboration entre deux secteurs complémentaires, public-privé.

En fait, ce compromis, qui est loin de faire consensus, est surtout favorable au développement du secteur libéral. La complémentarité, comme la collaboration et/ou la mutualisation des moyens, et plus encore la liberté d’exercice, ne sont-elles pas des valeurs qui exigent, surtout et toujours, pour être maintenues et demeurer opérantes, d’énormes efforts personnels, de solides convictions, une grande indépendance et un contrôle, toujours déplaisant mais bien sûr nécessaire, des autorités de tutelle et de l’Etat ? C’est ce que je crois.

C’est bien ce handicap, cette difficulté à instituer une véritable complémentarité qui ont pu être observés dans notre pays, avant bien sûr l’apparition de cette pandémie. L’hôpital public ayant surtout eu la charge, tout au long des quatre dernières décennies et jusqu’à présent, de la grande majorité les urgences des adultes et des enfants (réelles comme ressenties) 24 heures sur 24, des soins donnés aux personnes très âgées et/ou dépendantes, des polypathologies les plus lourdes et souvent les plus complexes et les plus coûteuses, des patients dits marginaux ou sans couverture sociale et des malades en fin de vie.

Ceci est une réalité, peu contestée d’ailleurs, même si certains établissements et hôpitaux privés en ont pris leur part, comme ils viennent de le faire d’une façon admirable, et le font encore, tout au long de cette pandémie qui a mis en relief le mode de coopération dont tous les acteurs sont capables. Ce dont tous nous nous réjouissons. En effet, et sans pour autant oublier la période qui a précédé, nul ne peut omettre de souligner la large mobilisation observée, en complément de celle des hôpitaux publics, de l’ensemble du secteur privé des soins, des médecins de ville et de campagne, des généralistes comme des spécialistes, ainsi que le dévouement et le rôle des pharmaciens, des laboratoires et des paramédicaux de tout ordre, face à la crise sanitaire actuelle. Au-delà de l’admiration et des éloges exprimés aujourd’hui par l’ensemble de la population, il conviendra, absolument, de ne pas l’oublier.

Le constat que je viens de faire, sur la réalité de notre « complémentarité public-privé » si spécifiquement française, certains le jugeront sans doute trop sévère. Mais, malgré les critiques exprimées et en raison de certains aspects positifs comme ceux mis en relief au cours de cette pandémie, il devrait être possible de rechercher et d’espérer pour notre système de soins, en n’excluant aucun de ses acteurs, des changements profonds afin de mettre en œuvre les améliorations qui s’imposent. La crise sanitaire actuelle a bien apporté la preuve que la rémunération et le statut de chaque professionnel n’ont pas été déterminants pour la mobilisation de tous dans le combat qu’il faut mener pour surmonter les difficultés rencontrées et protéger la vie.

Cela a été vrai, et reste vrai, pour l’ensemble du personnel impliqué : soignants ou non, pharmaciens, biologistes, administratifs, techniciens et, plus encore sans doute, le personnel accomplissant des tâches peu qualifiées ou agissant comme de simples manutentionnaires. Les témoignages de solidarité qui se sont exprimés depuis le début du conditionnement imposé par la Covid-19 nous laissent espérer que notre système de soins pourra être modifié afin d’être mieux adapté aux besoins de la population. Mais comment convaincre une large majorité de Français de l’intérêt et de l’impérieuse nécessité d’une telle réforme ? Comment obtenir l’adhésion des différents acteurs de notre système de santé et, plus largement, des citoyens et en priorité, sans doute, des politiques, des médecins, des directeurs d’hôpitaux, des cadres de santé, des syndicats professionnels et… du « monde de la finance » ?

Qui donc ignore encore le conservatisme rigide des différentes corporations, l’opposition tenace et la division des partis politiques, les fortes réticences d’organismes tels que bon nombre de syndicats médicaux, voire du Conseil national de l’Ordre des médecins ? Ce dernier, au-delà de son immense rôle protecteur des valeurs dites les plus « libérales » de la médecine, pourrait avoir une action bienfaisante et constructive en favorisant l’union des médecins sur des objectifs précis ainsi que leur participation, paisible et responsable, aux changements qu’il faudra bien faire. Et que sait-on enfin du point de vue des caisses d’assurance-maladie, en dehors des résultats de leurs enquêtes sur les pratiques professionnelles, en général non suivies d’effets ?

Il est vrai qu’il devient impératif d’améliorer et d’augmenter, sans tarder, les moyens financiers et le personnel dont disposent les hôpitaux publics. Mais cela n’est pas suffisant car il faut aussi, impérativement, modifier d’une part les statuts professionnels de chacun, tellement ils sont assortis d’un nombre considérable de clauses qui ont pour principal effet d’interdire toute souplesse et toute innovation, et d’autre part moderniser les règles de gestion des hôpitaux, en les simplifiant pour leur accorder une plus grande autonomie de gestion.

Quand donc et comment ce carcan administratif pourra-t-il être allégé ? Sa complexité et son volume actuel aboutissent à une dilution des responsabilités et constituent de véritables obstacles à toute prise de décision rapide. La principale raison est encore la constante obligation de tout faire remonter sur Paris, même via la direction des régions, dans notre Etat jacobin à l’excès. Et si les « médiocres » peuvent évoluer en toute « impunité », c’est aussi, il me semble, parce que les responsables des services et leur hiérarchie, n’osent pas toujours prendre les décisions qui s’imposent. Ils en ont le pouvoir mais le courage leur fait souvent défaut, le poids des règles administratives étant, là aussi, trop souvent rendu responsable !

Quant au modèle des structures de soins à but non lucratif, elles ont aussi ma préférence mais elles ne sont pas exemptes de défauts. Elles peuvent aussi dévier de leur mission. On a parlé récemment de l’île de La Réunion et d’un grave conflit qui serait, semble-t-il, en cours d’apaisement. J’ai aussi une certaine expérience, étalée sur plus de quarante années, du vécu comme de l’extension de ces structures, Par ailleurs, je pense également qu’il faut remettre en cause, et si possible bannir, le modèle des cliniques commerciales tel qu’il existe dans le privé. C’est pourtant ce modèle que certains politiques et technocrates, mais aussi des médecins, souhaiteraient voir se développer !

Le dernier point, qui m’a profondément étonné dans l’article cité et qui m’a fait réagir, est le fait que pour « sortir du débat mortifère public-privé », les auteurs, vu leur expérience hospitalière, n’ont fait aucune allusion à l’un des problèmes qu’il faudra bien un jour essayer de mettre à plat, celui de l’activité libérale lucrative des praticiens hospitaliers qui y ont recours, au sein de l’hôpital public, alors qu’il n’existe aucune limitation morale sur le montant des revenus ainsi escomptés. C’est pourtant ce type de mesure réglementaire que j’ai observé dès 1975, à l’étranger, dans un prestigieux hôpital universitaire où j’ai séjourné pendant un an, c’était au Québec ! Quelle solution pourrait-on enfin envisager pour mettre un terme à l’ampleur de ce type d’abus et, parallèlement, à celui des dépassements d’honoraires, parfois monstrueux, surtout si l’on s’engage à créer un véritable service public de santé, unique ? Ce point n’est pourtant pas sans liens avec le débat mortifère public-privé ouvert par les auteurs cités.

Il est bien sûr plus aisé de dire le pourquoi que le comment de ces réformes, et ce que je viens d’écrire en est aussi la preuve, mais c’est là ma contribution au débat !

Joseph Pollini, Avignon