Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : A Bangkok, les Thaïlandais réclament des vaccins et la démocratie

Août 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : A Bangkok, les Thaïlandais réclament des vaccins et la démocratie

La férocité de la troisième vague, qui a fait depuis avril 5 569 morts contre 94 les treize mois précédents, a pris de court le gouvernement dans sa stratégie de vaccination.

Par Bruno Philip

Publié le 09/08/2021

Des centaines de manifestants ont défilé, samedi 7 août, dans les rues de Bangkok malgré l’interdiction de se rassembler à plus de cinq personnes, pour protester contre une gestion de la vaccination perçue comme chaotique, et appeler à plus de démocratie.

Un an après le début d’un mouvement antisystème au cours duquel les campus universitaires avaient mené une fronde antigouvernementale et antimonarchique inédite, Bangkok a connu sa troisième manifestation depuis le 1er août. Brandissant des pancartes rouges au nom de Redem (pour « restart democracy », ou « relancer la démocratie »), les manifestants réclamaient la démission du premier ministre, Prayuth Chan-o-cha – parfois en des termes crus – et exigeaient davantage d’argent investi dans la santé et l’économie, plutôt que dans les armes et les dépenses somptuaires de la monarchie.

Les défilés ont donné lieu à des heurts, la police tirant avec des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes, alors que des manifestants armés de lance-pierres et de cocktails Molotov ont incendié un fourgon des forces de l’ordre.

Le cortège a fait, un temps, mine de se rendre vers le palais royal, mais il a changé de direction en dernière minute, car des conteneurs avaient été placés en travers de la route. Il s’est ensuite dirigé vers la base d’infanterie de la garde royale, où se trouve la résidence de Prayuth Chan-o-cha, l’ex-général putschiste de 2014 devenu premier ministre civil au terme d’élections controversées en 2019.

Collusions entre pouvoir et laboratoire
Ce dernier peine désormais à convaincre, en dépit de l’apparente bonne gestion des premières vagues de Covid-19 : la Thaïlande n’a eu, jusqu’au 1er avril 2021, que 94 décès dus à la pandémie, mais après l’irruption d’une troisième vague meurtrière depuis le printemps le chiffre est passé, le 8 août, à un total de 5 663 morts, avec un record battu la veille de 212 décès. Le bilan de dimanche est retombé à 160 morts, mais 20 920 nouveaux cas positifs ont été enregistrés. Cette flambée due au variant Delta touche quasiment toute l’Asie du Sud-Est, relativement épargnée durant la première année de la pandémie grâce à des quarantaines strictes et au port précoce du masque.

Avec seulement 6 % de la population vaccinée sur 70 millions d’habitants, les Thaïlandais réclament davantage de vaccins : une partie des habitants a été vaccinée par des doses de vaccins chinois et d’AstraZeneca fabriquées sous licence d’un seul laboratoire thaïlandais, qui appartient au roi, mais la production est inférieure aux objectifs. Surtout, les barrières mises à l’importation des vaccins de Pfizer et Moderna, notamment à l’encontre des hôpitaux privés qui comptaient les vendre, ont suscité l’incrédulité d’une partie de la population, prompte à dénoncer des collusions entre pouvoir et laboratoire.

La troisième vague a, en tout cas, pris de court le gouvernement, qui peine à combler le retard : après l’arrivée, le 6 août, de 1,5 million de doses de Pfizer offertes par les Etats-Unis, une commande de 20 millions de nouvelles doses de ce même vaccin est attendue avant la fin de l’année. Le gouvernement thaïlandais rappelle la répartition inégale des vaccins entre les pays riches et moins riches.

La manifestation de samedi fait suite à un rassemblement prodémocratie, le 3 août, au centre de Bangkok, au cours duquel Anon Nampa, l’avocat trentenaire qui a provoqué un séisme l’été dernier en appelant à la réforme d’une monarchie perçue comme outrepassant son rôle constitutionnel, avait récidivé : déguisé comme en 2020 en Harry Potter, pour conjurer « celui dont on ne peut prononcer le nom » (le roi), il a prononcé un long discours n’ayant rien à envier à celui qui lui a déjà valu un premier séjour en prison. Il fait aujourd’hui l’objet de dix accusations de lèse-majesté, chacune pouvant entraîner jusqu’à quinze ans de prison.

« Cette année, nous allons déterminer des stratégies de combat. Nous allons nous battre avec des objectifs. Non seulement nous ferons pression par des manifestations, mais nous nous battrons aussi pour proposer des lois au Parlement », a-t-il déclaré, tout en prévenant qu’il ne s’agissait pas seulement de réformer le pays, mais de le « révolutionner pour qu’il y ait l’égalité ». Le 1er août, ce sont des centaines d’automobilistes et de motocyclistes qui ont défilé dans les rues pour protester contre la gestion de la vaccination. L’un d’entre eux, surnommé Luuk Nat, est devenu la coqueluche des manifestants pour avoir tourné casaque : connu pour avoir participé en Ferrari aux manifestations qui conspuaient en 2013 la gestion de la première ministre d’alors, Yingluck Shinawatra, renversée par le coup d’Etat militaire de 2014, il défile aujourd’hui en arborant sur le toit de sa Range Rover noire une pancarte de repentance : « Quel imbécile j’étais ! Je suis un ultraroyaliste tombé du lit. »