Maternités et Hopitaux publics

Le Monde.fr : A Nevers, la seule maternité du département ferme ses portes temporairement

Avril 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : A Nevers, la seule maternité du département ferme ses portes temporairement

En sous-effectif chronique faute de réussir à recruter, le centre hospitalier de la préfecture de la Nièvre a vu ses quatorze sages-femmes partir en arrêt-maladie. La profession s’alarme d’une pénurie de personnel à l’échelle nationale.

Par Sabrina El Mosselli

Publié le 18/04/2022

La situation est inédite. Depuis lundi 11 avril, la maternité du centre hospitalier de l’agglomération de Nevers (CHAN) est fermée. Les quatorze sages-femmes du service sont en arrêt-maladie et l’agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a dû faire appel à la réserve sanitaire.

A l’heure actuelle, seules les urgences sont prises en charge. « Nous sommes encore en mesure d’accueillir les femmes sur le point d’accoucher, rassure Victoria Simonetta, chargée de la communication du CHAN. Quand le travail n’est pas à un stade avancé, les patientes sont transférées vers une maternité des alentours. » La maternité de Nevers est la seule du département de la Nièvre, après de nombreuses fermetures ces quinze dernières années. Entre lundi et mercredi, quinze femmes devant accoucher avaient été transférées vers les maternités de Moulins ou de Montluçon (Allier), Bourges, Auxerre ou Dijon, la plus proche étant à environ une heure de Nevers.

Guillaume Rameau fait partie des membres de l’équipe arrêtés depuis lundi. Il raconte être arrivé « à bout » physiquement. « Ça fait des mois qu’on alerte sur la situation, explique-t-il. Depuis septembre, on a eu une dizaine de départs sur vingt-quatre sages-femmes. » Pour lui, la « goutte de trop » tombe début avril quand la direction annonce que le service pourra désormais fonctionner avec deux sages-femmes de jour. Au départ, la maternité, qui réalise plus de 1 100 accouchements par an, tournait avec cinq en journée. Un ratio qui a été réduit à quatre en janvier, puis trois, et enfin deux dernièrement. « En salles de naissance, on peut avoir jusqu’à six patientes par jour. Ajoutez à ça les suites de naissance, les consultations en urgence. Deux sages-femmes, pour gérer tout ça ? C’est un rythme intenable, qui ne garantit pas la sécurité des femmes », explique le maïeuticien.

Pression psychologique
Selon la direction, la grande majorité des arrêts-maladie a été déposée lundi 11 avril. Avant de craquer, Guillaume Rameau raconte avoir passé le week-end précédant son arrêt à courir entre les salles de naissance : « Je disais aux patientes, “Je reviens dans dix minutes” et je revenais une heure trente plus tard. On est contraints de passer beaucoup moins de temps avec les femmes. » David Boucher, secrétaire de la section CFDT du CHAN insiste : « Ce n’est pas un mouvement de grève. Ce n’est pas un caprice. Lundi matin, les soignants n’en pouvaient simplement plus. Beaucoup sont médicamentés. »

« Certaines sages-femmes ont enchaîné des gardes de treize heures, en travaillant le week-end, de nuit, raconte le représentant syndical. Elles ont tenu neuf mois, avec un tiers de collègues en moins. Là, ça a cassé. » Il souligne par ailleurs la pression psychologique qu’ont subie les salariées : « Elles travaillent constamment avec une épée de Damoclès sur la tête. La vie des femmes et des enfants est mise en danger. Et s’il y a quoi que ce soit, ce sont les sages-femmes qui resteront coupables. »

De son côté, la direction rappelle que le ratio de deux sages-femmes de jour « reste dans le cadre légal ». « Ce n’est pas la volonté de l’hôpital, mais il y a tellement de postes vacants que c’est compliqué », précise Victoria Simonetta. L’hôpital tente, en vain, de recruter pour combler les huit postes de sages-femmes vacants depuis septembre. Une pénurie « nationale », selon Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente adjointe du Conseil national de l’ordre des sages-femmes (CNOSF) : « Nevers ouvre le bal des problèmes drastiques qu’on risque d’avoir dans les prochains mois dans les maternités et sur lesquels on alerte depuis un moment. L’été dernier déjà, certaines avaient dû fermer temporairement, faute de sages-femmes pour remplir les plannings. » Selon elle, 40 % des sages-femmes jeunes diplômées se dirigent désormais vers le libéral, contre de 5 % à 10 % auparavant.

Salaires trop bas, statut professionnel non adapté, recours trop fréquent à des contrats sous-payés de courte durée… Pour le CNOSF, les raisons derrière la crise d’attractivité que subit la profession sont nombreuses. En septembre 2021, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait publié un rapport sur l’évolution de la profession de sage-femme à la suite duquel le ministère de la santé avait annoncé une revalorisation salariale qui n’a visiblement pas eu l’impact espéré. « La crise du Covid a engendré un désamour des soignants pour l’hôpital. Il faut retrouver comment y attirer les jeunes sages-femmes et comment les garder », juge Marianne Benoit Truong Canh.

Territoire sous-doté
L’ARS de Bourgogne-Franche-Comté rappelle, elle, que la Nièvre est un territoire sous-doté. « Les problèmes de recrutements concernent tous les métiers : médecins, infirmiers, aides-soignants et sages-femmes », commente Pierre Pribile, directeur général de l’agence. Il se refuse néanmoins à tout fatalisme. « La maternité de Nevers est indispensable. C’est la seule du département, donc elle doit perdurer et offrir le meilleur service qui soit », rassure-t-il. Pierre Pribile espère que cet épisode de crise permettra de « redonner de l’élan » aux efforts entrepris en matière de santé sur le territoire et rendra ce service public plus attractif. « Il faut que ce soit le point de départ d’une nouvelle dynamique, qu’on va s’efforcer d’accompagner », conclut-il.

Un accord de principe a été signé entre la direction et les sages-femmes du CHAN jeudi 14 avril. Six postes d’infirmiers en soins généraux (IDE) ont été ouverts pour soutenir l’équipe de la maternité. Cinq infirmiers de la réserve sanitaire sont arrivés vendredi 15 avril et huit sages-femmes devaient arriver en renfort mardi 19 avril jusqu’à la mi-mai. Le temps pour l’hôpital de recruter de manière pérenne. « On espère recevoir des candidatures après les sorties d’école, en juin », confie Victoria Simonetta. La direction a en parallèle lancé un appel auprès d’agents retraités, « pour combler les trous ». Les plannings prévoient désormais trois sages-femmes de jour au minimum, accompagnées d’un IDE, une demande de celles-ci. Si ces engagements sont respectés, la maternité rouvrira ses portes mardi.

« On est toutes contentes de reprendre. On est conscientes que ça a été très compliqué pour les patientes qui ont subi de manière très soudaine cet arrêt », confie Aurélie Perier, sage-femme. Elle regrette cependant « un manque de visibilité » au-delà du mois de mai : « Une fois la réserve sanitaire partie, l’équipe (…) actuelle, malgré le renfort infirmier, ne semble pas suffisante pour respecter l’accord signé. Nous restons donc extrêmement vigilants. »

Sabrina El Mosselli