Branche maladie de la sécurité sociale

Le Monde.fr : « Affaiblir l’assurance-maladie publique », c’est « affaiblir la santé des Français »

Janvier 2017, par infosecusanté

« Affaiblir l’assurance-maladie publique », c’est « affaiblir la santé des Français »

Pour Christophe Jacquinet, l’Etat protecteur doit renforcer le rôle de l’assurance-maladie publique – parce qu’elle repartit le risque maladie sur 66 millions de Français –, et lui déléguer la responsabilité de faire des économies.

LE MONDE

07.12.2016

Par Christophe Jacquinet (Président de Santéliance Conseil)

« Si plusieurs centaines de mutuelles et assurances privées finançaient demain le « petit risque » à côté d’une assurance publique centrée sur le « gros risque », le coût des parcours de santé gérés par autant de concurrents non coordonnés augmenterait. »
Par Christophe Jacquinet, président de l’Association pour l’innovation organisationnelle en santé (AIOS), président de Santéliance Conseil, ancien directeur général des Agences régionales de santé de Picardie et de Rhône-Alpes

Vingt ans après ses ordonnances sur l’organisation de la Sécurité sociale, Alain Juppé a lancé in extremis le débat sur l’avenir de la protection sociale contre la maladie. Ceux qui veulent renforcer l’assurance-maladie publique pour le financement et la gestion du système de santé l’en remercient.

François Fillon a réalisé, le 28 novembre, au journal télévisé de France 2 un tête-à-queue sur ce sujet. Il a déclaré avoir toujours défendu la Sécurité sociale et vouloir surtout protéger les plus pauvres et les plus faibles. Son programme audacieux indique pourtant qu’il veut rétrécir l’assurance-maladie publique sur le gros risque et réduire son « panier de soins » au profit des mutuelles et des assurances privées.

Face à la dette et à l’insuffisance de compétitivité économique de la France, François Fillon affirme sa détermination à réduire les dépenses publiques. Pour la santé, la partie ne va pas être facile : l’augmentation des maladies chroniques (dont les affections de longue durée), du vieillissement et des innovations thérapeutiques continuera de coûter environ 7 milliards d’euros par an aux finances publiques pendant les cinq prochaines années, alors que la croissance actuelle ne permet pas à l’assurance-maladie publique d’en financer plus de trois milliards.

Face à cette situation, le raisonnement de François Fillon semble être le suivant : puisque les dépenses publiques de santé sont plus élevées qu’ailleurs et puisqu’il est difficile de mieux gérer ces dépenses en raison de la sensibilité particulière de ce secteur, il faut transférer une partie de ce financement public sur les mutuelles et les assurances privées. Et tant pis si les dépenses de santé augmentent dans leur globalité.

Surdépense

Le programme qui veut dire la vérité aux Français manque singulièrement de courage et d’ambition sur cette question. Car affaiblir l’assurance-maladie publique, c’est affaiblir la santé des Français, la sécurité collective face au risque maladie et la compétitivité économique de notre pays.

Sur la question des dépenses de santé publiques et privés, cinq pays de l’OCDE proches de la France en termes de richesse par habitant sont beaucoup plus économes que nous : l’Irlande, l’Australie, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne dépensent 9 % de leur PIB pour leur santé, quand la France dépense 11 %. A PIB comparable, nous dépensons donc environ 40 milliards d’euros de plus par an par rapport à ces pays, soit un peu plus d’un sixième de notre dépense globale de santé.

Aux Etats-Unis, le pays de l’OCDE avec le niveau de financement privé pour la santé le plus élevé, la dépense de santé par habitant y est deux fois plus élevée qu’en Allemagne, en France ou au Canada et ses indicateurs de santé régressent

Cette surdépense est un problème important car elle ne produit pas de différentiel proportionnel d’état de santé, ni d’activité économique à forte valeur ajoutée, alors qu’elle coûte du pouvoir d’achat et capte des ressources publiques nécessaires à des politiques essentielles. Car 40 milliards d’euros c’est environ une fois et demie toutes les dépenses annuelles de la défense nationale, environ deux fois le financement annuel de l’Etat pour l’enseignement supérieur et la recherche et près de cinq fois le budget annuel de la justice !

Si plusieurs centaines de mutuelles et assurances privées finançaient demain le « petit risque » à côté d’une assurance publique centrée sur le « gros risque », le coût des parcours de santé gérés par autant de concurrents non coordonnés augmenterait. François Fillon et ses conseillers savent que dans tout système de santé, au-delà d’un certain niveau de résultats de santé, l’offre de services et de produits crée la demande sans aucun gain de santé supplémentaire. C’est ce qui se passe aux Etats-Unis, le pays de l’OCDE avec le niveau de financement privé pour la santé le plus élevé : sa dépense de santé par habitant y est presque deux fois plus élevée qu’en Allemagne, en France ou au Canada et ses indicateurs de santé régressent !

Des soins adaptés et innovants

Pour restaurer la sécurité économique, développer la recherche, réduire le coût du travail et augmenter le pouvoir d’achat, notre pays doit réduire tant ses prélèvements obligatoires publics que privés (rappelons que depuis 2016 les entreprises et les salariés sont obligés de financer des mutuelles ou des assurances privées en santé). Pourquoi dans ce cas prendre le risque d’augmenter cette surdépense de santé ?

Puisque nous avons besoin de financer plus de 7 milliards d’euros par an, pourquoi ne pas retenir les solutions proposées dans d’innombrables rapports depuis vingt ans qui amélioreraient la productivité du système grâce à l’innovation et l’organisation gérées par une seule assurance maladie publique ?

Une étude récente indique que pour les salariés français, l’adhésion obligatoire depuis 2016 à des mutuelles et assurances privées augmente leur reste à charge en santé et limite donc leur accès à certains soins

Pourquoi tout simplement ne pas renforcer l’assurance-maladie qui nous a permis d’atteindre l’excellence en santé que presque tout le monde nous envie ? Car l’accès à des soins adaptés et innovants est bien le second enjeu fondamental, dans un nouveau monde où l’usage de l’innovation thérapeutique peut apporter le meilleur comme le pire.

Une étude récente indique que pour les salariés français, l’adhésion obligatoire depuis 2016 à des mutuelles et assurances privées augmente leur reste à charge en santé et limite donc leur accès à certains soins. Certains ont des surcomplémentaires, soit une troisième couverture en santé ! Et cette situation va s’aggraver : le coût de ces mutuelles et assurances augmentera lorsque la guerre des prix qu’elles ont engagée fin 2015 prendra fin ; ce coût augmenterait encore plus si une partie du financement de la santé devait leur être transférée.

Un débat qui touche à l’appartenance à la collectivité nationale

Au bout du compte, quand les parcours de santé des malades chroniques sont plus nombreux et plus complexes, un organisme public chargé à la fois du financement de l’ensemble du gros risque et du petit risque et de l’organisation de ces parcours permettrait de faire beaucoup mieux pour la santé des Français. Par exemple, mieux financer les soins dentaires, mieux répondre au besoin de médecins généralistes sur tous les territoires, supprimer les franchises à l’hôpital et mieux coordonner les parcours des malades chroniques et dépendants.

Enfin ce débat touche à l’appartenance à la collectivité nationale. Quand la prédiction des maladies devient possible avec des tests de prédisposition génétique, les Français ont intérêt à ce que la République les protège pour que ces facteurs de risques ne soient jamais assurés de la même façon qu’un crédit immobilier individuel.

L’Etat protecteur doit donc éviter que plusieurs centaines de mutuelles et assureurs privés génèrent du profit en segmentant ce risque. Cet Etat protecteur doit au contraire renforcer le rôle de l’assurance-maladie publique – parce qu’elle repartit le risque maladie sur 66 millions de Français –, et lui déléguer la responsabilité de faire des économies.

Un programme de rassemblement des Français devrait donc garantir à chacun la meilleure gestion des dépenses de santé, la meilleure protection individuelle et collective face au risque maladie et les soins les plus adaptés et les plus innovants pour tous.

Christophe Jacquinet est président de l’Association pour l’innovation organisationnelle en santé (AIOS), organisatrice des Etats généraux de l’Innovation organisationnelle en santé 2016 et ancien directeur général des Agences régionales de santé de Picardie et de Rhône-Alpes

Christophe Jacquinet (Président de Santéliance Conseil)