Emploi, chômage, précarité

Le Monde.fr : Aide à domicile : « les caractéristiques de ces emplois font qu’ils ne sont pas à temps partiel mais plutôt payés à temps partiel »

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Aide à domicile : « les caractéristiques de ces emplois font qu’ils ne sont pas à temps partiel mais plutôt payés à temps partiel »

TRIBUNE

François-Xavier Devetter

Emmanuelle Puissant

Economistes

Les deux économistes François-Xavier Devetter et Emmanuelle Puissant suggèrent au gouvernement, dans une tribune au « Monde », d’aller au-delà d’une prime exceptionnelle pour l’aide à domicile, mais aussi de repenser le décompte du temps de travail, ce qui conduirait à augmenter les revenus mensuels des aidants.

Publié le 15/06/2020

Les aides à domicile appartiennent à la profession la plus dynamique de ce début de siècle, voyant ses effectifs quasiment doubler entre 2003 et 2018 : elles sont passées de moins de 350 000 à près de 600 000. La crise sanitaire a souligné leur rôle majeur dans l’accompagnement des personnes vulnérables, mais aussi la fragilité des conditions d’emplois qui caractérisent encore et toujours nombre d’entre elles.

Le manque de reconnaissance qu’elles continuent de subir est particulièrement visible lorsque le gouvernement invite les collectivités locales à verser à ces travailleuses et à ces travailleurs, dont on peine curieusement encore à reconnaître leur appartenance au monde du soin ou, au minimum du « prendre soin », une prime de 1 000 euros sans pour autant en prévoir le financement.

Appels inopérants
Malgré un effort constant et soutenu en termes de production de rapports, les pouvoirs publics continuent de promouvoir, par les modalités de solvabilisation des besoins d’accompagnement des personnes âgées, la fixation de salaires pour les aides à domicile à un niveau très faible.

En effet, la politique de lutte contre la perte d’autonomie repose essentiellement sur le versement d’une allocation aux personnes âgées (APA ou allocation personnalisée d’autonomie) calculée en fonction de leur degré d’autonomie et variable selon leur revenu.

Cette allocation consiste à attribuer une somme permettant « d’acheter » un certain nombre d’heures. La valorisation d’une heure obéit à des règles complexes et variables selon les départements mais, le dispositif aboutit de fait à un « tarif APA » par département, qui constitue en quelque sorte la référence au prix d’une heure d’aide à domicile.

La proposition d’un « tarif socle national » à la suite du rapport Libault confirme cette vision. Or les montants actuellement en vigueur dans la plupart des départements (tout comme le tarif national envisagé) dépassent rarement 21 euros alors même que toutes les études de coûts l’évaluent autour d’un minimum de 26 euros… dans des conditions restrictives ! L’écart est alors souvent payé par les aides à domicile elles-mêmes. A ce niveau les appels à une montée en qualification ou une amélioration des conditions d’emplois des salariés sont inopérants.

Epuisement
Car quel est le nœud du problème ? La profession d’aide à domicile est portée par des emplois dont la durée moyenne est de 25 heures par semaine… mais où le travail commence bien souvent à 7 heures – ou plus tôt – et ne s’arrête qu’à 19 heures, 20 heures, voire au-delà ; où l’emprise du travail sur la semaine dépasse nettement les 35 heures, et où les inaptitudes, les accidents du travail, sont à un niveau plus élevé que la plupart des autres professions. La prévalence des situations d’épuisement des salariés montre combien la dite « ressource humaine » est consommée « à taux plein ».

Les politiques publiques et leur faible reconnaissance sociale ont conduit à ne considérer comme travail qu’une part réduite de ce qui est nécessaire à la production des services essentiels rendus à la société

Pour le dire autrement, toutes les caractéristiques de ces emplois font qu’ils ne sont pas « à temps partiel » mais plutôt « payés à temps partiel ».

Les politiques publiques de ces quinze dernières années, qui vont dans le sens d’une régulation marchande par les coûts, et leur faible reconnaissance sociale ont conduit à ne considérer comme « travail » qu’une part réduite de tout ce qui est nécessaire à la production des services essentiels qui sont rendus à la société.

Pour donner du contenu aux injonctions actuelles sur une nécessaire « valorisation » de ces métiers, deux approches différentes sont possibles, à court terme.

La première consiste à payer chaque heure de travail (au sens restreint actuel) au moins 25 % de plus que ce qui est pratiqué actuellement. C’est une façon simple de prendre en compte les particularités de ces métiers à l’image de ce que l’on pratique habituellement pour d’autres catégories professionnelles dont l’activité se décompose entre des « temps forts » de production présentielle directe et des « temps creux » de préparation, de récupération ou d’attente incompressibles.

Une hausse des revenus de 25 %
Il en est ainsi des temps de travail des enseignants, des « prix de journée » des consultants, des « forfaits jours » des cadres ou encore des durées d’activité dans la police. Cette logique a l’avantage de rester compatible avec des modes de financement ou de facturation à l’heure mais ne permet pas de donner une réelle visibilité aux temps nécessaires à la production et plus encore à leur dimension collective.

L’autre voie serait d’intégrer l’ensemble des temps liés au travail dans ce qui doit être payé (temps de travail collectifs, de coordination, de prise de poste, de définition du service et du travail, de relation humaine avec les personnes et leur famille, etc.). Il s’agirait ainsi de limiter le fractionnement des interventions, de valoriser les horaires décalés par rapport aux rythmes sociaux, de reconnaître la nécessité de temps collectifs, de récupération, d’information, etc.

Décompter forfaitairement, afin de l’ajouter au temps de travail rémunéré, 20 minutes pour chaque intervention conduirait à augmenter les revenus mensuels d’une aide à domicile intervenant en moyenne chez quatre usagers par jour d’environ 25 % également.

C’est le minimum nécessaire pour ramener ces salariées au niveau du smic mensuel et les rapprocher des autres métiers de niveau de qualification comparable. Ces mesures doivent aussi s’accompagner d’une réflexion de fond sur la place de ces activités dans notre société.

François-Xavier Devetter est économiste à l’université de Lille, IMT Lille-Douai, Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé).

Emmanuelle Puissant est économiste à l’université de Grenoble-Alpes, Centre de recherche en économie de Grenoble (CREG).

François-Xavier Devetter et Emmanuelle Puissant(Economistes)