Amérique du Sud

Le Monde.fr : Au Brésil, le président Bolsonaro fait passer sa réforme des retraites

Octobre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Au Brésil, le président Bolsonaro fait passer sa réforme des retraites

Le Congrès a voté en faveur d’un texte moins ambitieux que prévu, après plus de huit mois de négociations.

Par Bruno Meyerfeld • Publié le 23/10/2019

C’est sans doute la mesure économique la plus attendue, et peut-être la plus importante, du mandat de Jair Bolsonaro : la réforme du système des retraites a été adoptée en plénière au Sénat, ce mardi 22 octobre. Le texte a été voté par une large majorité (60 voix contre 19) à la Chambre haute du Brésil.

« Félicitations, peuple brésilien ! Cette victoire, qui met le pays sur la voie du décollage, est celle de vous tous ! », s’est immédiatement félicité le président brésilien sur Twitter. Le texte a pourtant été le fruit d’un accouchement dans la douleur, fruit d’une gestation de plus de huit mois et d’intenses négociations entre le Congrès et l’exécutif.

Début octobre, le scrutin avait été repoussé à la dernière minute, pour une raison des plus sacrées : le 13 de ce mois était canonisée par le Vatican la « sœur Dulce », bahianaise et première sainte brésilienne de l’histoire. Un événement auquel se sont pressés de nombreux parlementaires, et pas mal de sénateurs, empêchant la réunion du quorum nécessaire au vote de la profane réforme des retraites.

Une victoire en demi-teinte

Dans un Brésil à l’économie toujours morose (0,9 % de croissance du PIB prévu pour 2019 par le FMI), la réforme vise à restaurer la crédibilité financière du pays. « C’est la mesure-clé que les entreprises étrangères attendaient pour revenir investir », assure une bonne source diplomatique. Dans le détail, la loi réorganise en profondeur le système des retraites, fixant un âge légal de départ (65 ans pour les hommes et 62 pour les femmes), augmentant de cinq ans les annuités nécessaires à l’obtention d’une pension à taux plein, modifiant la base de calcul du montant des pensions et introduisant un taux de cotisation progressif pour les fonctionnaires.

C’est une victoire pour le gouvernement de Jair Bolsonaro, mais en demi-teinte. Le pouvoir a dû négocier et souvent reculer face à un Congrès frondeur et éclaté, ne comptant pas moins de 23 partis politiques. La réforme permettra d’économiser quelque 800 milliards de reais (176 milliards d’euros) sur dix ans, soit 500 millions de moins que ce que prévoyait au départ la réforme. Elle préserve également le régime de retraite par répartition en place, se gardant d’ouvrir la voie à un système par capitalisation, souhaité par le pouvoir.

Selon les projections du Trésor, le déficit du système des retraites pourrait atteindre les 314 milliards de reais en 2019. « C’est une réforme positive, mais elle aura un impact limité, explique Helio Beltrao, économiste libéral influent, président de l’Institut Mises, et proche du ministre de l’économie, Paulo Guedes. Elle permet de réduire le “trou” des retraites, mais seulement un temps. Il faudrait quatre réformes de ce genre pour équilibrer les comptes à long terme ! Surtout, elle ne change rien aux problèmes structurels. Dans les années 1960, 14 actifs cotisaient pour un retraité. Aujourd’hui, c’est 7 actifs pour un retraité et d’ici peu ce sera 3 ! Ce n’est pas soutenable », poursuit M. Beltrao, favorable à une retraite par capitalisation.

« Surtout, elle ne touche pas au statut privilégié dont bénéficient les militaires et la police. »

De son côté, la gauche est vent debout contre une loi accusée de faire porter l’essentiel des efforts sur les épaules des plus modestes. « Cette réforme est brutale, estime Ligia Bahia, professeure d’économie à l’université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ). Elle ne prend pas du tout en compte les parcours individuels, et ne prévoit rien pour le secteur informel, où travaillent encore 40 % des Brésiliens. Surtout, elle ne touche pas au statut privilégié dont bénéficient les militaires et la police. » Ces deux corps, où il demeure possible de prendre sa retraite à un peu plus de 50 ans, bien souvent à taux plein, sont très liés à l’ex-capitaine Bolsonaro.

Un ministre qui y a laissé des plumes

Victorieux de la « bataille des retraites », le ministre « star » de l’économie, Paulo Guedes, y a cependant laissé des plumes. L’ancien « Chicago boy », ultralibéral, dont le ralliement à la candidature Bolsonaro avait été essentiel lors de la présidentielle de 2018 pour rassurer les milieux économiques, s’est révélé piètre négociateur, souvent brutal, voire tricheur. La loi votée mardi doit tout autant au rusé président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, qui a su habilement se placer au centre du jeu politique.

De même, d’autres conseillers économiques sont en train de monter en puissance autour du président, en particulier des militaires à la philosophie plus « étatiste ». Ce « parti de l’armée » tenterait aujourd’hui de limiter l’impact trop libéral des réformes Guedes. Ils auront fort à faire. En 2020, le ministre prévoit un vaste plan de privatisation – qui inclut l’électricien Eletrobras ou l’imprimeur de billets de banques Casa da Moeda – et des réformes importantes et sensibles du système d’imposition et du statut des fonctionnaires publics.

Bruno Meyerfeld (Rio de Janeiro, correspondant