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Le Monde.fr : Avant la grève du 5 décembre, le rapport de force se durcit sur la réforme des retraites

Novembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Avant la grève du 5 décembre, le rapport de force se durcit sur la réforme des retraites

Face à une mobilisation qui s’annonce massive, Emmanuel Macron a demandé à ses ministres de « reprendre la main » sur le récit, et ne pas perdre la bataille de l’opinion.

Par Alexandre Lemarié et Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 22 novembre 2019

L’étau se resserre pour l’exécutif. Alors que la mobilisation du 5 décembre s’annonce massive, c’est au tour de Laurent Berger de hausser le ton sur le dossier des retraites. Jeudi 21 novembre, le numéro un de la CFDT a convoqué une conférence de presse pour exprimer les « exigences » de sa confédération. Et marteler qu’il souhaite « une réforme de justice sociale ». Une prise de position qui capte l’attention, car la centrale cédétiste est l’une des rares organisations de salariés à défendre l’idée d’un régime universel.

Mais si le schéma qu’elle appelle de ses vœux depuis 2010 présente des points communs avec le projet de l’exécutif, son chef de file n’en affiche pas moins son insatisfaction. Pour une raison très simple : le pouvoir en place veut réaliser des économies dans le système de pensions – mais en laissant planer le doute sur ses intentions.

« Si le gouvernement faisait le choix d’une pure mesure paramétrique, la CFDT s’y opposerait », a mis en garde M. Berger. Visiblement très agacé, il a dénoncé une « cacophonie qui cristallise les tensions » et dont l’exécutif, selon lui, « porte la responsabilité ». Il a invité les plus hauts responsables de l’Etat à sortir de « l’ambiguïté », à « redonner du sens à la réforme qu’il veut mener » et à « faire œuvre de clarté ».

C’est un rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), publié jeudi mais qui avait fuité trois jours auparavant, qui a mis le feu aux poudres. Réalisé à la demande d’Edouard Philippe, cet audit prévoit un déficit du système de retraites entre 7,9 milliards et 17,2 milliards d’euros en 2025 – date à laquelle la réforme universelle doit, en principe, entrer en vigueur. Or, le premier ministre l’a redit, jeudi sur France Inter : il faut que les comptes soient sortis du rouge dans six ans. Pour y parvenir, le locataire de Matignon a d’abord écarté deux pistes : une baisse des pensions ou une hausse des cotisations. « Pas acceptable », a-t-il dit. Mais il s’est déclaré ouvert à d’autres hypothèses.

« Peser dans le rapport de force »
« Il faut dire aux Français clairement, tranquillement, (…) que nous allons travailler plus longtemps, (…) soit par la durée de cotisation, soit par une mesure d’âge », a affirmé M. Philippe, en mettant en avant « l’âge pivot [qui] est un élément de solution ». Ce mécanisme, instauré avant 2025, impliquerait de toucher ceux qui vont liquider leurs droits d’ici à cette échéance et remettrait, du même coup, en cause un engagement de campagne d’Emmanuel Macron : le candidat d’En marche ! avait, en effet, promis que les personnes partant à la retraite durant les cinq années précédant la réforme ne seraient pas concernées.

Avant de trancher, M. Philippe veut – à nouveau – interroger les dirigeants syndicaux et patronaux, qu’il doit recevoir lundi 25 et mardi 26 novembre. Pour M. Berger, la réponse est toute trouvée : ce sera non aux « mesures d’âge ou de durée de cotisation ». Pour autant, il n’appelle pas à descendre dans la rue dans deux semaines, aux côtés de la CGT, de FO ou de la CFE-CGC, qui a annoncé, jeudi, qu’elle « se joindra[it] à la manifestation ». Mais la centrale de Belleville n’exclut pas de le faire ultérieurement, si le gouvernement persistait dans l’idée de serrer la vis. Un positionnement sans doute influencé par des considérations internes : M. Berger est lui-même sous pression, puisque certaines composantes de sa confédération vont manifester, le 5 décembre. Parmi elles, la CFDT-Cheminots, qui a pris cette décision jeudi : la démarche des cédétistes de la SNCF vise à « peser dans le rapport de force » et a été engagée « en totale cohérence » avec l’échelon confédéral, d’après M. Berger.

« Macron a, en substance, dit que si on ne fait pas [la réforme], ce sera au détriment de nos gosses »
Parmi les députés LRM, l’idée d’une mesure d’âge ne convainc pas tout le monde. « C’est un peu risqué, convient l’un d’eux. Personnellement, je ne la proposerai pas dans l’échéance de 2025, ça me paraît difficile. » Pressenti pour être le rapporteur du futur projet de loi à l’Assemblée nationale, le député du Nord Laurent Pietraszewski, lui, ne voit pas comment on pourrait éluder le sujet : « On ne peut pas refuser le débat sur l’équilibre budgétaire. C’est ce qui conditionne la confiance des plus jeunes. »
« Au boulot ! »
Des éléments de langage que M. Macron a demandé à ses proches de diffuser, lors d’un dîner, mardi soir à l’Elysée, avec les poids lourds de la majorité et du gouvernement. Autour de la table, il y avait notamment M. Philippe, le président de l’Assemblée nationale, ; Richard Ferrand ; celui du groupe macroniste à l’Assemblée, Gilles Le Gendre ; le numéro un du parti, Stanislas Guerini ; le patron du MoDem, François Bayrou ; ainsi que Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics ; sa collègue des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn ; et le haut-commissaire chargé du dossier, Jean-Paul Delevoye.

Le président de la République a poussé ses troupes à « reprendre la main » sur le récit de la réforme des retraites. Pas question pour M. Macron de perdre la bataille de l’opinion, alors que, pour l’instant, ce dossier renvoie surtout un sentiment « anxiogène ». « Au boulot ! », a-t-il lancé, en exhortant ses convives à se rendre dans les médias, pour expliquer – entre autres – que « le déséquilibre financier du système » montre la nécessité d’une transformation profonde. « Il a, en substance, dit que si on ne la fait pas, ce sera au détriment de nos gosses », rapporte un participant.

Une communication aussi offensive, dans un contexte social tendu, n’est pas sans risque. Elle semble, en tout cas, parfaitement assumée, à en juger par les propos vigoureux de deux membres de l’exécutif, jeudi. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, s’en est prise à la CGT qui « ne joue pas le jeu de la démocratie sociale » et « refuse systématiquement d’entrer dans une négociation ». Au Club de l’économie du Monde, Mme Buzyn y est, elle aussi, allée de son mot doux en qualifiant la journée d’action du 5 décembre de « grève très corporatiste » autour de « gens qui crient simplement parce qu’ils (…) veulent garder leur régime spécial » et qui « s’opposent à un projet de société où on est tous solidaires ».

Une telle fermeté ne peut que braquer davantage les syndicats – y compris ceux ayant l’étiquette de réformiste. « Ils vont se mettre à dos tout le monde et perdre tous les gens qui pouvaient penser que la réforme pouvait leur apporter du positif », déplore Laurent Escure, secrétaire général de l’UNSA. Un autre haut gradé syndical est plus direct : « Ils s’y prennent comme des manches et se trouvent dans une impasse qui n’a pas lieu d’être. J’ai l’impression d’avoir basculé dans Alice au pays des merveilles, avec une logique complètement à l’envers. »

Alexandre Lemarié et Raphaëlle Besse Desmoulières