Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Commission d’enquête Covid-19 : les députés pointent les défaillances au sommet de l’Etat

Décembre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Commission d’enquête Covid-19 : les députés pointent les défaillances au sommet de l’Etat

La commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale a adopté son rapport, mercredi. Selon les informations du « Monde », les députés soulignent une série de manquements des pouvoirs publics en amont de la crise sanitaire et pendant.

Par Chloé Hecketsweiler et Solenn de Royer

Publié le 02/12/2020

L’heure des comptes. Après six mois d’auditions à l’Assemblée nationale, parfois longues et arides, la commission d’enquête parlementaire chargée d’évaluer la réponse à la crise sanitaire, qui a fait plus de 50 000 morts en France, a conclu ses travaux et finalisé son rapport, sous l’égide du député Les Républicains (LR) des Alpes Maritimes Eric Ciotti.

Les membres de la commission, présidée par Julien Borowczyk (La République en marche, LRM, Loire), ont pu consulter le texte mardi, sous l’étroite surveillance d’huissiers du Palais-Bourbon, afin de limiter le risque de fuites. Ils se sont réunis, mercredi 2 décembre, à 9 h 30, pour l’adopter, malgré l’abstention des élus LRM de la commission.

Mais les députés LR, déterminés à « dire la vérité aux Français », ont dévoilé sans attendre les grandes lignes, à l’occasion d’une conférence de presse organisée mercredi à l’issue du vote. Un exercice périlleux alors que la France, qui a amorcé un déconfinement à petits pas, n’est toujours pas sortie de la deuxième vague du Covid-19.

Eric Ciotti, qui a toujours répété ne pas vouloir transformer la commission d’enquête en tribunal, a précisé en introduction que l’objectif de celle-ci n’avait pas été de rechercher des responsabilités individuelles mais d’essayer d’éclairer un certain nombre de dysfonctionnements, afin qu’ils ne se reproduisent plus. Ce qui n’empêche pas des conclusions sévères sur le fond. Selon les informations du Monde, recoupées auprès de plusieurs membres de la commission, le rapport pointe en effet une série de défaillances et de cafouillages au plus haut sommet de l’Etat, en amont et pendant la crise.

La France mal préparée
Avec son « plan pandémie grippale » élaboré en 2004, la France semblait armée pour faire face à l’émergence d’un nouveau virus. Sur le papier, tout y est : les mesures « barrières », l’utilisation des masques, le déploiement des tests, le traçage des contacts, le recours au stock stratégique, etc. Mais, dans les faits, rien n’est prêt.

Et pour cause : si des « exercices » destinés à tester ce plan ont été régulièrement organisés au départ, ils se sont ensuite espacés, jusqu’à disparaître à partir de 2013. Un exercice « grippe » avait bien été programmé en 2017, mais il a finalement été annulé au profit d’un exercice « variole », organisé en décembre 2019. Faute d’entraînement, les troupes ont ainsi été prises au dépourvu début 2020.

Les explications sont multiples. Bien armée après la grippe A(H1N1) de 2009, la France a progressivement baissé la garde. Echaudés par les polémiques suscitées par l’achat massif de vaccins et de masques pendant et après l’épidémie, les successeurs de Roselyne Bachelot et de Xavier Bertrand au ministère de la santé ont pu penser « qu’il y avait moins de risques pour un politique à en faire moins qu’à en faire trop », comme l’avait noté l’ancien secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale Francis Delon pendant son audition. A cela s’est ajouté un changement de priorité lié à la menace terroriste, avec davantage de moyens alloués à la gestion des risques nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques.

La décision d’intégrer l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires à l’agence Santé publique France (SpF), en 2016, est un peu le coup de grâce. Devenu « une variable d’ajustement budgétaire », selon les mots de l’ancien directeur général de la santé William Dab, cet établissement n’a plus été en mesure de mener à bien ses différentes missions, dont la gestion des stocks stratégiques et l’organisation de la chaîne logistique (commandes, acheminement, stockage, etc.).

La crise a ainsi pris une dimension logistique, avec, in fine, la création d’une cellule de coordination interministérielle logistique et moyens sanitaires pour pallier les insuffisances de SpF, et le recours à un opérateur privé, Geodis, pour acheminer le matériel nécessaire aux établissements de santé.

L’imbroglio des masques
Cette pénurie trouve son origine dans un imbroglio au plus haut niveau de l’Etat au sujet du stock stratégique. Tout est parti de la doctrine publiée 16 mai 2013 par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), sur « la protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire ». Ce document indique qu’il revient à chaque employeur de déterminer l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger son personnel.

Pour le ministère de la santé, pas de doute : cette phrase signifie qu’il revient désormais aux établissements de santé et aux soignants de ville de constituer un stock « au cas où ». L’interprétation l’arrange bien. Les masques FFP2 du stock stratégique, réservés aux soignants, sont les plus protecteurs mais aussi les plus onéreux : fin 2012, la valeur du stock d’Etat de FFP2 dépasse 200 millions d’euros, autant d’argent que le ministère compte économiser dans le futur. Quant aux masques chirurgicaux, ce dernier semble considérer que les 700 millions déjà en magasin sont désormais suffisants – il y en avait 1 milliard au lendemain de la grippe A(H1N1).

Aucune instruction n’est cependant transmise aux agences régionales de santé (ARS) pour les avertir de ce transfert de charge. Et aucun contrôle n’est effectué pour s’assurer que des stocks ont bien été constitués localement. Du côté du SGDSN, l’erreur du ministère étonne. « Cette doctrine ne pouvait pas être raisonnablement lue comme signifiant à l’Etat qu’il n’aurait plus à préparer le système de santé », déclarait ainsi, lors de son audition, le 16 septembre, Claire Landais, secrétaire générale du SGDSN au moment de la première vague. Faute d’un pilotage global de la question, l’ambiguïté a en tout cas été levée bien trop tard.

Quand l’épidémie démarre, certaines régions ont moins de trente jours de stock et l’Etat, qui a tardé à renouveler le sien, n’a plus que 118 millions de masques conformes. Voilà des mois que la direction générale de la santé hésite sur la marche à suivre : elle semble avoir acté le principe d’un stock « tampon » – un minimum de masques dans les entrepôts assorti de garanties d’approvisionnement auprès de fournisseurs – plutôt que d’un stock « tournant » – renouvelé au fil de l’eau en distribuant les masques proches de la péremption aux hôpitaux.

Cette impréparation a fini par coûter très cher : le prix des masques chirurgicaux est passé de 3 centimes l’unité avant la crise à 27 centimes en moyenne, fin mai, pour ceux produits en France et 45 centimes pour ceux fabriqués à l’étranger (hors coût du transport). Le plafond de prix fixé par SpF a même été relevé à 90 centimes au plus fort de la crise. Fin mai, l’agence avait dépensé plus de 1,1 milliard d’euros pour l’achat de 2,4 milliards de masques chirurgicaux, et 1,4 milliard supplémentaire pour l’achat d’un milliard de masques FFP2. Elle a ainsi dû se résoudre à acquérir la totalité des équipements de protection (blouse, charlotte, etc.) à prix d’or.

Une grande indifférence politique
C’est l’un des enseignements des auditions menées par la commission d’enquête : l’indifférence, voire la négligence, du pouvoir politique, qui s’est progressivement désintéressé de la question des stocks stratégiques, alors même que ces derniers étaient en train de fondre, passant de 1,5 milliard d’unités (d’une grande variété de produits, dont les masques) en 2015 à 794 millions d’unités en 2019. Mais, lors de son audition devant la commission, l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn a indiqué ne pas avoir été alertée sur le volume ou l’état (calamiteux) des stocks, et son cabinet non plus.

L’exécutif a par ailleurs largement sous-estimé la dépendance de la France au marché international, n’anticipant pas les ruptures d’approvisionnement liées à l’explosion de la demande mondiale. Ce dernier point avait également été admis par Agnès Buzyn au cours de son audition. Ce défaut de vigilance avait surpris ses prédécesseurs au ministère, dont Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, mais aussi Marisol Touraine, qui avaient rappelé que la politique des masques incombait d’évidence au pouvoir politique.

Des décisions prises au « pied du mur »
Revenant sur le calendrier de la crise, le rapport devait mettre en évidence des décisions tardives et prises « au pied du mur » de la part du gouvernement, alors que de premières alertes avaient été données dès janvier et qu’il était possible de suivre la situation qui empirait en Italie.

Si le plan pandémie grippale n’est pas activé, le plan Orsan REB (pour organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles et risque épidémique et biologique), jugé plus adapté, n’est déclenché que le 14 février, soit une semaine avant le confinement de plusieurs communes en Lombardie, en Italie.

Les autorités semblent prendre conscience de la gravité de la situation le 6 mars, date à laquelle est déclenché le plan blanc dans les hôpitaux (permettant la déprogrammation des interventions non urgentes). Mais il faut attendre le 16 mars pour que le confinement soit annoncé, en urgence.

Sous-dimensionnées, les commandes de masques ont été passées fin janvier et en février. Trop tard pour permettre aux soignants d’affronter la première vague, d’autant plus dans un contexte de grande tension sur le marché international, saturé. Même retard sur les tests, mis à disposition en nombre à partir du déconfinement seulement.

La multiplication et la concurrence des cellules de crise expliquent en partie ces cafouillages. Le rapport devait souligner la mainmise du ministère de la santé sur la gestion de la crise, et l’activation tardive de la cellule interministérielle de crise le 17 mars. Or, « cet outil est mieux à même de s’adapter aux crises complexes, car plus une crise est complexe, plus l’information vient de sources diverses, plus il est facile de se tromper », estimait Louis Gautier, ancien secrétaire général du SGDSN, lors de son audition, le 15 septembre.

Une deuxième vague mal anticipée
Après un relâchement au cours de l’été, un temps précieux a été perdu à la rentrée, alors que tous les signaux étaient au rouge. Mais le premier ministre, Jean Castex, s’est contenté de rappeler les gestes barrières, à l’issue du conseil de défense du 11 septembre. Selon plusieurs membres de la commission, le rapport indique que le deuxième confinement aurait pu être évité si le gouvernement avait pris plus tôt des décisions plus fermes.

S’il loue la stratégie gouvernementale du « tester, tracer, isoler », le rapport devait également déplorer que celle-ci n’ait pu être efficacement mise en œuvre à l’issue du premier confinement. Là encore devaient être soulignées une certaine impréparation et des failles dans la stratégie de dépistage massif qui ont conduit à l’embolie de la rentrée, avec des files d’attente interminables et des résultats trop tardifs.

Une trentaine de recommandations
Le rapporteur, Eric Ciotti, devait conclure son rapport par une trentaine de recommandations pour une « meilleure appréhension des crises sanitaires », dont la création d’un ministère délégué chargé de l’anticipation des crises et de la restauration de la souveraineté sanitaire de la France. Placé sous l’autorité du premier ministre, il disposerait des services du SGDSN et de la sécurité civile. Il serait chargé d’établir une liste de produits et d’équipements dits « d’importance vitale » devant figurer dans les stocks stratégiques de l’Etat. Chaque année, un débat sur le volume de ce stock aurait lieu à l’occasion de la discussion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

D’autres propositions sont formulées : supprimer les ARS et instaurer des agences départementales de santé sous l’autorité du préfet, confier la gestion des stocks stratégiques à un opérateur dont ce serait l’unique mission ; revoir entièrement le modèle des établissementé d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), qui ont été les grands « oubliés » de la première vague, afin de renforcer la médicalisation au sein de ces établissements.

Eric Ciotti a souhaité que la commission d’enquête poursuive ses auditions jusqu’à la fin de l’urgence sanitaire, en février. Cela est possible si elle renonce à ses prérogatives d’investigation et se transforme en simple mission d’information. « La première vague pour les Français a été marquée par l’échec des masques, la deuxième vague par l’échec des tests, faisons en sorte que la troisième ne se caractérise pas par l’échec des vaccins », souligne le rapporteur.