Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Confusion autour de la prime annoncée pour les soignants

Avril 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Confusion autour de la prime annoncée pour les soignants

La mise en œuvre de la promesse gouvernementale se révèle complexe, la somme allouée variant selon les zones et les statuts. Les syndicats réclament une revalorisation salariale.

Par Rémi Barroux

Publié le 28/04/2020

Une prime exceptionnelle sera versée aux personnels hospitaliers dès le mois de mai, a promis le gouvernement. En reconnaissance de « l’incroyable dévouement de tout le personnel soignant », selon les mots du premier ministre, Edouard Philippe, le 15 avril. Le président de la République, Emmanuel Macron, s’y était engagé le 25 mars, depuis l’hôpital militaire de campagne installé à Mulhouse, en annonçant une « prime exceptionnelle pour pouvoir accompagner financièrement cette reconnaissance ».

Mais, au-delà de l’intention, la mise en œuvre se révèle complexe, puisque cette prime variera de 500 à 1 500 euros, selon le département et l’établissement ou le statut des personnels. De quoi susciter la contestation de certaines organisations professionnelles, qui voient dans l’annonce de cette prime et de la majoration des heures supplémentaires, une « aumône », comme le Collectif Inter Urgences. « Nous ne demandons pas des primes pour nous récompenser ou pour apaiser la colère accumulée dans le milieu hospitalier, mais une revalorisation salariale », avance Yves Morice, de la direction de la fédération SUD-Santé sociaux.

D’autres ne sont pas aussi critiques, et attendent des précisions avec la publication du décret, encore en discussion. « C’est une grosse usine à gaz, nous ne savons pas qui est éligible, comment ils vont l’être, où et quand », affirme Patrick Bourdillon, de la direction fédérale de la CGT-Santé action sociale.

Dans un communiqué du 15 avril, le ministre de la santé, Olivier Véran, a apporté quelques éléments de réponse. Les agents hospitaliers travaillant « dans la trentaine de départements les plus touchés par l’épidémie recevront une prime de 1 500 euros, versée quel que soit le statut ou le métier considéré, internes, agents de service, infirmiers, médecins (…) ». Interrogé lundi 27 avril, le service de communication du ministère a précisé qu’il s’agirait de 33 départements, essentiellement dans les régions les plus touchées, l’Ile-de-France, le Grand-Est et les Hauts-de-France. Les personnels administratifs des hôpitaux bénéficieront aussi de cette prime défiscalisée dans ces départements.

Question salariale
Dans les autres départements, « les personnels ayant travaillé dans les services Covid+ des 108 hôpitaux de référence percevront également la prime de 1 500 euros ». Les agents des autres services toucheront une prime de 500 euros. Précision du ministère, lundi 27 avril, « 94 établissements » seraient ajoutés « en dehors des zones géographiques très touchées [les 33 départements] pour prendre en compte l’impact du Covid sur ces établissements ».

En attente de clarification, Patrick Bourdillon, qui travaille à la régulation médicale du SAMU du Vaucluse, s’interroge. « Je ne sais pas si je la toucherai. Mais l’important, c’est la revalorisation salariale, la reconnaissance des compétences à tous les niveaux. Rappelons que la France se classe au 27e rang sur 28, des pays de l’OCDE, s’agissant des salaires des personnels infirmiers. Les personnels ne cracheront pas sur 500 ou 1 500 euros, mais nous ne sommes pas, à la CGT, favorables aux primes versées une fois. Et l’ensemble des personnels hospitaliers, qu’ils soient dans un service Covid ou non, ont dû se réorganiser, travailler sous pression », avance le dirigeant syndical.

Yves Morice, lui non plus, ne sait s’il touchera la prime. Agent du bureau des entrées au CHU de Rennes, il a aussi accueilli des patients atteints du Covid. « Sera-t-on exclu de cette prime ? C’est un effet d’annonce qui va diviser les personnels, qui se regarderont en chien de faïence. Il faut une augmentation de 300 euros pour tous », affirme le responsable de SUD.

Le chef de l’Etat, lui-même, avait évoqué cette question salariale, le 13 avril, en parlant « des femmes et des hommes que nos économies reconnaissent et rémunèrent si mal ». Deux jours plus tard, le ministre de la santé soulignait « la réflexion indispensable et concertée sur la revalorisation des métiers et des rémunérations ».

Cette réflexion sur le système de soins est souhaitée par tous, à l’instar de Patrick Chamboredon, le président de l’ordre des infirmiers, « au-delà de la question des primes et de la revalorisation financière, qui ne relève pas de notre champ de compétences ».

Ce sera le chantier de l’« après ». Sans attendre la publication d’un décret, Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a annoncé aux quelque 100 000 agents, dans une communication interne, que la prime de 1 500 euros serait versée « sans aucune restriction de grade ou de métier, à l’ensemble des agents, qu’ils soient contractuels, stagiaires ou titulaires (…) internes ou personnels hospitalo-universitaires ».

Secteurs médico-social et libéral
Pour les personnels travaillant dans les Ehpad et au service des personnes âgées, la question reste en suspens, et dépend de discussions entre le ministère et les collectivités locales. « Il n’est pas absurde de verser une prime plus importante pour les départements les plus touchés, mais il faut faire la même chose dans le secteur médico-social, les services à domicile et tous les établissements pour personnes âgées, ceux qui ne gagnent pas toujours le smic et qui sont allés au front, parfois sans masque », déclare Pascal Champvert, le président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. L’avenir de la discussion entre l’Etat et les départements l’inquiète. « Nous en avons marre que l’Etat s’abrite derrière cette négociation. Qu’il donne la prime au travers de l’Assurance-maladie et qu’il fasse payer ensuite les départements », poursuit M. Champvert.

Reste encore à démêler ce à quoi auront droit les libéraux. Selon le ministère, demande a été faite à l’Assurance-maladie « de travailler à un dispositif de compensation financière pour les pertes de revenus » liés à la crise due au Covid-19. « Pour les libéraux qui ont été aussi en première ligne, ce n’est pour l’instant pas prévu. Mais c’est indispensable pour assurer une reprise d’activité sécurisée dans nos cabinets », prévient Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération des syndicats médicaux français.