Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Le Monde.fr : Coronavirus : des pratiques d’enfermement « illégales » dans un hôpital psychiatrique du Val-d’Oise

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : des pratiques d’enfermement « illégales » dans un hôpital psychiatrique du Val-d’Oise

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a activé une procédure d’urgence concernant l’hôpital de Moisselles (Val-d’Oise). L’établissement reconnaît une « confusion », désormais rectifiée, entre confinement et isolement.

Par Camille Stromboni

Publié le 19/06/2020

La situation était assez grave pour mériter une procédure d’urgence. Dans ses « recommandations » publiées au Journal officiel vendredi 19 juin, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) alerte sur les « atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées » constatées dans un hôpital psychiatrique francilien, durant la crise sanitaire due au Covid-19.

Avec la mise en place des unités Covid et des règles de confinement sanitaire, l’établissement public de santé mentale Roger-Prévot, à Moisselles (Val-d’Oise), a eu recours à des « pratiques d’enfermement illégales », relève l’autorité administrative indépendante. Elle y a dépêché quatre de ses membres, dont la contrôleuse des prisons elle-même, Adeline Hazan, lundi 18 mai, à la suite d’une alerte.

Fermeture de certaines chambres à clé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, enfermement de patients pourtant hospitalisés « en soins libres », conditions indignes… « Il y a eu une confusion totale entre le régime de l’isolement psychiatrique et le confinement sanitaire, dit Adeline Hazan, au Monde. Dès le 20 mai, la directrice de l’établissement a mis fin à ces pratiques. Mais j’ai considéré qu’il fallait ces recommandations en urgence pour alerter le ministère de la santé et lui demander que des instructions très précises soient données à l’ensemble des hôpitaux psychiatriques, afin de lever toute ambiguïté. »

En effet, « des informations reçues font craindre qu’une semblable confusion ne touche d’autres établissements de santé mentale », peut-on lire dans ses recommandations. A ce stade, le ministère n’a pas répondu officiellement à la demande de l’institution. Une note relative à la liberté d’aller et venir dans les services de psychiatrie en période de déconfinement a été publiée par l’une de ses directions générales, le 5 juin.

Enfermés à clé
Que s’est-il passé à Moisselles ? Avec 174 lits, l’hôpital psychiatrique accueille les patients de plusieurs secteurs des Hauts-de-Seine, notamment d’Asnières-sur-Seine. Le 7 mai, deux patients de ce secteur sont déclarés positifs et transférés dans l’unité Covid de l’hôpital. Dans la soirée, la vingtaine d’autres patients du service est elle aussi confinée, mais d’une manière particulière : avec porte fermée à clé. Le lendemain, un autre psychiatre prenant sa garde fait rouvrir l’ensemble des chambres.

Reste que tous les patients en unité Covid sont, eux, enfermés à clé. Certains nouveaux patients hospitalisés ont été soumis à une obligation de confinement strict en chambre pendant quatorze jours, avec parfois porte close également. La contrôleuse générale a été informée qu’une patiente, enfermée, s’est blessée gravement le mercredi 13 mai, après s’être défenestrée, en brisant la fenêtre de sa chambre.

Pour l’autorité, il s’agit de « privations de liberté injustifiées et illégales » : « Des patients ont été enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre sans que leur état clinique psychiatrique le justifie, sans décision médicale écrite émanant d’un psychiatre. » Elle a pu constater, en outre, que certains patients ont été enfermés dans des chambres sans douche, ou sans leurs effets personnels.

La contrôleuse rappelle la règle de droit, épidémie ou non : « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que sur une décision d’isolement motivée par la mise en danger immédiate du patient ou d’autrui. » Et d’ajouter : « La mauvaise compréhension prétendue des gestes barrières par les patients ne pouvait justifier un enfermement systématique. »

« Concilier deux objectifs contraires »
Certains membres du personnel médical se sont émus de cette situation, dont le psychiatre Mathieu Bellahsen, qui a alerté la contrôleuse générale. « Lorsqu’on a soulevé ces dysfonctionnements majeurs, la direction nous a répondu que l’enfermement était nécessaire, sinon c’était un non-respect du confinement, raconte le médecin. Mais il n’est pas possible, sous prétexte de Covid, de sacrifier des libertés fondamentales et de faire n’importe quoi. »

Interrogée sur cet enfermement, la direction de l’établissement a réagi par communiqué, jeudi 18 juin, reconnaissant une « confusion » entre les régimes d’isolement psychiatrique et de confinement. Elle l’explique par la « complexité de concilier deux objectifs contraires, garantir la liberté d’aller et venir au sein de l’unité et empêcher des contacts qui conduiraient à des contaminations ». Conciliation d’autant plus difficile, écrit-elle, pour « les patients ayant des difficultés à respecter les gestes barrières ».

Cette mise en garde de l’autorité administrative intervient deux jours seulement après la publication de son rapport sur le monde de la psychiatrie, intitulé Soins sans consentement et droits fondamentaux. Son constat : « L’hospitalisation à temps plein s’accompagne d’atteintes, plus ou moins graves, aux droits des patients, à leur dignité, avec une grande disparité selon les établissements. »

L’isolement et la contention sont des pratiques « en diminution » et désormais « interrogées dans le milieu », salue Adeline Hazan, qui a effectué avec ses équipes quelque 200 contrôles d’établissements ces douze dernières années. En revanche, le recours à l’hospitalisation « sans consentement » a augmenté de manière « préoccupante ». La contrôleuse générale en appelle à une grande loi sur la santé mentale, avec « une vraie réflexion sur ce qu’est le soin dans la maladie mentale ».

Camille Stromboni