Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : l’essai clinique Discovery englué faute de coopération européenne

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : l’essai clinique Discovery englué faute de coopération européenne

Auditionnée par le Sénat mercredi, la responsable de cette étude, visant à comparer l’efficacité de plusieurs traitements contre le Covid-19 sur 3 200 patients européens, a confirmé qu’un seul cas hors de France avait, à ce stade, été inclus.

Par Hervé Morin

Publié le 07/05/2020

Lundi 4 mai, Emmanuel Macron a indiqué que les résultats de l’essai clinique Discovery, très attendus, seraient dévoilés dix jours plus tard. Mercredi 6 mai, l’audition par la commission des affaires sociales du Sénat de l’infectiologue Florence Ader (CHU de Lyon, Centre international de recherche en infectiologie), qui pilote cette vaste étude, suggère que le calendrier du président de la République est probablement trop optimiste. La coopération européenne, qui était au centre de cet essai, est en effet enlisée, a confirmé Florence Ader, même si « aucun pays ne s’est formellement retiré des discussions ».

En France, il devait inclure au moins 800 patients atteints de formes sévères, parmi un total de 3 200 patients européens, avec pour ambition de comparer les effets thérapeutiques du remdesivir, du lopinavir et du ritonavir, ces deux derniers associés ou non à l’interféron bêta, et de l’hydroxychloroquine. Il s’agit d’un essai randomisé ouvert : le choix du traitement pour chaque patient est déterminé de façon aléatoire, mais patients et médecins savent quel traitement est utilisé.

La cohorte Discovery rencontre cependant des difficultés à monter en puissance, avait récemment expliqué au Monde Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP), directeur du consortium Reacting qui chapeaute Discovery. Il avait conclu que la coopération européenne autour de Discovery était un « échec ». A ce jour, seul un patient luxembourgeois a été ajouté aux 740 malades français enrôlés, a confirmé Florence Ader en réponse aux questions des sénateurs.

Puissance statistique affaiblie
Plusieurs pays pressentis comme partenaires – Espagne, Italie – ont fait le choix de rejoindre l’essai Solidarity, lancé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’échelle internationale sur les mêmes traitements, mais avec des critères méthodologiques et économiques moins contraignants. Le Royaume-Uni a, lui, développé sa propre étude baptisée « ReCoVery ». Et des considérations réglementaires ont retardé les discussions avec l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique ou le Portugal, soulignait Yazdan Yazdanpanah – une explication reprise par Florence Ader.

Mais il semble aussi que la défection de partenaires spécialisés dans le montage d’essais cliniques européens (Combacte, Prepare et Recover) ait laissé l’Inserm en rase campagne pour démêler les particularités réglementaires nationales.

Enfin, des considérations financières ont pu jouer : « Est-ce que tous les pays européens, s’est interrogée Florence Ader, peuvent inclure 500 patients à 5 000 euros ? » C’est, en effet, le coût de prise en charge et de gestion des données dans un essai sophistiqué comme Discovery. Une demande de soutien financier a été adressée à ce sujet à la Commission européenne.

Ces contretemps vont considérablement affaiblir la puissance statistique de Discovery : l’essai avait été conçu pour pouvoir trancher avec un minimum de 620 patients par traitement, près de cinq fois plus qu’aujourd’hui. « Plus l’efficacité des molécules est partielle, plus il faut de patients pour arriver à conclure », a rappelé Florence Ader. Or, dans les traitements évalués, « il n’y a pas de molécule miracle, sinon les Chinois et les Italiens, qui nous ont précédés dans l’épidémie, les auraient vues ». Le reflux de l’épidémie, salué par les investigateurs de l’essai clinique, signifie qu’ils risquent de ne pas avoir le quota suffisant de malades pour tirer des enseignements valides avant une éventuelle deuxième vague.

Le 11 mai, un comité d’experts extérieur doit se réunir pour apprécier les suites à donner, en fonction des données déjà disponibles (qui ne sont pas connues des investigateurs de Discovery). « Compte tenu qu’on n’a que 130 patients par bras [par traitement] (…), on a quand même beaucoup de chances qu’ils nous disent juste : continuez l’étude », a estimé France Mentré (hôpital Bichat), responsable méthodologique et statistique de Discovery, mardi 5 mai dans l’émission « C à vous » (France 5).

Si Discovery a polarisé l’attention médiatique, ce n’est cependant pas le seul essai clinique en cours en France. Au 1er mai (dernier recensement disponible), 44 essais avaient déjà été autorisés, et 36 autres étaient en cours d’instruction par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et les comités de protection des personnes, chargés d’évaluer sécurité, pertinence et qualité méthodologique des projets.

« Je vais mettre les pieds dans le plat : ce n’est peut-être pas très judicieux de lancer trente études avec dix patients », a résumé Florence Ader, qui plaide pour une régulation en faveur d’études de grande taille « qui permette de répondre aux questions ». Cette profusion ne va pas sans redondances : sur les 80 essais français connus, vingt comprennent un bras testant l’hydroxychloroquine, promue en France par l’équipe du médiatique Didier Raoult (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infections, à Marseille).