Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : la crainte d’un « cauchemar épidémiologique » au Cambodge

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : la crainte d’un « cauchemar épidémiologique » au Cambodge

Une Américaine en croisière a été testée positive au coronavirus après avoir accosté au port de Sihanoukville. 1 200 autres passagers débarqués après elle sont dans la nature.

Par Bruno Philip
Publié le 18/02/2020

Après le Diamond Princess, ce paquebot en quarantaine au port de Yokohama (Japon), un autre navire de croisière est en train de devenir, au Cambodge cette fois, ce que certains experts qualifient déjà de « cauchemar épidémiologique » : une passagère du Westerdam, battant pavillon néerlandais, qui était à quai depuis jeudi 13 février au port de Sihanoukville, a été testée positive en fin de semaine au nouveau coronavirus SARS-CoV-2, déclenchant la panique chez les autorités sanitaires de ce royaume d’Asie du Sud-Est.

Cette Américaine de 83 ans était en transit à l’aéroport de Kuala Lumpur après avoir quitté un peu plus tôt le bateau – et le Cambodge – en compagnie de 145 autres des 1 455 passagers. Elle et son mari sont désormais hospitalisés dans la capitale de Malaisie.
Mais 1 200 autres personnes ont débarqué du Westerdam depuis vendredi et seules 600 d’entre elles, dont la trace a été retrouvée, ont été priées de rester dans des chambres d’hôtels de Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Le problème, potentiellement très grave, est que l’on ne sait pas au juste où sont allés les autres passagers qui ont quitté le navire et se sont entre-temps dispersés dans la nature.

Les autorités affirment que, au minimum, 200 passagers du navire seraient partis du Cambodge et sont rentrés chez eux aux Etats-Unis et en Europe, via la Malaisie et la Thaïlande, disséminant potentiellement le virus aux quatre coins du monde…

Un angoissant voyage
Quant aux 233 clients restés à bord du bateau en compagnie de 802 membres d’équipage, ils sont en train d’être testés, comme vient de l’indiquer le gouverneur adjoint de la province de Preah Sihanouk. Le ministère cambodgien de la santé a par ailleurs indiqué « rechercher activement tout cas suspect » tout en déclarant que la population ne devait « pas trop s’inquiéter ». La compagnie « Holland America » , propriétaire du navire, affirme qu’« à ce stade, aucun autre client, ni membre d’équipage, à bord ou à l’hôtel ne présentent les symptômes de la maladie ».

Le Westerdam avait connu les jours précédents une pénible aventure digne d’un « Hollandais volant », errant de ports en ports et refusé d’accostage au fur et à mesure de sa dérive. Parti de Hongkong le 1er février, ce qui devait être une agréable croisière dans les mers du Sud-Est asiatique s’était transformé en un angoissant voyage : tour à tour, les autorités de Taïwan, des Philippines, de Thaïlande et du territoire américain de Guam, dans le Pacifique, avaient refusé au capitaine de mouiller l’ancre dans leurs ports.

Finalement, c’est le Cambodge qui finit, le 13 février, par accepter l’accostage du Westerdam au port de Sihanoukville, ville située au sud du pays, dans le golfe de Thaïlande. La décision prise par le premier ministre Hun Sen n’était pas sans arrière-pensée politique : l’homme fort du Cambodge, très proche de la Chine, s’est constamment efforcé, depuis le début de la crise sanitaire, de minimiser l’ampleur de l’épidémie et la dangerosité du virus.

Accepter un paquebot que tout le monde refusait a ainsi été une manière de montrer que le Cambodge ne craignait rien et faisait tout son possible, contrairement à nombre de pays occidentaux qui ont annulé leurs vols vers la Chine, pour prouver à son allié pékinois qu’il était avec lui en ces temps difficiles : « la seule maladie du Cambodge pour le moment est la maladie de la peur », avait fanfaronné le chef du gouvernement fin janvier. Il avait ajouté : « n’ayez pas peur d’un virus qui frappe la Chine, pas le Cambodge ».

Un tweet de remerciement de Donald Trump
A cela était venu s’ajouter, vendredi, une opération de relations publiques bien orchestrée par l’homme fort d’un pays qui vient d’être sanctionné par l’Union européenne en raison de « la répression contre l’opposition, les médias et la société civile ». Hun Sen en personne avait fait le déplacement dans le port de Sihanoukville où il avait accueilli avec des fleurs les premiers passagers en train de débarquer.
« Le royaume ne coopère pas seulement avec la Chine mais avec toutes les nations », s’était félicité le premier ministre en serrant ostensiblement la main des passagers… L’opération charme a en partie porté ses fruits : l’ambassadeur américain au Cambodge, dont le pays entretient des relations tendues avec le régime de Hun Sen, a exprimé publiquement sa gratitude. Donald Trump s’est également fendu d’un tweet de remerciement.

L’affaire du Westerdam vient en tout cas de poser un nouveau type de défi quant à la nécessité des mesures à prendre par les grandes compagnies maritimes pour enrayer la propagation du virus : les responsables de Holland America, avaient en effet assuré qu’aucune personne à bord n’était contaminée. Mais le fait qu’une passagère ait pu être testée positive alors que rien n’avait été fait pour contrôler l’ensemble des voyageurs avant de les autoriser à débarquer, en dit long sur la difficulté d’endiguement du virus.

Dans un communiqué, publié lundi, la compagnie a, en désespoir de cause, promis que « Les clients [du Westerdam] déjà repartis chez eux vont être contactés par leurs départements de santé respectifs ». Mieux vaut tard que jamais.