Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Coronavirus : le Nord et Lille confrontés au risque d’un « engorgement sanitaire »

Octobre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Coronavirus : le Nord et Lille confrontés au risque d’un « engorgement sanitaire »

La dégradation de la situation épidémique, notamment chez les personnes âgées, inquiète les autorités qui appellent les hôpitaux à se préparer à la déprogrammation des interventions hors Covid-19 pour soulager les réanimations.

Par Stéphane Mandard et Laurie Moniez

Publié le 10/10/2020

Des couronnes funéraires déposées devant la préfecture affublées de rubans « Je suis grossiste en boissons ». Vendredi 9 octobre, les cafetiers lillois avaient un message à faire passer : ils sont « en colère » contre la décision qui leur impose de fermer leurs établissements pour quinze jours à partir de samedi. Désormais placée en « zone d’alerte maximale », comme Paris, face à la progression de l’épidémie de Covid-19, Lille vacille. Comment concilier, dans une ville étudiante et forcément festive, vie sociale, activité économique et sécurité sanitaire ?

En annonçant de nouvelles restrictions pour le 1,2 million d’habitants de la métropole, le ministre de la santé, Olivier Véran, a suscité à la fois l’inquiétude des restaurateurs et le désespoir des patrons d’une partie des 800 bars lillois. « Je sais que les nouvelles mesures seront coûteuses pour certaines professions », a assuré la maire socialiste, Martine Aubry. Mais pour l’élue, également présidente du conseil de surveillance du centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille, l’un des plus importants établissements publics de santé du nord de l’Europe, le passage en zone d’alerte maximale est « justifié ».

Cette semaine, tous les voyants ont viré au rouge, voire au rouge vif à Lille. Les taux d’incidence dans tous les départements des Hauts-de-France s’établissent désormais à une moyenne régionale de 158,6 pour 100 000 habitants, supérieure depuis plusieurs semaines à la moyenne nationale (116,2). La situation est particulièrement préoccupante dans le Nord avec un taux qui dépasse 200 depuis trois semaines et atteint désormais 308 dans la métropole lilloise. Un infléchissement qui, selon l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France, démontre une « très forte circulation du virus » et « une situation épidémique inquiétante ».

Quarante et un décès en une semaine
Cette augmentation inquiète d’autant plus l’ARS qu’elle est particulièrement marquée chez les personnes âgées, plus à risque de développer des formes graves du Covid-19. Les taux d’incidence des 60-69 ans (141,7), 70-79 ans (132,3) et 80-89 ans (173,3) dans le département du Nord sont deux fois plus élevés que les moyennes nationales. A Lille, il atteint même 276 chez les plus de 65 ans.

L’ARS est également « préoccupée » par l’augmentation continue des hospitalisations, notamment dans les services de réanimation où le taux d’occupation de patients atteints du Covid-19 a désormais dépassé les 30 %. La région a également enregistré 41 décès en une semaine (entre le 28 septembre et le 4 octobre) dont plus de la moitié dans le Nord.

Au CHU de Lille, chargé de coordonner une dizaine d’établissements hospitaliers d’Hazebrouck à Seclin, on indique que l’augmentation de l’activité reste contrastée selon les villes. « Il y a des tensions plus fortes sur Roubaix et Tourcoing, note le directeur général du CHU de Lille, Frédéric Boiron. On discute de la possibilité de se répartir certaines prises en charge. » L’heure est à la vigilance.

« Notre rôle est de faire face à la crise et de s’adapter en fonction de la demande des hôpitaux, précise M. Boiron. Globalement, au niveau régional, notre système peut faire face, mais certains établissements, notamment dans le nord-est de la métropole, sont face à des situations difficiles donc, plus on arrive à maîtriser la circulation virale, moins on aura d’effets négatifs dans les prochaines semaines. »

Un taux d’absentéisme de 12 % au CHU de Lille
Au CHU de Lille, la situation est sous contrôle avec 66 cas de Covid-19, dont une vingtaine placée en réanimation. Du côté du personnel, qui s’apprête à gérer une nouvelle vague, sur les 9 000 salariés (sur 16 000) déjà testés, 5,2 % étaient positifs. « Une moyenne satisfaisante », pour la direction du CHU.

Plus inquiétant, le taux d’absentéisme est d’environ 12 %, avec près de 1 500 personnes prévues au planning absentes ; un signe d’épuisement des équipes. « On a fait beaucoup de recrutements et une partie des nouveaux moyens spécifiques à cette crise peuvent être pérennisés », rassure le directeur général du CHU de Lille.

L’objectif affiché de cet hôpital de référence est pour l’heure de répondre aux besoins des patients atteints du Covid-19 et des autres. « On a une certaine expérience désormais et ça permet de s’organiser plus vite », estime Frédéric Boiron, qui ne souhaite pas qu’une partie des patients cessent leurs soins, comme ce fut le cas lors du confinement. Pas question, pour l’instant, de déprogrammer des interventions.

Vendredi 9 octobre, le nouveau directeur de l’ARS des Hauts-de-France, Benoît Vallet, a toutefois demandé aux hôpitaux où les services de réanimation sont les plus sous tension de se préparer à de premières mesures de déprogrammation. « Déprogrammer et reprogrammer les actes chirurgicaux est la seule façon d’obtenir des lits supplémentaires en réanimation et d’éviter un futur engorgement de notre offre de soins », souligne au Monde Benoît Vallet, dont la nomination à la tête de l’ARS a été précipitée par la dégradation de la situation épidémiologique et sanitaire. L’ancien directeur général de la santé a pris ses fonctions le 5 octobre. « Un encombrement sanitaire peut se faire très vite », alerte-t-il.

Un risque de saturation en réanimation
Ancien médecin anesthésiste et réanimateur, le professeur Vallet observe en effet une « aggravation de la population réanimatoire ». Comprendre, les admissions en réanimation concernent aujourd’hui des patients plus âgés, plus fragiles et plus souvent intubés. « La durée de séjour de ces patients va s’allonger, prévoit-il. On est déjà passé d’une semaine à deux semaines. » Avec, comme conséquence, un risque de saturation en « réa » dans les prochaines semaines. Aussi, pour le nouveau directeur de l’ARS, « c’est maintenant qu’il faut agir pour contenir cette vague avec des mesures chirurgicales comme la fermeture des bars et éviter des solutions plus massives comme le couvre-feu ou le confinement ».

Des mesures pas toujours bien comprises par la population. « Il y a un problème de restrictions des libertés avec son coût socio-économique, analyse Julien Poissy, chef du pôle réanimation du CHU de Lille. Qu’est-ce que la société est prête à accepter comme prix à payer en termes de décès pour maintenir son activité ? Ce débat n’a jamais été mis sur la table, peut-être faut-il le faire. » Plus terre à terre, le président du département du Nord, Jean-René Lecerf, attend « une prise de conscience plus évidente de tous sur les dangers de la situation, notamment de la part des populations les plus jeunes ».

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Covid-19 : la promesse intenable des 12 000 lits disponibles en réanimation
Dans le département voisin du Pas-de-Calais, à l’hôpital de Lens, la situation commence aussi à se tendre. « On est dans un service décimé où il ne reste que cinq médecins urgentistes équivalent temps plein contre vingt-cinq il y a quelques années, déplore Jean Létoquart, infirmier anesthésiste au service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) de Lens et délégué CGT. Tous les hivers, juste avec la grippe, on crie au secours. Alors je ne sais pas comment on va faire avec les malades du Covid. »

Pour le syndicaliste, « l’hôpital n’a rien anticipé ». Vendredi 2 octobre, raconte-t-il, six patients atteints du Covid-19 arrivent aux urgences en situation de souffrance. Plus de place en réanimation. « On appelle l’administrateur de garde pour lui demander de rouvrir une unité Covid. Il nous répond de les mettre en pneumologie… Un service que la direction a fermé il y a quatre ans. » Commentaire amer et fataliste de M. Létoquart : « Ils ne savent même plus les services qu’ils ont fermés tellement ils en ont fermé, mais les gens préfèrent se mobiliser contre la fermeture des bars et des restos. »