Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : « Il est à craindre, pour le futur, que le SARS-CoV-2 et ses variants fassent des écoles des foyers épidémiques importants »

Avril 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : « Il est à craindre, pour le futur, que le SARS-CoV-2 et ses variants fassent des écoles des foyers épidémiques importants »

TRIBUNE

Selon un collectif de médecins et de chercheurs, il serait nécessaire de prendre des mesures plus contraignantes pour réduire la transmission du Covid-19 à l’école.

Publié le 27/04/2021

Malgré ses appels à la vigilance, le premier ministre Jean Castex a donné le sentiment, lors de sa conférence de presse du 22 avril, que nous étions entrés dans une nouvelle ère. « Le pic de la troisième vague semble derrière nous », a-t-il déclaré. Le bout du tunnel serait en vue, avec une fin programmée de l’épidémie et un retour à la vie normale à l’été.

Pourtant, après seulement trois semaines de mesures de freinage plus ou moins renforcées, le niveau de circulation virale reste très élevé en France. De l’ordre de 30 000 nouveaux cas positifs par jour, alors que l’on teste moins, notamment dans les tranches d’âges les plus basses. La France est aujourd’hui l’un des pays où l’incidence est la plus forte : presque deux fois plus de nouveaux cas quotidiens rapportés à la population que l’Italie et l’Allemagne et treize fois plus que le Royaume-Uni. Si la vaccination avance, les services de réanimation ne désemplissent pas et les nouveaux variants, touchant davantage de sujets plus jeunes, menacent l’efficacité vaccinale.

L’évolution serait plus favorable dans les régions les plus touchées (Ile-de-France, Hauts-de-France et Alpes-Maritimes). La fermeture des établissements scolaires au moment des vacances de printemps y était la seule mesure supplémentaire significative pour freiner l’épidémie. Quel effet aura sa levée, alors que le virus circule à un niveau bien plus élevé que chez nos voisins lorsque ceux-ci ont commencé à déconfiner ?

Dépistage systématique
Le premier ministre et le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont donné des gages pour sécuriser les écoles : protocole renforcé et forte augmentation des tests dans les établissements. Faute d’une stratégie de prévention robuste – qui supposerait des objectifs épidémiologiques clairs et des indicateurs d’alerte fiables –, le risque est majeur de voir l’épidémie prospérer à la faveur de cette réouverture, sous la forme d’un plateau haut, d’une lente décrue ou, possiblement, d’une nouvelle reprise épidémique avant l’été.

Les annonces sur le dépistage restent en deçà des préconisations du conseil scientifique dans son avis du 19 avril 2021 sur les autotests. Une modélisation montrait que des dépistages réguliers dans les écoles réduisent l’intensité de l’épidémie lorsque l’adhésion et la fréquence des tests augmentent.

La plupart de nos voisins ont rodé des stratégies robustes permettant la surveillance et l’alerte réactive : des autotests sont utilisés pour les élèves, dès l’école primaire, deux fois par semaine en Allemagne, au Royaume-Uni et en Autriche. De plus, pour être efficaces, ces tests doivent être systématiques, donc appuyés par une campagne d’incitation forte auprès des familles.

En France, à partir du 10 mai, les lycéens de 15 ans et plus pourront pratiquer, comme les enseignants depuis le 26 avril, ces autotests (64 millions d’autotests ont été commandés). Mais ces tests ne seront pratiqués qu’une fois par semaine.

Les écoliers sont encore moins bien lotis. Le nombre de tests salivaires passera de 300 000 par semaine à la fin mars, à 600 000 à la mi-mai, quand l’Autriche, avec ses 9 millions d’habitants, procède à 1 million de tests par semaine. Même doublés, ces tests couvriront moins de 10 % des plus de 6 millions d’élèves du primaire. Chez ces enfants, souvent asymptomatiques, beaucoup de cas positifs passeront inaperçus.

Nous sommes encore loin d’un dépistage rigoureux et organisé dans la durée. Des commandes massives de tests salivaires doivent impérativement être passées. En attendant, nous proposons de donner la priorité aux zones les plus touchées. Au niveau de circulation virale qu’elles connaissent, la réouverture des écoles ne peut se penser sans un dépistage systématique, adossé à l’isolement.

Anticiper la rentrée de septembre
La meilleure prise en compte annoncée du risque de contamination par voie aérienne dans les établissements scolaires va dans le bon sens. Il est enfin admis que le port du masque, dans un espace clos, insuffisamment ventilé et densément fréquenté, ne constitue pas une protection suffisante. L’aération est clé. Jean-Michel Blanquer a déclaré « encourager » les collectivités à se doter de détecteurs de CO2 et de purificateurs d’air. Déclaration qui ne laisse entrevoir aucun soutien financier de l’Etat. Protéger la santé au sein des écoles impose de doter les établissements de tels équipements si l’on décide de les ouvrir. A défaut d’appareils, la simple ouverture des fenêtres est impérative. Là encore, un nouveau protocole prévoyant d’aérer les classes une fois par heure est insuffisant, très en dessous de celui en vigueur en Allemagne qui, sur la base de données scientifiques, recommande une aération trois fois par heure.

Même si les enfants subissent très peu de formes graves, ils sont infectés à proportion de leur exposition et peuvent transmettre le virus. Avoir un enfant scolarisé dans le secondaire accroît de 30 % le risque pour les parents d’être infectés, selon l’étude Comcor menée par l’institut Pasteur. Pour Arnaud Fontanet, membre du conseil scientifique, « l’école est le talon d’Achille assumé du dispositif actuel ». Elle devient donc plus que jamais un lieu stratégique pour enrayer la circulation du SARS-CoV-2 et doit être la priorité dans la lutte contre l’épidémie.

Nous devons également anticiper la rentrée de septembre 2021. Davantage d’adultes seront vaccinés, mais les 15 millions de mineurs que compte notre pays seront de plus en plus touchés par la circulation du virus. Il est à craindre pour le futur que le SARS-CoV-2 et ses variants échappant aux vaccins, aujourd’hui minoritaires, touchent principalement les enfants et fassent des écoles des foyers épidémiques importants. Il est plus que temps de se préparer à cette éventualité.

Derrière l’optimisme de l’exécutif, nous sommes frappés par l’absence d’objectifs sanitaires clairs, corrélés à des indicateurs chiffrés. Le volontarisme affiché ne peut cacher le flou de la base sur laquelle s’appuient les décisions annoncées. L’épidémie en France se situe sur un plateau très élevé et c’est à ce moment que commencent à être levées les mesures de freinage, au risque d’une reprise épidémique.

Thierry Baubet, psychiatre, chef de service psychiatrie addictologie, Hôpital Avicenne (AP-HP)* ; Francis Berenbaum, chef du service de rhumatologie, hôpital Saint-Antoine (AP-HP) ; Eric Billy, chercheur en immuno-oncologie (Strasbourg)* ; Matthieu Calafiore, médecin généraliste, maître de conférences des universités, directeur du département de médecine générale de la faculté de Lille* ; Franck Clarot, médecin légiste, radiologue, vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues (Seine-Maritime)* ; Corinne Depagne, pneumologue (Lyon)* ; Jonathan Favre, ancien chef de clinique de médecine générale à Lille* ; Guillaume Gorincour, radiologue, vice-président du conseil départemental de l’ordre national des médecins (Bouches-du-Rhône)* ; Mélanie Heard, responsable du pôle santé du cercle de réflexion Terra Nova ; Stéphane Korsia-Meffre, vétérinaire et rédacteur médical* ; Christian Lehmann, médecin généraliste, écrivain* ; Jérôme Marty, médecin généraliste, président de l’Union Française pour une médecine libre (UFML)* ; François-Xavier Moronval, médecin urgentiste (Lorraine)* ; Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Tenon (AP-HP) ; Michaël Rochoy, ancien chef de clinique de médecine générale à Lille* ; Hélène Rossinot, médecin spécialiste de santé publique, écrivaine* ; Dominique Salmon, chef du service des maladies infectieuses et tropicales, Hôtel-Dieu (AP-HP) ; Barbara Serrano, consultante indépendante et maîtresse de conférences associée à l’Université de Versailles-Saint-Quentin* ; Elisa Zeno, ingénieure de recherche, cofondatrice de l’association École et familles oubliées ; Florian Zores, cardiologue (Strasbourg)* ; Mahmoud Zureik, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université de Versailles-Saint-Quentin*.