Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : l’exécutif de plus en plus embarrassé par la dégradation de la situation en Ile-de-France

Mars 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : l’exécutif de plus en plus embarrassé par la dégradation de la situation en Ile-de-France

En dépit d’une pression grandissante sur le système de santé, le gouvernement a décidé d’attendre avant de prendre les éventuelles mesures « qui s’imposeraient ».

Par Claire Gatinois et Camille Stromboni

Publié le 12/03/2021

A ceux qui se seraient un trop peu vite projetés dans le « monde d’après », imaginant une France bientôt débarrassée des contraintes liée à la pandémie de Covid-19 et prête à plonger dans une euphorie digne des années folles, le ministre de la santé, Olivier Véran, a émis, jeudi 11 mars, un cinglant rappel à l’ordre. Bien qu’aucune nouvelle restriction n’ait été décidée, l’heure n’est pas au relâchement mais à la « mobilisation totale », a-t-il appelé lors de la conférence de presse hebdomadaire du gouvernement consacrée au coronavirus. La situation actuelle est « tendue » et « inquiétante », a-t-il insisté.

A l’échelle nationale, la progression de la maladie n’est pas de nature à affoler. Mais la stabilité globale des courbes sur un « plateau haut » masque une évolution très hétérogène des cas de contaminations.

Ainsi, dans les Pyrénées-Atlantiques, le taux d’incidence s’affichait, jeudi, à 44 pour 100 000 habitants, contre plus de dix fois plus (472) dans les Alpes-Maritimes. L’approche régionalisée de la gestion de la pandémie, qui a conduit l’exécutif à décréter un confinement les week-ends dans les zones les plus affectées, comme Nice, Dunkerque (Nord) ou le Pas-de-Calais, est donc « plus que jamais pertinente », a conclu M. Véran.

Flambée des entrées en réanimation
Sur les vingt-trois départements placés depuis le début du mois en surveillance renforcée, l’Ile-de-France préoccupe tout particulièrement. Le nombre de cas progresse et, surtout, les entrées en réanimation flambent. « Toutes les douze minutes, un Francilien, nuit et jour, est admis en lit de réanimation », a souligné M. Véran.

Pour expliquer cette percée de cas graves, alors que le nombre de contaminations augmente plus lentement, les médecins pointent la responsabilité du variant anglais, qui représente près de 70 % des cas observés dans la région. S’il n’est pas possible d’établir à ce jour un lien évident de causalité, « la situation en réanimation correspond, en tout cas, à ce que prévoyaient les modélisations avec l’arrivée de ce variant à la transmissibilité accrue », signale le professeur de santé publique et épidémiologiste Mahmoud Zureik. « Le variant serait responsable de davantage de formes graves », a affirmé, quant à lui, M. Véran.

Dans les hôpitaux franciliens, cette envolée suscite un mélange d’épuisement et d’angoisse. « On a un peu l’impression de revivre ce qui nous est arrivé il y a un an, quand l’épidémie, après avoir avancé à bas bruit, sort de sa boîte d’un coup », explique David Heard, responsable de la communication de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France.

« Ça ne peut pas durer éternellement, s’alarme aussi le professeur Jean-Michel Constantin, anesthésiste-réanimateur à la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Aujourd’hui, on réussit encore à garder la tête hors de l’eau, en s’équilibrant d’un établissement à l’autre, mais nous n’avons pas de marge et rien ne permet de penser que ça va baisser dans les jours qui viennent, au regard des contaminations. » « On est proche du nombre de patients atteints au pic de la deuxième vague », abonde Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. « Il faut trouver un système de freinage ! », plaide-t-il.

« Tirer sur la corde au maximum »
En dépit de cette pression grandissante sur le système de santé, le gouvernement a pourtant décidé d’attendre avant de prendre les éventuelles mesures « qui s’imposeraient » – à savoir, un confinement. D’ici là, « nous faisons tout pour faire face », s’est défendu le ministre, évoquant le transfert possible, dans les jours à venir, de « dizaines, voire de centaines » de malades atteints du Covid-19 vers des régions moins touchées et la déprogrammation plus massive d’activités ne concernant pas le SARS-CoV-2 dans les hôpitaux.

Certes, les chiffres ne sont pas encore ceux atteints lors de la première vague, avec 2 700 patients en réanimation au pic d’avril 2020. Mais la barre des 1 000 personnes hospitalisées en soins critiques a déjà été franchie le 9 mars et le pic de novembre 2020 est presque atteint, avec 1 080 patients au 11 mars. A la fin du mois, si la même dynamique se poursuit, nous atteindrons le « seuil critique », d’après le ministre de la santé, de 1 500 personnes atteintes du Covid-19 en réanimation.

Dès lors, pourquoi ne pas agir dès maintenant ? Les hôpitaux franciliens ont été capables de monter à plus de 2 000 patients en réanimation en première vague, mais cela a un prix, souligne Stéphane Gaudry, réanimateur à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) : « On va mettre bientôt les malades dans les blocs opératoires, avec un soin de moindre qualité, déprogrammer encore plus d’autres patients et continuer avec au moins 300 morts par jour en France… Ce n’est pas pour protéger “l’hôpital” qu’il faut prendre des mesures, mais pour les patients et les familles ! », dit-il.

A ses yeux, le message politique est clair : « On va tirer sur la corde au maximum à l’hôpital, en espérant qu’elle ne craque pas. On le sait tous, si l’Ile-de-France n’est pas confinée, cela n’a rien à voir avec les indicateurs sanitaires ou la pression hospitalière, qui y sont largement aussi inquiétants que dans les autres régions qui ont reconfiné. »

Eviter un passage en force
De fait, l’Ile-de-France n’est pas une région comme les autres. « Le problème, c’est que là on est sur du tout ou rien », souligne-t-on à Matignon. Reconfiner uniquement les zones les plus tendues comme la Seine-Saint-Denis n’aurait « aucun sens », poursuit notre source, évoquant la multitude d’habitants qui travaillent à Paris et sont ainsi amenés à voyager chaque jour d’un département à l’autre. « Ce qui me paraîtrait invraisemblable, c’est de confiner Paris sans confiner l’ensemble de la région », a aussi pointé Valérie Pécresse, la présidente (Libres !) de l’Ile-de-France, lors de son intervention au « Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI » le 28 février.

Situation à Paris (75)
Le taux d’incidence est de 344 pour 100 000 habitants au 8 mars 2021, contre 223 sur tout le territoire national.

Parallèlement, la proportion de personnes hospitalisées en raison du Covid-19 est de 53 pour 100 000 (contre 37 dans toute la France), soit 1 149 personnes dont 305 en soins intensifs, au 11 mars.

Or, bien que son adjoint Emmanuel Grégoire ait, dans un premier temps, appelé à confiner la capitale, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a fait savoir qu’elle considérerait qu’une telle option serait « inhumaine », se faisant ainsi le reflet de la lassitude des Parisiens face au couvre-feu déjà imposé. « Il va falloir se reparler collectivement. Pour le moment, on ne peut pas dire qu’on ait été aidés par les élus de Paris », commente l’urgentiste Thomas Mesnier, député de la Charente pour le parti présidentiel La République en marche.

Le gouvernement préférerait, de fait, éviter un passage en force. « L’acceptabilité d’une mesure est toujours à prendre en compte. Sinon, elle est inutile », fait-on remarquer dans l’entourage du premier ministre, Jean Castex. On souligne aussi que, compte tenu de son poids économique et de sa densité, confiner l’Ile-de-France « équivaudrait à un reconfinement national ». Dit autrement : une telle décision mérite une mûre réflexion.

Accélérer la vaccination
Embarrassé, l’exécutif semble encore capable de justifier un traitement différencié entre l’Ile-de-France et des départements déjà confinés. Mais le point de bascule devient de plus en plus flou. « Il n’y a pas d’indicateurs précis chiffrés en termes de réanimation, c’est une pression sanitaire, une tendance et une capacité de notre système de santé à s’organiser pour tenir » qui entrent en compte, a expliqué Olivier Véran. « On est sur le fil du rasoir », souffle une source gouvernementale.

Jusqu’ici rétif à imposer des mesures trop drastiques, l’Elysée ne ferme plus la porte à un confinement dans le département dans les jours à venir, en cas d’aggravation de la situation dans les services de réanimation. Un point d’étape pourrait être organisé dimanche 14 mars, afin de réévaluer la situation et les mesures à prendre.

D’ici là, le gouvernement entend poursuivre la campagne vaccinale à un rythme accéléré, pour tenter de prendre de court la propagation du virus et, en particulier, du variant britannique. « Il faut que ça crache », lâche un proche du chef de l’Etat, qui reste confiant sur l’objectif de vacciner 10 millions de Français d’ici à la mi-avril et, ainsi, leur offrir la perspective d’un retour à la « vie presque normale ».