Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : le conseil scientifique craint des hôpitaux débordés « d’ici à quelques semaines »

Octobre 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : le conseil scientifique craint des hôpitaux débordés « d’ici à quelques semaines »

Si la trajectoire de l’épidémie ne change pas, les modélisations anticipent entre 3 800 et 12 400 décès supplémentaires du Covid-19 au 1er novembre, sans tenir compte des Ehpad ni de la surmortalité en cas de saturation des services hospitaliers.

Par Chloé Hecketsweiler

Publié le 1er Octobre 2020

Un médecin affecté à un patient atteint de Covid-19, aux urgences de l’hôpital La Timone, à Marseille, le 11 septembre.
Un médecin affecté à un patient atteint de Covid-19, aux urgences de l’hôpital La Timone, à Marseille, le 11 septembre. CHRISTOPHE SIMON / AFP
« Il faut apprendre à vivre avec, mais cette vie sera différente. » C’est un horizon de long terme, bien loin de celui auquel les Français pouvaient encore aspirer il y a quelques mois, que le conseil scientifique trace dans son nouvel avis. Remis le 22 septembre aux autorités, mais rendu public seulement le 1er octobre, ce document de 42 pages dresse un constat alarmant de la situation épidémique et souligne « l’urgence d’agir » pour en reprendre le contrôle. Les modélisations sur lesquelles il s’appuie anticipent – si rien n’était fait – un débordement des capacités hospitalières dans plusieurs régions dès le 1er novembre, avec plusieurs milliers de décès à la clé.

« Le virus a commencé à circuler chez les jeunes cet été mais, faute de mesures barrières suffisantes, on observe actuellement un phénomène de propagation à l’ensemble des groupes d’âge », constate le conseil scientifique, qui craint de voir les hôpitaux débordés d’ici « quelques semaines », avec, à la clé, une « augmentation de la mortalité liée au Covid-19, mais aussi d’autres maladies suite à une désorganisation du système de soins ».

Les scientifiques rappellent que l’immunité de la population – entre 3 % et 10 % selon les régions – « ne permet pas d’envisager la circulation libre du virus ». Selon leurs estimations, mi-septembre, le nombre de nouveaux cas quotidiens s’élevait à 25 000 avec un doublement des cas toutes les deux semaines. La « situation semble moins préoccupante qu’en mars dernier » – avec 100 000 cas quotidiens et un doublement tous les trois jours –, mais « elle peut rapidement conduire, en l’absence de nouvelles interventions, à des situations critiques à court ou moyen terme dans certaines régions », avertissent les auteurs.

Le conseil, qui estime « encore possible » de ralentir la circulation du virus, liste quatre options possibles : s’en tenir aux mesures déjà prises, prendre « des mesures différenciées » en fonction des risques liés à l’âge et à l’état de santé, combiner « des mesures de portée limitée » – comme le télétravail – faisant appel à « l’adhésion volontaire », ou prendre « des mesures fortes et plus contraignantes » – comme le couvre-feu. Mis en œuvre en Guyane à partir du mois de juillet – les habitants n’avaient plus de droit de circuler à partir de 17 heures –, il avait permis de faire baisser le taux de reproduction – le R0 dans le jargon – de 1,7 à 1,1.

« Choix complexes et difficiles »
Dans le second scénario, les personnes à risques – 22 millions de personnes au total – pourraient être amenées à restreindre de façon volontaire ou contraignante leurs activités sociales pour limiter leur exposition sans faire peser d’effort supplémentaire sur le reste de la population. « En mai, nous avions proposé, de maintenir une forme de confinement pour ces personnes-là. Cela avait été très mal vécu », rappelle Franck Chauvin, membre du conseil scientifique, et président du Haut Conseil de la santé publique.

Le troisième scénario repose sur une version atténuée, « laissant [à ces personnes] le soin de décider pour elles-mêmes », mais avec des contraintes plus importantes pour le reste de la population. Les personnes pourraient être « fortement invitées à limiter volontairement le nombre de leurs contacts sociaux au cours d’une période donnée, notamment lors de réunions familiales et amicales, qui sont identifiées comme des moments de contamination car la distance physique et le port du masque y sont moins respectés ».

« On n’a pas conscience que des gens de sa propre famille peuvent présenter un danger », souligne Franck Chauvin. Pour protéger les plus de 70 ans, « il faudra faire un effort de pédagogie à ce sujet : il ne s’agit pas de réduire les liens sociaux, mais d’avoir des liens sociaux différents. », poursuit le médecin.

Dans ce dixième avis – qualifié de « note d’alerte » – le conseil reconnaît les « choix complexes et difficiles » requis par ces différentes stratégies mais encourage les politiques à se décider sans délai :

« Au regard du délai entre la mise en place de mesures prises et leur impact sur la dynamique de l’épidémie et notamment des hospitalisations, tout retard se traduirait par la nécessité, pour produire les mêmes effets, de mesures ultérieures plus fortes et de plus longue durée que celles qui auraient été prises plus tôt. »

Les scientifiques soulignent aussi que « des mesures fortes et précoces peuvent être difficiles à accepter tant qu’il n’y a pas de crise visible. Inversement, s’il y a une nouvelle crise, ne pas avoir mis en place ces mesures serait sans doute reproché a posteriori ».

« Une évaluation rigoureuse des coûts et avantages des décisions à prendre reste difficile et n’est en tout état de cause pas disponible », regrette le conseil. Les scientifiques, rappellent aussi « la dimension éthique » de certains choix avec des conséquences sur « la mortalité directe ou indirecte induite à court, moyen ou long terme pour différentes catégories de la population ».

« Signal d’alerte »
Plusieurs modélisations donnent une idée de ce qui pourrait se passer selon que le taux de reproduction reste stable, augmente ou diminue, et selon la proportion de malades hospitalisés transférés en réanimation. La durée moyenne de séjour prise en compte est de quatorze jours. « Dans le scénario de référence où la dynamique de croissance des admissions reste inchangée, on s’attend à ce qu’au 1er novembre, les besoins de lits de réanimation soient de 1 650 lits en Auvergne-Rhône-Alpes, 2 250 en Ile-de-France, 780 en Nouvelle-Aquitaine, 340 en Occitanie et 600 en PACA » si la probabilité d’admission en réanimation pour les personnes déjà hospitalisées se maintient à 22 %, indiquent les auteurs. Dans une version plus optimiste, avec un taux de passage en réanimation de 14 %, ces besoins passeraient à « 1 090 lits en Auvergne- Rhône-Alpes, 1 490 en Ile-de-France, 530 en Nouvelle-Aquitaine, 230 en Occitanie et 400 en PACA ».

Dans la version « pessimiste » jusqu’à 5 620 lits de réanimation pourraient ainsi être occupés par des patients atteints du Covid dans ces régions au 1er novembre et 3 740 dans la version « optimiste ». Lors de la première vague, la barre des 7 000 lits avait été franchie au pic, le 8 avril, dont près de 2 700 en Ile-de-France, au prix de la déprogrammation d’une grande partie des interventions chirurgicales. Selon les chiffres transmis par le DGS au Monde, 6 000 lits de réanimation sont actuellement disponibles, avec la possibilité d’étendre cette capacité à 12 000.

« Il y a beaucoup d’incertitudes autour de ces paramètres », rappelle Simon Cauchemez, membre du conseil scientifique et auteur des modélisations, soulignant que de petites variations dans le nombre de reproduction ont un très grand impact sur ce qui se passe après quelques semaines. « Pour l’heure, la dynamique est inquiétante, mais nous espérons que les changements de comportements et les mesures prises ces derniers jours dans les régions les plus touchées, vont être suffisants pour changer la trajectoire de l’épidémie », indique le chercheur. L’avis souligne que, « sans changement, la dynamique de croissance se poursuivra au-delà du 1er novembre avec un bilan qui continuera à s’alourdir avec le temps ».

Ces modélisations, qui sont d’abord « un signal d’alerte », anticipent à l’hôpital « entre 1 600-3 500 décès en Auvergne-Rhône-Alpes, 2 000-5 000 décès en Ile-de-France, 700-1 600 décès en Nouvelle-Aquitaine, 400-800 décès en Occitanie et 700-1 500 décès en PACA selon que l’on applique le taux de mortalité hospitalière observé à la fin (12 %) ou au début (25 %) de la première vague ». Soit, au total, entre 3 800 et 12 400 décès, sans tenir compte de la surmortalité qui pourrait survenir en cas de saturation des services hospitaliers ni de la mortalité dans les Ehpad. « Il y a là aussi pas mal d’incertitudes liées à l’âge des patients hospitalisés, à la sévérité des cas admis à l’hôpital, et à l’évolution de la prise en charge », explique Simon Cauchemez, en précisant que le modèle n’est pas applicable aux Ehpad du fait de « dynamiques de transmission différentes ».

Chloé Hecketsweiler