Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : les indicateurs baissent, mais la circulation des nouveaux variants s’accélère

Février 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : les indicateurs baissent, mais la circulation des nouveaux variants s’accélère

Selon les projections de l’équipe de Vittoria Colizza, le variant britannique va s’imposer dans les prochaines semaines « en l’absence d’une distanciation sociale plus rigoureuse et intensifiée ».

Par Delphine Roucaute

Publié le 19/02/2021

La situation épidémique devient de plus en plus compliquée à lire, les épidémiologistes s’accordent sur ce point. Depuis plusieurs jours, les indicateurs très surveillés que sont le nombre de nouveaux cas de Covid-19 dans la population, les nouvelles hospitalisations ou encore les admissions dans les services de réanimation, sont à la baisse au niveau national, même s’ils se situent encore à un niveau très élevé. Ces chiffres montrent l’impact du couvre-feu sur la dynamique de la souche du virus dite « historique » circulant en France depuis un an.

Mais, en parallèle, les enquêtes montrent une progression des nouveaux variants : alors que le variant britannique représentait 25 % des cas criblés la semaine dernière, il est passé aujourd’hui à 36 % ; les variants sud-africain et brésilien correspondent à 5 %. « Aujourd’hui, on n’a pas de doute sur le fait que les variants vont changer la dynamique de l’épidémie, mais le doute plane sur le moment où ce changement va apparaître dans les courbes », commente Pascal Crépey, enseignant-chercheur en épidémiologie et biostatistiques à l’Ecole des hautes études en santé publique à Rennes.

Selon l’épidémiologiste, le variant britannique a peut-être été initialement surévalué dans les enquêtes de dépistage, car causant plus de symptômes. Si cette surévaluation ne change pas sa progression dans le temps, elle modifie toutefois le moment où il devient dominant parmi les nouveaux cas, et donc décale l’instant où sa courbe croise celle de la souche historique.

Pour expliquer cette situation, le ministre de la santé, Olivier Véran, a convié à ses côtés lors du point sanitaire hebdomadaire la chercheuse Vittoria Colizza, directrice de recherche à l’Inserm. Avec son équipe, elle a publié, le 14 février, une étude proposant des projections des admissions à l’hôpital selon différents scénarios de restrictions.

Eviter une saturation des services de santé
« En l’absence d’une distanciation sociale plus rigoureuse et intensifiée, le variant britannique progressera rapidement dans les prochaines semaines, avec un calendrier plus précoce dans les régions signalant une forte présence du variant, comme en Ile-de-France », expliquent les auteurs de l’étude. Parmi les mesures mises en avant figurent le respect du télétravail et le renforcement de la stratégie de dépistage, qui proposera notamment, à la rentrée, des tests salivaires dans les écoles. Si l’augmentation de la couverture vaccinale est essentielle, elle ne devrait avoir un impact sur la courbe épidémique qu’à partir d’avril, selon ces projections.

Par ailleurs, Olivier Véran a annoncé que l’isolement de toutes les personnes positives passera de sept à dix jours à partir de lundi ; il restera, en revanche, de sept jours pour les cas contacts. A l’appui de cette décision, le ministre cite « certaines études scientifiques évoquant la possibilité que les variants puissent être responsables d’une durée de contagiosité plus importante ». Parmi elles, une étude menée sur soixante-cinq joueurs et employés de la NBA, la ligue de basket nord-américaine, – dont sept atteints du variant britannique –, qui montre que cette plus grande contagiosité pourrait s’expliquer par un temps d’infection plus long. Si l’échantillon est trop réduit pour tirer des conclusions définitives, cette piste se vérifie déjà dans certains territoires.

Dans le centre hospitalier intercommunal de Toulon - La Seyne-sur-Mer, où elle dirige l’unité Covid-19, la docteure Clarisse Audigier-Valette a accueilli de nombreux malades contaminés dans des clusters du haut Var, où le variant britannique était largement majoritaire. Parmi ces patients, elle a pu observer des personnes plus jeunes, entre 30 et 45 ans, avec une aggravation plus tardive de la maladie, jusqu’à quinze jours après les premiers symptômes. Ces personnes présentaient également des taux de lymphocytes très bas, nécessitant une dépendance plus longue à l’oxygène et donc des durées d’hospitalisation allongées.

Cette situation est encore loin de concerner tous les centres hospitaliers et varie, bien évidemment, suivant que les territoires sont plus ou moins touchés par le variant britannique et les clusters afférents. Mais, pour la pneumologue, cette évolution des caractéristiques de la maladie est à anticiper, afin d’éviter une saturation des services causée par la flambée des cas à venir et par leur durée d’hospitalisation plus longue. « Avec un virus plus contagieux comme l’est le variant britannique, il y a un risque de perdre les signaux de l’épidémie dans cette phase de transition, surtout quand plusieurs indicateurs se chevauchent, explique-t-elle. Et ce qui n’est pas acceptable aujourd’hui, c’est de mourir parce qu’on n’a pas pu accéder aux soins. »

« Discordance »
Dans d’autres territoires, comme en Alsace, on observe plutôt, depuis une semaine, une sorte de détente dans les services hospitaliers, mais « il faut rester prudents », avertit Yves Hansmann, chef du service des maladies infectieuses du CHU de Strasbourg. « Au Royaume-Uni, la situation a dégénéré dès que le variant est devenu dominant, donc la situation peut évoluer dès la semaine prochaine », rappelle-t-il.

Au CHU de Strasbourg, les patients ont été infectés par un panel de variants large, dont il est encore difficile de mesurer l’impact. Dans cette période d’entre-deux, les équipes hésitent sur la conduite à tenir par rapport aux déprogrammations des activités hors Covid-19. Est-il déjà envisageable de relâcher la pression dans les services ou faut-il se tenir prêt à faire tout de suite face à une flambée des cas ?

Dans une note envoyée à tous les personnels de santé, lundi 15 au soir, la direction générale des soins a mis à jour certains protocoles de prise en charge des patients et d’isolement des personnels contaminés. Un ton alarmiste qui tranche avec la communication gouvernementale jusque-là en vigueur. « Il y a une discordance entre l’annonce de chiffres rassurants et le ton de cette communication interne, qui est un signal annonçant qu’on va devoir se mettre en tension », commente la docteure Audigier-Valette.

« On est en quelque sorte sur une ligne de crête », souligne Rodolphe Thiébaut, professeur de santé publique à Bordeaux. Citant la célèbre phrase du statisticien George Box selon qui « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles », il insiste sur le fait que ces projections ne sont pas des prédictions et sont soumises à des variations de paramètres, comme l’évolution du comportement de la population. « Les gestes barrières gardent toute leur utilité face aux nouveaux variants et doivent s’ancrer dans les habitudes », conclut le chercheur.