Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Covid-19 : les raisons de l’échec de la campagne de rappel vaccinal

Décembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Covid-19 : les raisons de l’échec de la campagne de rappel vaccinal

Alors que l’épidémie connaît un rebond, seuls 9,4 % des plus de 80 ans et 7,2 % des 60-79 ans ont reçu une nouvelle injection. La banalisation du Covid-19 et le manque de clarté des messages sanitaires sont en cause.

Par Delphine Roucaute

Publié le 03/12/2022

C’est une dynamique désormais bien connue. Avec le rebond épidémique de la neuvième vague, les appels des autorités sanitaires à la prévention et à la vaccination s’intensifient. La menace du Covid-19 semblait pourtant reléguée au second plan des priorités politiques depuis la rentrée, derrière la crise de l’hôpital et la situation de plus en plus tendue dans les services d’urgences pédiatriques.

Jeudi 1er décembre, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a appelé les plus de 60 ans, les « porteurs de maladie » et les personnes « en contact au quotidien avec des gens fragiles ou âgés » à faire un nouveau rappel de vaccin. « Ça vous prend cinq minutes et ça vous protégera. Ça limitera les risques de complications et d’hospitalisation », a rappelé l’ancien ministre de la santé.

Les chiffres de la campagne vaccinale de l’automne sont bien moins élevés que ce qu’espérait le ministre actuel, François Braun, qui a tiré la sonnette d’alarme, début novembre, dans un entretien au Parisien. Au 28 novembre, 9,4 % des plus de 80 ans et 7,2 % des 60-79 ans avaient reçu une nouvelle injection, soit deux millions de doses distribuées depuis le 3 octobre. « Des niveaux de vaccination insuffisants », a redit, mardi 29 novembre, le ministère de la santé, qui espère une mobilisation de l’ensemble de parties prenantes – les personnes à risques, leur entourage, comme les professionnels de santé. « C’est d’autant plus important qu’on est à un mois des fêtes et compte tenu de la dégradation de la situation épidémiologique depuis quelques jours », insiste-t-on au ministère.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Avec la neuvième vague de Covid-19, faut-il réintroduire le masque obligatoire dans les transports ?
Avec 50 000 cas par jour en moyenne au 30 novembre, le nombre de contaminations a augmenté de 40 % par rapport à la semaine précédente. Cette reprise épidémique se répercute déjà depuis deux semaines dans le nombre d’admissions quotidiennes à l’hôpital, en augmentation de 17 % en une semaine, avec près de 1 000 personnes enregistrées en moyenne tous les jours. Pareil du côté des admissions en soins critiques, qui se rapprochent du pic de la huitième vague avec 90 admissions en moyenne par jour. Le nombre de morts, sur un plateau haut depuis le 18 novembre, est d’une soixantaine par jour.

Alors, comment expliquer ce faible engouement pour le rappel vaccinal ? Selon la cinquième enquête issue du projet Slavaco menée par Jeremy Ward, sociologue à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, 72 % des répondants étaient volontaires pour faire un rappel si celui-ci était recommandé pour leur cas. Ces réponses ont été recueillies en été. Force est de constater que cette volonté affichée s’est érodée à l’automne.

« Accoutumance au risque »
Pour Jocelyn Raude, professeur en psychologie de la santé à l’Ecole des hautes études en santé publique, ce type de glissement a déjà été observé dans le passé. « On est dans un phénomène classique par rapport à ce qu’on connaît sur les autres maladies infectieuses, avance-t-il. Après une mobilisation intense, on a toujours un relâchement. »

Le chercheur souligne ainsi une proportionnalité entre l’action et la dynamique de l’épidémie : c’est quand les indicateurs s’emballent que l’on se remobilise. Un changement d’attitude d’autant plus difficile à opérer que de très nombreuses personnes ont été infectées sans forcément développer une maladie grave – en grande partie grâce à la vaccination –, ce qui a rendu le Covid-19 plus familier. « La banalisation du risque pandémique a pris deux ans », constate-t-il.

Plutôt que d’évoquer la « fatigue pandémique », définie dès 2020 par l’Organisation mondiale de la santé comme « une démotivation à suivre les comportements de protection recommandés apparaissant progressivement au fil du temps », Jocelyn Raude préfère parler d’« habituation ou d’accoutumance au risque ». « En cas de signaux répétés de danger, il y a une baisse de la réponse au stress », souligne-t-il.

Le même phénomène s’observe avec la grippe. Si la vaccination contre la grippe saisonnière a connu un rebond lors de la première année de pandémie, la couverture vaccinale est désormais en baisse de 13 % par rapport à l’année précédente, avec cinq millions de Français et de Françaises ayant demandé à se faire rembourser leur injection – gratuite pour le public cible, mais désormais ouverte à tous.

Mais la faible couverture vaccinale en rappel ne peut s’expliquer par la seule démotivation. « On a simplement très peu expliqué à la population la distinction entre protection contre les formes graves et protection contre l’infection, et peu ont compris qu’au bout de quelques mois ils sont moins protégés et protègent moins leurs proches, estime, de son côté, Mélanie Heard, responsable du pôle santé du centre de réflexion Terra Nova. Comment leur faire porter, ensuite, la responsabilité de ce choix complexe ? » D’après la vingtaine d’études menées sur la baisse de l’efficacité des vaccins, on passe environ de 85 % à 65 % d’efficacité contre les formes graves au bout de six mois, après avoir reçu trois doses.

Courriers personnalisés
Selon experts et professionnels de santé, les messages gouvernementaux manquaient, en effet, de clarté. Les personnes ayant déjà quatre doses devaient-elles en demander une supplémentaire ? Que faire en cas d’infection entre deux doses ? Quels délais respecter ? « Ce sont des éléments qu’on n’a pas réussi à faire assez passer », reconnaît le ministère.

Une note urgente envoyée à tous les professionnels de santé le 21 novembre clarifie les choses. Sont concernés par ce nouveau rappel les résidents d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les plus de 60 ans, les personnes immunodéprimées ou souffrant de comorbidités, les femmes enceintes et les professionnels de santé. Mais aussi les individus en contact régulier avec ces personnes. « Une personne jeune, sans comorbidité, qui voit régulièrement des proches dans la cible est donc éligible », précise bien la note. Donc potentiellement toutes les personnes désirant se faire vacciner y ont droit. Ce rappel doit intervenir dès trois mois après la dernière injection ou infection pour les personnes âgées de 80 ans et plus, les résidents d’Ehpad et les immunodéprimés ; dès six mois pour les autres. En cas d’infection entre deux doses, il est recommandé d’attendre trois mois avant de se faire à nouveau vacciner.

« Pour la vaccination contre la grippe, les gens reçoivent des bons personnalisés de la part de l’Assurance-maladie s’ils sont dans la population cible. Pourquoi ne fait-on pas pareil avec le vaccin contre le Covid-19 ? », interroge Anne-Claude Crémieux, professeure d’infectiologie à l’hôpital Saint-Louis, à Paris. C’est ce qui se fait, par exemple, en Angleterre, où les personnes éligibles reçoivent un courrier personnalisé. Outre-Manche, 80 % des plus de 80 ans ont reçu un rappel à l’automne et plus de 70 % des 60-79 ans.

Au-delà de ces chiffres de couverture vaccinale, difficile d’évaluer la part de la population protégée face à la maladie, une notion complexe qui agrège immunisation par la vaccination et par l’infection naturelle. Le ministère avance des chiffres, intégrant à la couverture vaccinale le nombre d’infections récentes (moins de trois mois) : 21 % des plus de 80 ans et 37 % des 60-79 ans seraient ainsi « suffisamment protégés ». Mais aucun modélisateur ne se risque aujourd’hui à évaluer le niveau d’immunisation réel de la population.

« La décision publique aurait probablement eu besoin de pouvoir s’appuyer sur une évaluation fine de la protection immunitaire dans la population ; or, il semble que cette évaluation soit désormais très complexe à réaliser, du fait de la multiplicité des paramètres, comme le nombre d’injections, la durée depuis la dernière injection, l’historique d’infection ou les facteurs de risque personnels », souligne Mélanie Heard.

Anne-Claude Crémieux propose un message simple : « Les pharmaciens devraient proposer la vaccination contre le Covid-19 systématiquement aux personnes demandant le vaccin contre la grippe. » Les deux vaccins concernent la même population. Plus de 330 000 personnes ont déjà procédé à cette double injection, une dans chaque bras.

Delphine Roucaute