Les retraites

Le Monde.fr : Dans la réforme des retraites, le gouvernement tergiverse sur le sujet de la pénibilité

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Dans la réforme des retraites, le gouvernement tergiverse sur le sujet de la pénibilité

A quelques jours de l’examen du projet de loi, aucun consensus n’a pu être dégagé sur ce sujet très attendu.

Par Raphaëlle Besse Desmoulières Publié aujourd’hui à 11h07, mis à jour à 12h43

C’est une déception pour la CFDT, qui en avait fait l’un de ses principaux marqueurs, comme pour les autres syndicats. Alors que ces derniers attendaient des arbitrages forts de l’exécutif sur la question de la pénibilité, et plus particulièrement sur le sujet des départs anticipés, ils en ont été pour leurs frais. Un enjeu central pour eux, à l’heure où le gouvernement entend faire travailler plus longtemps les actifs.
Mais, à quatre jours du début de l’examen en séance du projet de loi instaurant un système universel de retraites, le premier ministre, Edouard Philippe, constatant l’absence de consensus en la matière entre partenaires sociaux, a de nouveau choisi de temporiser.

Jeudi 13 février, l’ancien maire du Havre a réuni pendant plus de deux heures syndicats et patronat à Matignon, pour tirer le bilan de plusieurs concertations organisées à la mi-décembre. A l’issue de cette réunion, il a détaillé devant la presse plusieurs annonces, dont la retraite progressive finalement maintenue à partir de 60 ans, une transition « à l’italienne » pour les droits acquis dans le public et le privé, ou encore une réflexion à plus long terme sur un « compte épargne-temps » universel.
Sur la pénibilité, « les attentes sont fortes », a-t-il reconnu. Pour y répondre, l’exécutif a choisi de mettre l’accent sur la prévention et la formation. Ce que les syndicats ont salué, mais jugé insuffisant. « Il n’y a pas de réforme des retraites juste s’il n’y a pas de prise en compte de la réparation pour les salariés exposés à des pénibilités », a réaffirmé, en sortant de la réunion, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT.

« Tout le monde se renvoie la balle pour savoir qui va payer »
Pour son homologue de l’UNSA, Laurent Escure, « on a un sujet de contentieux avec les employeurs ». Comme M. Berger, il a appelé l’exécutif « à prendre ses responsabilités » pour « fixer des règles autour de cette question ». « On a demandé au gouvernement de revoir sa copie », a également lancé Pascale Coton, de la CFTC. « Ça n’avance pas beaucoup parce que tout le monde se renvoie la balle pour savoir qui va payer », a, pour sa part, expliqué François Hommeril, président de la CFE-CGC. Quant à Yves Veyrier, numéro un de Force ouvrière, il a considéré que le compte de prévention professionnelle (C2P), qui permet notamment de cesser le travail deux ans plus tôt dans le privé et qui va être étendu au public, « ne compensera en rien » la fin des départs anticipés pour certaines catégories de fonctionnaires.

« Droit à la reconversion »
Dans sa déclaration, M. Philippe a souligné sa volonté de « tout remettre à plat pour instaurer des règles de pénibilité universelles ». Dans « les six mois qui suivront la publication de la loi », les branches professionnelles seront invitées à ouvrir des discussions pour « lancer un plan massif de prévention de la pénibilité », abondé à hauteur de 100 millions d’euros par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la Sécurité sociale. Un amendement au projet de loi sera également déposé afin de créer « un véritable droit à la reconversion » pour ces populations usées physiquement. L’idée : permettre à un salarié exposé « depuis dix-quinze-vingt ans » à la pénibilité de financer une formation longue de six mois, rémunérée, pour basculer vers un nouveau métier.

Restait le « point crucial », comme l’a défini M. Berger, de la « réparation », sur lequel les syndicats souhaitent aller plus loin. Dans le cadre des ordonnances réformant le code du travail en 2017, quatre facteurs de pénibilité ont été sortis du C2P – port de charges lourdes, postures éprouvantes, vibrations mécaniques et risques chimiques – et ne permettent plus de liquider ses droits à la retraite plus tôt dans ce cadre.

Les organisations de salariés, qui ont réclamé en vain la réintégration de ces quatre critères dans le C2P, ont dû se faire une raison. La CFDT a fini par accepter que ces facteurs de pénibilité soient définis collectivement par métiers au niveau des branches, et non plus individuellement. Mais, pour que ces discussions soient « loyales », a insisté M. Berger, il faut qu’il y ait « un filet de sécurité », c’est-à-dire que si les branches ne jouent pas le jeu, un accord s’applique tout de même à elles.

Financement solidaire
Refus net du Medef, qui redoute de voir apparaître « des mini-régimes spéciaux au sein du privé », comme l’expliquait encore récemment son président Geoffroy Roux de Bézieux. Son vice-président, Patrick Martin, a exigé jeudi « un chiffrage précis » des mesures souhaitées par les syndicats. « Une inquiétude se manifeste dans nos rangs dorénavant », devant « le black-out total » sur le financement des avancées, a-t-il également mis en garde. La CPME et l’U2P se montrent moins fermées que le Medef sur la pénibilité, mais réclament un financement solidaire – pas question que les entreprises concernées en payent le coût. Face à ce blocage, M. Philippe a estimé que « le dialogue doit donc se poursuivre sur ces sujets et [que] les décisions devront être envisagées en cohérence avec les travaux de la conférence sur l’équilibre et le financement de notre système de retraite ». Idem pour une éventuelle amélioration du minimum de pension, également défendue par la CFDT, qui est renvoyée à la conférence de financement. Comme l’a résumé François Asselin, président de la CPME, cette dernière sera « le juge de paix ».

Si la CFDT avait fait de ces différents points un préalable aux échanges qui doivent s’ouvrir mardi 18 février dans ce cadre, elle n’a pas pour autant claqué la porte et espère toujours pouvoir faire pencher la balance dans son sens. « Les discussions sur la pénibilité ne sont pas encore finies », rappelle l’un de ses dirigeants, Frédéric Sève. « Le gouvernement va devoir trancher et ça les emmerde, juge-t-on en interne. Ils sont très embêtés car ils ont la pression de leur majorité sur le sujet, mais ils n’ont pas envie de tordre le bras au Medef. »
Devant les journalistes, M. Berger en a de nouveau appelé aux députés pour qu’ils améliorent le dispositif. Guillaume Gouffier-Cha, rapporteur général La République en marche (LRM) du texte à l’Assemblée nationale, avait assuré, mardi, que si les discussions devaient « ne pas aboutir » jeudi, « on prendrait nos responsabilités sur la pénibilité ». « On a déjà plusieurs versions [d’amendements] qui sont prêtes », avait-il expliqué. Eux aussi ont finalement décidé de se donner du temps. « La majorité fait le pari que ça va pouvoir déboucher d’ici [la fin de] la conférence de financement », indique Jacques Maire, l’un des rapporteurs LRM du projet de loi.

Raphaëlle Besse Desmoulières