Industrie pharmaceutique

Le Monde.fr : Diabète : enquête sur un marché très rentable

Novembre 2017, par infosecusanté

Diabète : enquête sur un marché très rentable

Conséquence de l’épidémie d’obésité, 425 millions d’adultes sont diabétiques. Problème de santé publique, cette maladie est un enjeu économique majeur pour les Etats… et les laboratoires.


LE MONDE ECONOMIE

14.11.2017

Par Chloé Hecketsweiler

Près de 44 milliards de dollars (38 milliards d’euros) : c’est ce que les ventes d’antidiabétiques ont rapporté aux laboratoires pharmaceutiques en 2016. Et ce chiffre devrait bondir à près de 58 milliards de dollars (50 milliards d’euros) en 2022. En dehors des anticancéreux, aucune autre catégorie de médicaments ne rapportera autant d’argent aux industriels. Quatre géants se partagent le marché : le danois Novo Nordisk (13 milliards de dollars de ventes en 2016), le français Sanofi (8 milliards de dollars), les américains MSD (6 milliards) et Lilly (5 milliards), dont le patron de la branche américaine vient d’être nommé ministre de la santé par Donald Trump. Leur territoire s’étend à mesure que l’épidémie de diabète gagne la planète.

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Selon les chiffres publiés mardi 14 novembre par la Fédération internationale du diabète (IDF), à l’occasion de la Journée mondiale du diabète, 425 millions d’adultes sont diabétiques en 2017, et leur nombre pourrait atteindre 629 millions en 2045, soit une personne sur 10. En France, 3,3 millions de personnes étaient traitées en 2015.

Conséquence de l’obésité

Cette maladie chronique se caractérise par un taux élevé de sucre dans le sang. Elle apparaît lorsque le pancréas ne fabrique plus d’insuline (« type 1 ») ou que l’organisme répond moins bien au signal envoyé par cette hormone (« type 2 »). Le diabète « de type 2 » a pour origine un mode de vie inadapté (manque d’exercice physique, alimentation trop riche) : il est évitable et serait même réversible. Bien plus rare, le diabète dit « de type 1 » apparaît souvent dès l’enfance et ne peut être soigné. Il est causé par une destruction des cellules du pancréas spécialisées dans la production d’insuline, les cellules bêta.

« Les sucres ajoutés dans les aliments industriels, en particulier le fructose, peuvent contribuer à l’obésité, mais semblent aussi avoir des propriétés qui augmentent le risque de diabète », soulignait une étude publiée en 2013 par des chercheurs de l’université Stanford.

Selon les experts, cette augmentation spectaculaire du nombre de diabétiques est une conséquence de l’épidémie globale d’obésité. « Même si la plupart des personnes obèses ne développent pas de diabète de type 2, le surpoids est un facteur de risque bien établi », soulignait ainsi en 2011 un collectif de 32 scientifiques, appelant à davantage de recherches sur le sujet. Il y a urgence : selon les derniers chiffres compilés par l’OCDE, en 2030, près d’un adulte sur deux devrait être obèse aux Etats-Unis, près de 40 % au Mexique, 35 % au Royaume-Uni et 20 % en France.

Longtemps occulté, le rôle du sucre dans ce scénario catastrophe est de mieux en mieux documenté. « Les sucres ajoutés dans les aliments industriels, en particulier le fructose, peuvent contribuer à l’obésité, mais semblent aussi avoir des propriétés qui augmentent le risque de diabète de façon indépendante », soulignait une étude publiée en 2013 par des chercheurs de l’université Stanford.

Selon eux, une partie de l’explication réside dans la consommation élevée de sirop de maïs, un édulcorant bon marché très prisé des industriels. Globalement, la consommation devrait atteindre 35 kg par an et par habitant aux Etats-Unis et en Europe à l’horizon 2026, soit quatre fois le maximum recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (25 grammes de sucre ajouté par jour, soit bien moins que les 35 g que contient une canette de Coca-Cola).

Problème de santé publique, le diabète est un enjeu économique majeur pour les Etats. L’IDF estime dans son « Atlas » – publié le 14 novembre – que la majorité des pays consacrent de 5 % à 20 % de leurs dépenses de santé au traitement de cette maladie et qu’au total 12 % des dépenses de santé mondiale y sont dévolues (727 milliards de dollars). En France, le coût pour l’Assurance-maladie s’élevait à 8 milliards d’euros, soit 5 % des dépenses de santé. Cette somme inclut les consultations, les médicaments, les hospitalisations, ainsi que les indemnités journalières de maladie.

Les données publiées par l’Assurance-maladie et analysées par Le Monde révèlent que la facture pour les antidiabétiques s’est élevée à 1,3 milliard d’euros en 2016. Dans cette catégorie, le premier médicament remboursé est le Lantus de Sanofi (224 millions d’euros), suivi du Victoza de Novo Nordisk (159 millions d’euros) et du Janumet de MSD (89 millions). Le premier médicament de Lilly, l’insuline Humalog, arrive en huitième rang (44 millions).

Des labos en guerre sur tous les fronts

Pour agrandir leur empire, les laboratoires s’affrontent sur tous les fronts, des cabinets médicaux jusqu’aux tribunaux, en passant par les écrans de télévision. Le cas du Lantus est emblématique de ce qui est en jeu pour les industriels. L’insuline la plus vendue dans le monde – avec un chiffre d’affaires de 6,3 milliards de dollars au faîte de sa gloire – a perdu son brevet en 2015. Depuis, Sanofi cherche par tous les moyens à entraver la commercialisation de copies meilleur marché (les biosimilaires).

« Certains patients paient désormais près de 900 dollars par mois juste pour obtenir l’insuline dont ils ont besoin pour survivre », indique la plainte déposée aux Etats-Unis contre trois laboratoires au nom de plusieurs malades.

En octobre 2017, le laboratoire français a ainsi intenté aux Etats-Unis, son premier marché, des actions en contrefaçon contre les laboratoires américains Mylan et Merck. Début 2014, Sanofi avait déjà croisé le fer avec Lilly, autre laboratoire américain, mais les deux groupes avaient fini par trouver un accord à l’amiable : Lilly a accepté de verser des redevances à Sanofi sur les ventes de son biosimilaire et de retarder de six mois son lancement aux Etats-Unis. En parallèle, le groupe français a lancé outre-Atlantique une vaste offensive publicitaire à la télévision, pour vanter les mérites de son Toujeo, un médicament comparable au Lantus… mais encore protégé par un brevet.

Cette concurrence accrue n’a pas pour autant réduit la facture pour les patients. Aux Etats-Unis, des insulines sont devenues si chères que certains renoncent à se soigner. Début 2017, un recours collectif (ou class action) a été déposé contre trois laboratoires pharmaceutiques au nom de plusieurs malades. « Des médicaments qui coûtaient 25 dollars coûtent désormais entre 300 et 450 dollars. Et au cours des cinq dernières années, Sanofi, Novo Nordisk et Eli Lilly ont augmenté leurs prix de référence de 150 %. Certains patients paient désormais près de 900 dollars par mois juste pour obtenir l’insuline dont ils ont besoin pour survivre », indique la plainte.

Soupçon d’entente

Ce document de 197 pages détaille la politique de prix des laboratoires, s’interrogeant sur le bien fondé de leurs augmentations et l’éventualité d’une entente. Graphiques à l’appui, il montre que le prix des insulines à longue action de Sanofi et de Novo Nordisk ont progressé exactement au même rythme, tout comme celui des insulines à action rapide de Lilly et Novo Nordisk. Il souligne aussi l’opacité des négociations entre les industriels et les pharmacy benefit managers. Ces intermédiaires négocient les prix des médicaments avec les laboratoires pour le compte des assureurs et obtiennent des remises importantes sans toujours les répercuter, le prix « réel » du médicament demeurant secret.

Ces accusations sont loin d’être les premières portées contre les industriels, qui franchissent régulièrement la ligne rouge. En septembre, Novo Nordisk a accepté de verser près de 60 millions de dollars au ministère de la justice américain pour régler huit plaintes différentes. Le laboratoire danois était accusé d’avoir minimisé les risques liés à l’utilisation de son Victoza et versé de l’argent à des médecins pour doper leurs prescriptions. En 2016, Novo Nordisk a dépensé – en toute légalité, cette fois – plus de 80 millions de dollars (69 millions d’euros) pour promouvoir ses médicaments auprès des professionnels de santé et les rémunérer pour diverses missions de recherche.