Complementaires santé

Le Monde .fr : E. Caniard (président de la mutualité française) : Tiers payant : « Les médecins doivent prendre leurs responsabilités

Février 2016

Tiers payant : « Les médecins doivent prendre leurs responsabilités »

Le Monde.fr

22.01.2016

Propos recueillis par Enora Ollivier

Le Conseil constitutionnel a invalidé, jeudi 21 janvier, une partie du dispositif du tiers payant généralisé, la mesure phare du projet de loi de santé qui prévoyait, d’ici à la fin de 2017, une dispense d’avance de frais intégrale pour les consultations chez un médecin généraliste ou chez un spécialiste. Pour la Mutualité française, qui rassemble plus de quatre cents mutuelles, cette décision ne signe pas pour autant la fin du principe du tiers payant généralisé. Etienne Caniard, son président, estime que les médecins doivent proposer le tiers payant complémentaire, malgré l’absence d’obligation.


La généralisation du tiers payant ne perd-elle pas totalement son sens, maintenant qu’elle a été en partie invalidée ?

Si on considère que le tiers payant est aujourd’hui réduit à la part qui ne concerne que les régimes obligatoires, effectivement, on peut dire que la mesure est totalement vidée de son sens, puisque l’intérêt pour les patients d’une dispense d’avance des frais est limité.
On peut en revanche faire une lecture un peu plus optimiste de la décision du Conseil constitutionnel en se disant que l’obligation, qui avait été érigée en symbole d’agression des médecins par certains syndicats, n’existe plus. C’est une mise en responsabilité des acteurs.
Le tiers payant ne sera pas obligatoire pour la part complémentaire, mais, évidemment, pour que les médecins apportent un véritable service à leurs patients, ils ne doivent pas leur faire payer les 6,90 euros qui restent [lors d’une consultation à 23 euros chez un généraliste, 15,10 euros sont pris en charge par l’Assurance-maladie, et 1 euro est à la charge du patient].
Chacun doit prendre ses responsabilités, les médecins les premiers : ils doivent proposer le tiers payant complémentaire. Cela suppose qu’ils aient à leur disposition des outils qui fonctionnent bien — et c’est notre responsabilité de les leur fournir — et qu’ils ne prennent pas le tiers payant en otage, parce que cela se ferait au détriment des patients.
Les syndicats médicaux doivent arrêter de faire de la surenchère sur le dos du tiers payant, qui est une mesure plébiscitée par les Français.

Mais comment continuer à travailler pour un tiers payant intégral maintenant que le Conseil constitutionnel en a rejeté une partie ?

Non seulement il est possible de poursuivre les travaux, mais je dirais même que les acteurs ont une obligation morale de le faire. L’ensemble des complémentaires travaillent ensemble depuis dix-huit mois pour trouver des solutions qui répondent aux exigences légitimes des médecins : simplification des dispositifs, pas de travail administratif supplémentaire, garantie de paiement, garantie de délai…
Un rapport, rédigé par l’Assurance-maladie et les complémentaires santé, est en voie de finalisation et présentera des solutions techniques répondant à ce cahier des charges. Il serait inimaginable que tout ce travail soit réduit à néant.
Nous prenons l’engagement de respecter, malgré l’absence de contrainte législative, le calendrier tel qu’il a été prévu, et nous serons opérationnels en 2017 pour la généralisation du tiers payant.

La décision du Conseil constitutionnel ne signe-t-elle pas toutefois un échec dans cette volonté de généraliser le tiers payant ?

C’est une décision qui finalement doit amener tous les acteurs à réfléchir sur un débat qu’on a beaucoup de mal à appréhender, celui de la relation entre régime obligatoire et régime complémentaire.
Les pouvoirs publics ont tendance à considérer que les complémentaires sont accessoires, qu’on peut leur imposer ce qu’on veut. C’est juridiquement inexact et c’est une stupidité sur le plan de l’efficience, parce qu’on brime leur capacité d’innovation.
Quand le Conseil constitutionnel souligne qu’il n’y a pas suffisamment de garanties apportées aux complémentaires, c’est une façon de dire qu’il y a bien deux payeurs mais qui sont de nature différente. L’un est public, l’autre privé, et est dans une relation contractuelle avec ses clients ou adhérents.

Enora Ollivier
Journaliste au Monde