Les Ehpads et le grand âge

Le Monde.fr : Ehpad : « Quand une personne nous dit qu’on lui fait mal pendant la toilette on n’y peut rien, on doit aller vite »

Mars 2018, par infosecusanté

Ehpad : « Quand une personne nous dit qu’on lui fait mal pendant la toilette on n’y peut rien, on doit aller vite »

Alors qu’Agnès Buzyn recevait l’intersyndicale du secteur de l’aide aux personnes âgées, de nombreuses personnes se sont rassemblées devant le ministère pour protester contre leurs conditions de travail.

LE MONDE

15.03.2018

Par Valentin Ehkirch

Massée sous les fenêtres du ministère des solidarités et de la santé à Paris, une petite foule forte d’une grosse centaine de personnes agite drapeaux et slogans. Depuis 11 h 30, jeudi 15 mars, l’intersyndicale des professionnels de l’aide aux personnes âgées, composée d’une dizaine d’organisations (FSU, Fédération autonome de la fonction publique, CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO, Solidaires, Union fédérale action sociale et Unsa) ainsi que de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA), y est reçue par la ministre de la santé, Agnès Buzyn.

Les représentants syndicaux avaient également appelé à la grève dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), les services d’aide à domicile, les hôpitaux gériatriques et autres structures en charge du grand âge demandant « urgemment » une augmentation des effectifs.

Au menu des discussions au ministère, les revendications du personnel des Ehpad, qui portent sur les conditions de travail, les salaires et l’abrogation de la réforme du financement de ces établissements. Mais surtout, les organisations demandent l’établissement du ratio d’un salarié (tous personnels confondus) pour un résident, contre 0,6 en moyenne actuellement.

« Un résident c’est maximum 20 minutes »

Arrivée un peu avant 13 heures, Laure Huyssachaert est aide soignante dans un Ehpad de Seine et Marne. A 23 ans, c’est sa première expérience professionnelle. Comme une rengaine, elle décrit un « travail à la chaîne » : « Un résident c’est maximum 20 minutes » pour la toilette du matin, « mais on essaye de parler, on est des humains quand même » ajoute-elle résignée.

A ses côtés, Fabienne Cordier pourrait faire figure d’ancienne. Aide soignante, elle a 56 ans, dont 17 ans passés dans l’établissement de Seine-et-Marne. Elle se montre plus sévère que sa collègue sur les temps impartis à la toilette : « Et encore, vingt minutes c’est la prise en charge globale ». Car il faut déduire de ces vingt petites minutes le temps consacré à l’entretien de la chambre.

« Les résidents, on est obligé de les bousculer un peu. Il n’y a pas d’échange entre les soignants et les soignés », confie pour sa part Emilienne Nyambal. Elle, qui travaille depuis sept ans à l’Ehpad des Chenets, à Courbevoie, parle sans censure de « maltraitance ».

« Quand une personne nous dit qu’on lui fait mal pendant la toilette on n’y peut rien, on doit aller vite. »

Tous réclament une augmentation du nombre de soignants. Chantal Bouvier, qui a « pris sa journée » pour manifester demande simplement de pouvoir « être remplacée lorsque l’on n’est pas là » ajoutant qu’« aujourd’hui deux étages ne seront pas nettoyés » parce qu’elle manifeste avec ses collègues.

« Pas de réponse précise »

Un rapport parlementaire publié mercredi propose de doubler le ratio des soignants en quatre ans. Cela représenterait 200 000 recrutements, et un coût de 7 milliards à 10 milliards d’euros. Mais l’Etat n’a « pas les moyens budgétaires » de garantir cette augmentation du personnel a fait savoir Agnès Buzyn jeudi.

La délégation intersyndicale, qui est sortie en début d’après-midi du ministère déplore ne pas avoir eu « de réponse précise sur [ses] revendications ». Un point positif : « Au bout de cinq mois de mobilisation nous sommes sortis du déni de réalité », concède Jean-Claude Stutz, secrétaire national adjoint de l’UNSA santé, qui était dans le bureau de la ministre avec les autres centrales. « M. Buzyn s’est engagé à s’inscrire dans une d’augmentation des effectifs, mais elle n’a donné aucuns chiffres » ajoute-t-il.

Pascal Champvert, le président de l’AD-PA, parle, lui, d’une ministre « attentive ». « Je pense qu’elle a vraiment envie de travailler les dossiers » concède-t-il, tout en rappelant ses attentes : « la mise en place de financements nouveaux ».

Infirmières, aides soignantes et psychologues

Agnès Buzyn s’est contentée jeudi d’annoncer « un cadre de travail en commun avec l’assemblée des départements de France » sur le financement de la dépendance et a promis pour début avril des « orientations stratégiques » sur la prise en charge du vieillissement.

Dans la foule – dont une bonne partie est composée de femmes –, infirmières, aides-soignantes, mais aussi psychologues. C’est le cas d’Isabelle Cottet, psychologue dans un Ephad de Saint-Maur-des-Fossés. Le 30 janvier, lors de la première journée de mobilisation, qui avait été très suivie, elle était allée devant le siège de l’agence régionale de santé. « Cette fois j’ai voulu monter plus haut » dit-elle dans un sourire.

« On devrait mieux accompagner les familles, offrir plus de temps d’écoute » propose-t-elle. Elle s’occupe de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ou de neurodégénéressence et regrette de ne pouvoir « proposer une promenade [aux résidents] lorsqu’il y a un rayon de soleil », faute de personnel, selon elle.

A 16 heures, la foule se disperse. Une partie des manifestants est allée rejoindre un autre cortège, celui des retraités qui défilent un peu plus loin.