Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Emotion en Chine à l’annonce de la mort du docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte sur le coronavirus

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Emotion en Chine à l’annonce de la mort du docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte sur le coronavirus

Dès le 30 décembre 2019, il avait attiré l’attention de collègues sur le fait que sept personnes travaillant sur le marché aux animaux de Wuhan étaient hospitalisées et semblaient avoir contracté un virus proche du SRAS.

Par Frédéric Lemaître et Simon Leplâtre •

Publié hier le 06/02/2020

Le coronavirus vient de faire une victime on ne peut plus symbolique : Li Wenliang, un ophtalmologue qui fait partie des huit médecins arrêtés par la police de Wuhan le 1er janvier pour avoir révélé trop tôt les dangers du virus, est mort, vendredi 7 février, peu avant 3 heures du matin, a officiellement déclaré l’hôpital une heure plus tard. Sa mort, annoncée la veille, en fin de soirée, par plusieurs médias, avait soulevé une énorme émotion sur les réseaux sociaux. Les autorités ont ensuite annoncé qu’il se trouvait en soins intensifs, entraînant une certaine confusion et une colère croissante sur les réseaux sociaux, avant que l’hôpital ne confirme son décès peu avant 4 heures du matin.

Dès le 30 décembre 2019, cet homme de 34 ans, médecin de l’hôpital central de Wuhan, avait attiré l’attention de ses collègues sur le fait que sept personnes travaillant sur le marché aux animaux de la capitale de la province du Hubei étaient hospitalisées et semblaient avoir contracté un virus proche du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS).

« Fausses rumeurs »

Le 1er janvier, la police de Wuhan l’interpelle avec sept de ses collègues, qui ont relayé l’alerte. Le 2 janvier, l’information est reprise par CCTV, la télévision d’Etat, qui ne mentionne pas que les huit personnes coupables de « répandre des fausses rumeurs » sont des médecins. Le 3 janvier, Li Wenliang doit signer un procès-verbal reconnaissant qu’« il perturbe l’ordre social ». « Votre action va au-delà de la loi. Vous envoyez des commentaires mensongers sur Internet. La police espère que vous allez collaborer. Serez-vous capable de cesser ces actions illégales ? Nous espérons que vous allez vous calmer, réfléchir, et nous vous mettons sévèrement en garde : si vous insistez et ne changez pas d’avis, si vous continuez vos activités illégales, vous allez être poursuivi par la loi. Comprenez-vous ? », peut-on lire sur le procès-verbal de la police que Li Wenliang publiera le 31 janvier.

Il révèle aussi à cette occasion qu’il présente des symptômes du coronavirus depuis le 10 janvier, qu’il a de la fièvre depuis le 11 et qu’il a été hospitalisé le 12. Entre-temps, les faits lui ont donné raison. Le 20 janvier, une des sommités médicales du pays, Zhong Nanshan, reconnaît que le virus est transmissible entre humains. Le même jour, le président Xi Jinping tire la sonnette d’alarme et mobilise le pays.

Trop tard : la crise du coronavirus prend les jours suivants une dimension internationale. Le 28 janvier, un article rédigé par un juge de la Cour suprême chinoise estime que même si l’épidémie actuelle n’est pas liée au virus du SRAS, « l’information délivrée par les huit personnes n’était pas fabriquée de toutes pièces » et qu’elle aurait dû être tolérée. « Ça aurait été une bonne chose que le public se fie à cette rumeur, commence à porter des masques, prenne des mesures pour se protéger et évite le marché aux animaux sauvages de Wuhan », d’où le coronavirus est probablement parti, écrit ce juge.

Réhabilitation

Mercredi 29 janvier, la police de Wuhan a tenté de se justifier, affirmant que ces personnes n’avaient pas été arrêtées mais seulement « convoquées pour une discussion ». Le jeudi 30 janvier, le Global Times va plus loin dans la réhabilitation. Après avoir affirmé qu’en fait, ces personnes ont bel et bien été « brièvement détenues », ce journal donne la parole à Zeng Guang, qui n’est autre que le chef épidémiologiste du Centre chinois pour la prévention et le contrôle des maladies. Celui-ci estime que « rétrospectivement, nous devrions vivement les féliciter. Ils ont été clairvoyants avant le déclenchement de l’épidémie ». Commentaire de Li Wenliang sur le sort qui lui a été réservé : « La vérité est plus importante que la justice. »

L’annonce de sa mort a immédiatement provoqué une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux chinois. Certains publient simplement la flamme d’une bougie sur leur profil WeChat, d’autres osent des critiques frontales, appelant à la démission des officiels locaux. Mais il est rare de voir des commentaires aussi unanimes sur les réseaux sociaux du pays.

« Nous attendons toujours vos excuses », demandent beaucoup d’utilisateurs de Weibo, le site de microblog chinois. Plus modéré, quelqu’un espère que « ceux qui t’ont fait taire ne soient que des brebis galeuses, et que plus de cadres du Parti [communiste, PCC] prennent exemple sur toi : qu’ils ôtent le manteau de la bureaucratie et s’habillent de plus d’humanité ».

Beaucoup, sur Weibo et WeChat, partagent les photos de neufs présentateurs différents du journal télévisé sur CCTV parlant de l’arrestation des médecins début janvier, avec en bandeau : « Huit personnes qui ont diffusé des rumeurs arrêtées et placées sous enquête ».

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est dite « profondément peinée par le décès du docteur Li Wenliang. Nous avons tous besoin de célébrer le travail qu’il a accompli ». Pourtant, le 28 janvier, le directeur général de l’OMS, en déplacement à Pékin, s’était félicité de la « transparence » et de la « rapidité » de la réaction de la Chine à cette crise, sans un mot pour ces médecins qui ont eu le tort d’avoir eu raison trop tôt et dont l’arrestation n’a pu qu’inciter les autres professionnels de la santé à se taire. Si la Chine les avait écoutés, trois semaines décisives auraient été gagnées dans la lutte contre le coronavirus.

Père d’un enfant de 5 ans, Li Wenliang allait à nouveau être père. Son épouse, enceinte, semble également infectée par le virus ainsi que ses parents.

Le 5 février, l’administration chinoise du cyber-espace a annoncé le renforcement de la surveillance des grands réseaux sociaux. Weibo, Tencent et les autres acteurs de télécommunication chinois sont désormais placés « sous surveillance spéciale ».

Vendredi 7 février, les autorités ont finalement annoncé l’envoi d’une équipe à Wuhan « pour mener une enquête exhaustive sur les circonstances entourant le docteur Li Wenliang », sans donner plus de précision.