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Le Monde.fr : En Finlande, le système de santé au cœur des élections législatives

Avril 2019, par infosecusanté

En Finlande, le système de santé au cœur des élections législatives

Le vieillissement de la population fragilise un système de soins jugé performant mais trop complexe, devenu un enjeu-clé du scrutin de dimanche.

Par Anne-Françoise Hivert

Quand il a pris la direction du gouvernement finlandais en mai 2015, le centriste Juha Sipilä a promis d’accomplir ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait réussi avant lui. A la tête d’une coalition avec les conservateurs du Parti de la coalition nationale et les populistes des Vrais Finlandais, il allait mener à bien la réforme de la santé et des services sociaux (SOTE), lancée dix ans plus tôt.

En cas, d’échec, M. Sipilä s’était engagé à quitter ses fonctions. Le 7 mars, il a tenu ses promesses : à cinq semaines des élections législatives qui se tiendront dimanche 14 avril, le premier ministre a présenté sa démission. Habile coup de poker du leader d’un parti à la peine dans les sondages ou geste désespéré qui ne saurait leurrer l’électeur ?

Une chose est sûre : en rebattant les cartes si près du scrutin, M. Sipilä a modifié sensiblement les règles du jeu d’une campagne d’où n’émerge aucun grand vainqueur, malgré une légère avance pour les sociaux-démocrates, donnés à 19 % dans les derniers sondages. Derrière, quatre partis tiennent dans un mouchoir de poche : les Vrais Finlandais (16,3 %), le Parti de la coalition nationale (15,9 %), le Parti du centre (14,5 %) et la Ligue verte (12,2 %).

Le principal chantier de la prochaine législature

A peine le premier ministre avait-il annoncé sa démission que la coalition gouvernementale a volé en éclats. « Alors que les centristes et conservateurs juraient encore la veille qu’ils étaient en accord total sur leur projet de réforme, ils se sont immédiatement mis à s’accuser mutuellement de son échec », constate le politologue Göran Djupsund.

Dans l’espoir de diriger une coalition aussi large que possible après les élections, les sociaux-démocrates cherchent à se placer au-dessus de la mêlée. « Une réforme aussi conséquente ne pourra aboutir sans faire l’objet d’un compromis entre tous les partis présents au Parlement », confiait ainsi au Monde le leader social-démocrate Antti Rinne, favori dans la course au poste de premier ministre, quelques jours avant le scrutin.

De fait, la réforme SOTE sera le principal chantier de la prochaine législature. La santé qui arrive d’ailleurs en tête des préoccupations des électeurs finlandais. Etrange à première vue pour un pays dont le système de santé se classe parmi les meilleurs du monde, autant du point de vue de la qualité que du coût (9,5 % du PIB).

« C’est justement pour s’assurer que cela reste le cas que nous devons mener cette réforme, et vite, avant qu’il ne soit trop tard », explique le centriste Matti Vanhanen, premier ministre de 2003 à 2010 et aujourd’hui candidat au Parlement. La raison de cet alarmisme : le vieillissement accéléré de la population du pays, qui compte 5,5 millions d’habitants. D’ici à 2030, plus d’un quart des Finlandais auront plus de 65 ans, ce qui devrait entraîner le doublement des dépenses publiques dans la santé et les services sociaux d’ici dix ans, selon les estimations du ministère des finances.

Malgré ses performances, le système finlandais montre déjà des signes d’essoufflement. Si l’Etat en assure le financement, son organisation dépend des 311 communes du pays. « Or plus de la moitié comptent moins de 6 000 habitants et, dans certaines, les retraités y représentent déjà près de 50 % de la population », observe Kirsi Varhila, directrice au ministère de la santé et des affaires sociales. Beaucoup n’arrivent plus à faire face.

Autre défaillance : les inégalités croissantes d’accès aux soins. Antton Rönnholm, secrétaire général du parti social-démocrate, se livre à une démonstration : « Disons que je ne me sens pas bien, j’ouvre cette application sur mon téléphone et je peux prendre immédiatement rendez-vous avec un médecin dans un centre de soin privé, qui me recevra dans la journée. » La quasi-totalité des salariés ont accès à un service de ce type, financé par l’employeur.

Privatisation à marche forcée

Mais les personnes en dehors du marché du travail doivent se contenter des centres de soins publics, à moins de payer la consultation de leur poche, « ce qui reste assez rare », précise Kirsi Varhila. Or faute de ressources suffisantes dans des régions souvent excentrées, décrocher un rendez-vous peut prendre plusieurs semaines. « Non seulement c’est un facteur d’inégalités, mais cela génère des coûts supplémentaires quand des affections bénignes finissent devant un spécialise », constate Antton Rönnholm.

Officiellement, la réforme entreprise par le gouvernement de centre droit visait à soulager les communes et à réduire les inégalités d’accès, tout en limitant l’augmentation des coûts de 3 milliards d’euros d’ici à 2029. Mais centristes et conservateurs ont voulu « faire trop, trop vite », estime le professeur de santé publique, Olli Kangas. Surtout, « ils se sont livrés à un marchandage, en refusant d’écouter les experts », fulmine-t-il.

D’un côté, les centristes, forts en province, ont exigé la création de dix-huit régions (au lieu des cinq initialement proposées) pour reprendre les compétences des communes. De l’autre, les conservateurs ont poussé en faveur d’une privatisation à marche forcée du secteur, avec le principe de la liberté de choisir pour les patients. Au final, le projet, jugé « inconstitutionnel » et « inefficace pour atteindre les objectifs qu’il s’était fixé », a été retoqué par la commission des lois du Parlement, comme ceux des deux gouvernements avant lui.

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Conservateurs et centristes dénoncent l’obstruction pratiquée par des députés. Pour le social-démocrate Antton Rönnholm, la responsabilité est collective : « Les partis ont perdu de vue ce qu’ils essayaient de résoudre et mis en avant leurs gains politiques et économiques, au risque d’affecter la confiance des électeurs dans la classe politique. »

La sanction risque d’être particulièrement sévère pour les centristes, qui avaient obtenu 21,1 % des voix en 2015 et tentent de mettre en avant leur bilan économique : l’assainissement des finances publiques et un taux d’activité à 72,5 %. En vain.

Anne-Françoise Hivert (Helsinki, envoyée spéciale)