Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : « Face à la pandémie de Covid-19, il importe de développer en France une stratégie globale et de long terme »

Juillet 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : « Face à la pandémie de Covid-19, il importe de développer en France une stratégie globale et de long terme »

TRIBUNE
Mahmoud Zureik

Professeur d’épidémiologie et de santé publique

Pour limiter les risques liés à l’épidémie, il faut abandonner l’approche d’une gestion vague par vague et mettre en place une politique autour de cinq grands axes, détaille l’épidémiologiste Mahmoud Zureik, dans une tribune au « Monde »

.Publié le 12 juillet 2022

Les vagues du Covid-19 se succèdent inexorablement. Depuis le début de la crise sanitaire, nous déplorons chaque année plus de 50 000 décès directement liés au virus sans parler de l’impact des Covid longs et des dégâts collatéraux considérables : sanitaires, sociaux, psychologiques et économiques. L’espoir d’un virus qui deviendrait « saisonnier » ou « endémique » s’éloigne de plus en plus. Le SARS-CoV-2 est là et le sera encore dans les prochains mois et, très probablement, dans les prochaines années. Nous vivrons donc avec lui. Mais si nous devons vivre avec le virus, nous ne devons pas lui faciliter la vie pour qu’il ne gâche pas les nôtres. Les infections répétées n’apportent pas l’effet protecteur escompté et, malgré la vaccination, les personnes immunodéprimées, les personnes atteintes de maladies chroniques et les personnes âgées sont condamnées à une double peine : vivre avec leurs pathologies et voir leurs risques de mourir augmenter à cause du Covid-19. Une société solidaire doit protéger tous ses concitoyens. Ces personnes doivent recevoir la plus grande attention. Les protéger, c’est protéger la société.

Pour vivre avec le virus, nous devons donc limiter durablement les risques et, pour ce faire, sortir d’une gestion de crise à court terme, vague après vague, mesure après mesure et dose de vaccin après dose de vaccin.

Cette crise qui dure depuis deux ans et demi nous apprend qu’il est nécessaire de développer une stratégie sanitaire globale, cohérente, coordonnée et de long terme, s’inscrivant dans un horizon de plusieurs années. Cette stratégie doit être débattue, adoptée de façon transparente pour être partagée par le plus grand nombre. Elle se décline en cinq axes : surveillance de l’épidémie, prévention des contaminations, diagnostic et dépistage, vaccination et, enfin, adaptation du système de soins.

Port du masque dans les transports
Le premier axe concerne l’établissement d’une stratégie de surveillance de l’épidémie et de son évolution. Jusqu’à présent, cette surveillance repose essentiellement sur des indicateurs tels que l’incidence calculée par le nombre de tests positifs. Or, le recours aux tests varie dans le temps, selon les circonstances et selon le profil des personnes. Ce recours est moindre par exemple chez les enfants et chez les asymptomatiques. Si cette surveillance par les tests doit être poursuivie, elle doit se doubler d’enquêtes périodiques de terrain sur des échantillons représentatifs de la population, seule manière de connaître avec précision le niveau de la circulation virale. De telles enquêtes ont également pour utilité d’étudier les circonstances des contaminations et les facteurs qui y sont associés (personnels, familiaux, sociaux…). En outre, un renforcement des moyens est nécessaire pour détecter des nouveaux variants et leur dynamique de diffusion.

Réduire le nombre de contaminations passe nécessairement par une stratégie de prévention fondée sur la connaissance des modalités de transmission du virus. Il a fallu aux autorités sanitaires plus de deux ans pour reconnaître que le SARS-CoV-2 se transmet principalement par aérosol. Pour plus d’efficacité, la stratégie de prévention de la contamination doit s’adapter et se concentrer sur cette modalité de transmission. Le port du masque dans les transports en commun et dans les lieux clos mal ventilés est nécessaire quand l’incidence dépasse un certain seuil. Le masque FFP2, plus protecteur, devrait être recommandé pour les sujets à risque de faire une forme grave. Par ailleurs, il faudrait investir massivement dans la surveillance de la qualité de l’air et dans l’aménagement des lieux clos, écoles, lieux de travail, transports et plus généralement dans tous les lieux clos accueillant du public.

Un troisième axe de la gestion épidémique concerne l’élaboration d’une stratégie de diagnostic et de dépistage. Il est à l’évidence important de tester le plus tôt possible pour savoir si on est porteur du virus, si on doit s’isoler et prévenir les personnes de son entourage et pour assurer une prise en charge précoce si l’on a des symptômes. Le système français permet l’accès facile et le remboursement des tests diagnostiques, ce qui a constitué un atout important lors des précédentes vagues. Il est temps d’évaluer la pertinence de cette stratégie et peut-être de la faire évoluer pour plus d’efficacité. Par ailleurs, les autotests ont été largement utilisés surtout à visée diagnostique avant confirmation par des tests PCR ou antigéniques, mais leur place dans la stratégie de dépistage n’est pas claire. Or, ils peuvent être très utiles dans le dépistage « collectif » : gérer et éviter au maximum les situations à risque de contamination, par exemple dans les écoles, les universités, les entreprises, les cinémas, dans les restaurants et pour chaque événement collectif, voire dans les stations de métro et dans les gares. Et nous pouvons les répéter autant que nécessaire. La faisabilité de cette approche devrait être évaluée.

Le tout-vaccinal n’est pas suffisant
Les vaccins présentent une avancée considérable dans la prévention des formes graves du Covid-19. Ils ont permis de sauver au moins 14 millions de vies en 2021 dans le monde et ils continuent à en sauver des millions. Cependant, l’efficacité des vaccins actuels, dirigés contre le virus originel de Wuhan, est limitée contre la contamination par les nouveaux variants et diminue un peu avec le temps contre les formes sévères. Les nouveaux variants acquièrent des capacités de résistance qui abaissent un peu l’efficacité des vaccins. Nous quittons donc l’âge d’or de l’efficacité vaccinale à plus de 90 % contre le risque d’hospitalisation et de décès pour entrer dans l’ère d’une efficacité vaccinale à environ 70 %. Bien que cette efficacité reste très importante, la stratégie du tout-vaccinal ne sera pas suffisante pour endiguer l’impact de l’épidémie. La stratégie vaccinale doit évoluer et répondre aux questions : quand vacciner, qui vacciner et avec quels vaccins ? Le développement récent de nouvelles générations de vaccins contre certains variants et sous-variants d’Omicron constitue un grand espoir. Cependant ces vaccins ne sont pas encore validés et ne seront pas disponibles à grande échelle avant plusieurs mois.

Il est tout aussi nécessaire de renforcer la capacité du système hospitalier pour accueillir les patients, d’adapter les circuits et les services hospitaliers en fonction des caractéristiques des patients et de leurs pathologies (en intégrant le Covid long). L’hôpital a pu faire face aux premières vagues de la pandémie mais il traverse actuellement une crise de recrutement de personnel soignant sans précédent. En ville, l’offre de soins est à beaucoup d’endroits insuffisante. Notre système de santé doit être repensé en profondeur, les liens entre la médecine de ville et l’hôpital doivent être resserrés. Il faut donner à l’hôpital les moyens de retrouver des conditions qui lui permettront d’attirer à nouveau les soignants. La crise sanitaire actuelle nous démontre que nous avons besoin d’un système de santé solide.

Nous sommes à un tournant de notre lutte contre ce virus. Gérer la situation en la subissant ou la gérer à court terme n’est plus une option, pas plus que le lâcher-prise. Une stratégie globale doit être mise en œuvre. Chacun des cinq axes de cette stratégie que nous venons de décrire est nécessaire pour lutter plus efficacement contre le virus ; ils doivent être développés simultanément pour limiter durablement l’impact sanitaire du Covid-19.

Mahmoud Zureik est professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles-Saint-Quentin.

Mahmoud Zureik(Professeur d’épidémiologie et de santé publique)