Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Face au Coronavirus, des pays rapatrient leurs ressortissants au risque de froisser la Chine

Janvier 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Face au Coronavirus, des pays rapatrient leurs ressortissants au risque de froisser la Chine

Après les Etats-Unis et le Japon, les Européens évacuent à leur tour leurs ressortissants du Hubei, cette province chinoise d’où est parti le coronavirus.

Par Frédéric Lemaître , François Béguin et Simon Leplâtre •

Publié le 30/ 01/2020

En raison de la présence d’un consulat français à Wuhan, la capitale du Hubei, et de la présence de nombreux Français dans cette ville, c’est Paris qui est en première ligne même si la France a demandé à l’Union européenne (UE) d’activer le mécanisme européen de coordination d’urgence.

Un premier avion Airbus A340 Esterel militaire devait arriver jeudi 30 janvier à Wuhan afin de ramener, vendredi, quelque 200 ressortissants français désirant être rapatriés et ne présentant pas de symptômes du coronavirus 2019-nCoV, a annoncé, mercredi soir, la ministre de la santé et des solidarités Agnès Buzyn à l’issue d’une réunion à Matignon autour du premier ministre Edouard Philippe. Un deuxième avion – un Airbus A380 – devait partir jeudi ou vendredi afin de ramener les Français qui auraient « des regrets » ainsi que des ressortissants étrangers, notamment européens. « Si sur place, des personnes ont des symptômes, sont malades, (…) elles seront rapatriées par vols sanitaires spécifiques », a précisé la ministre.

Après avoir porté un masque de protection dans l’avion, les personnes rapatriées seront emmenées directement dans un lieu de confinement – dont la localisation n’a pour l’instant pas été communiquée – où elles resteront quatorze jours sous surveillance médicale.

Multiples difficultés

Par ailleurs, un avion militaire allemand pourrait se rendre à Wuhan ce week-end, selon une source européenne. Mais le fait que cet avion sanitaire soit aux couleurs de la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande, crée des tensions avec Pékin.

En tout, ce sont 400 à 600 personnes qui pourraient être « susceptibles de demander à partir », assure la ministre de la santé ; des Européens mais aussi des conjoints chinois qui doivent, eux, obtenir l’accord des services de l’immigration, ce qui est loin de n’être qu’une simple formalité. Ces rapatriés devraient être essentiellement des étudiants, à l’exception des Français, majoritairement des salariés expatriés.

Les problèmes concrets sont multiples. Par exemple, contrairement aux Japonais, les Américains n’avaient pas prévu de convoi pour se rendre à l’aéroport de Wuhan. Certains de leurs ressortissants ne seraient pas parvenus à y accéder. Par ailleurs, certains Européens se trouvent dans d’autres villes du Hubei, notamment à Yichang, près du barrage des Trois-Gorges et ils n’ont pas le droit de se rendre à Wuhan sans une autorisation spéciale. Enfin les formalités à l’embarquement, notamment les contrôles sanitaires, restaient, jeudi matin, à déterminer.

Car, en coulisses, ces rapatriements sont le fruit d’une véritable bataille diplomatique. Lundi, les diplomates européens ont été invités au ministère chinois des affaires étrangères. Au cours de cette réunion, la Chine a farouchement défendu sa position : Pékin est tout à fait capable de gérer cette crise sanitaire ; ces opérations de rapatriement ne sont donc pas nécessaires. Un discours qui a reçu l’aval le lendemain du directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Lors de sa visite en Chine, Tedros Adhanom Ghebreyesus a invité la communauté internationale « à rester calme et à ne pas surréagir ».

Ne pas vexer Pékin

Non seulement ces évacuations sont vécues comme un signe de défiance par les autorités mais elles mettent celles-ci en porte-à-faux vis-à-vis de leur propre opinion publique et notamment des habitants du Hubei qui, eux, sont placés en quarantaine.

Pour ne pas vexer davantage Pékin, « la discrétion est l’une des clés de la réussite », affirme un diplomate occidental. Si ces rapatriements n’ont pas pu se faire secrètement comme la Chine semble l’avoir espéré, elle veut à tout prix éviter de les médiatiser. Quand la presse chinoise en parle, c’est pour reprendre la déclaration faite mardi par le directeur général de l’OMS.

Certains diplomates européens parlent même « d’obstruction » administrative. Les vols spéciaux en provenance de la France ou de l’Allemagne ou des Etats-Unis n’obtiennent pas facilement le droit d’atterrir. Les Américains sont passés en force, envoyant leur avion avant même de régler la situation, alors que les pays européens ont dû retarder leur opération.

Jeudi matin, d’après la BBC citant le Foreign Office, le vol censé rapatrier les citoyens britanniques n’a pas pu décoller à l’heure prévue, de même que plusieurs autres vols. Par ailleurs, les conjoints ou les enfants chinois de ressortissants étrangers n’ont pas été autorisés à partir. Mercredi soir, la ministre australienne des affaires étrangères, Maryse Paine, a même indiqué que les négociations étaient toujours en cours avec Pékin. Idem pour la Nouvelle-Zélande qui a une centaine de ressortissants à Wuhan et se propose d’aider les îles du Pacifique et l’Australie ; mais le vol est encore soumis à l’approbation des autorités chinoises et c’est « une opération complexe », selon Winston Peters, ministre néo-zélandais des affaires étrangères.

Bataille d’images

Suite à la décision des Etats-Unis, de la France et du Japon d’évacuer leurs ressortissants vivant à Wuhan, quasiment tous les pays s’interrogent. Rabat a annoncé, mercredi, envisager à son tour le rapatriement d’une centaine d’étudiants marocains.

La bataille d’images ne se limite pas aux étrangers vivant dans le Hubei. De plus en plus d’expatriés habitant dans le reste de la Chine quittent le pays. La fermeture des écoles pour au moins deux semaines supplémentaires incite les familles à rentrer.

Par ailleurs, nombre de compagnies aériennes réduisent leurs liaisons avec la Chine – à la fois pour des raisons sanitaires et commerciales – quand elles ne les annulent pas. C’est le cas de British Airways, qui a été la première à prendre cette décision avec effet immédiat mercredi mais aussi de nombreuses autres, comme Lufhansa, qui ne dessert plus Pékin.

Sur son site Air France indique continuer de desservir la Chine, sauf Wuhan, une liaison qui n’est plus assurée jusqu’au 29 février, mais la compagnie précise : « A ce stade, les dessertes de Shanghaï et de Pékin sont maintenues. Néanmoins, en raison de la baisse de la demande sur ces destinations, nous ajustons notre programme et opérerons un vol quotidien vers [ces deux villes] à compter du vendredi 31 janvier. »

Par ailleurs, certains pays ferment carrément leurs frontières avec la Chine. Après la Corée du Nord, la Mongolie puis le Kazakhstan ont annoncé de telles mesures quitte à se mettre à dos leur puissant voisin. Plusieurs micro-Etats du Pacifique, comme Palau ont aussi suspendu tous les vols en provenance de Chine, de Hongkong ou de Macao malgré la manne que représente le tourisme chinois.

Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant) , François Béguin et Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)