Perte d’autonomie, “dépendance”

Le Monde.fr : Fin du concours d’aide-soignant, baisse de la pénibilité... Les propositions d’El Khomri sur les métiers du grand âge

Novembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Fin du concours d’aide-soignant, baisse de la pénibilité... Les propositions d’El Khomri sur les métiers du grand âge

L’ex-ministre du travail a remis à Agnès Buzyn, mardi 29 octobre, un rapport pour réformer un « système devenu complètement fou ».

Par Béatrice Jérôme •

Publié le 29 octobre 2019

« J’ai envie de me battre pour ces femmes ! », confiait-elle début septembre en quittant l’école d’infirmières et d’aides-soignants de la Croix-Rouge, à Romainville (Seine-Saint-Denis). L’ancienne ministre du travail de François Hollande, Myriam El Khomri, a remis son plan de bataille, mardi 29 octobre, à Agnès Buzyn, la ministre de la santé et des solidarités, sous la forme d’un épais rapport appelant à une « mobilisation générale en faveur des métiers du grand âge », pour la période 2020-2024.

Au terme d’une mission de près de quatre mois menée avec l’appui d’une petite douzaine d’experts, d’élus et de professionnels, Mme El Khomri enjoint au gouvernement de « réformer un système devenu complètement fou, dit-elle, où l’organisation administrative et les enjeux tarifaires ont pris le dessus sur la qualité du service et du travail des salariés ». Il s’agit ni plus ni moins, explique-t-elle, que de « réhumaniser » les métiers des quelque 830 000 salariés qui soignent, accompagnent, soutiennent le dernier âge de la vie.

Mme El Khomri propose une « réforme organique » qui se décline en 59 mesures. Leur mise en œuvre impliquerait de dégager 825 millions d’euros dès 2020. « Votre proposition constitue une feuille de route à la fois courageuse, innovante et opérationnelle », a salué Agnès Buzyn lors de la présentation du rapport.

Ce dernier rappelle un constat déjà fait dans un autre travail réalisé par Dominique Libault et remis à Mme Buzyn en mars : les métiers du grand âge souffrent d’une pénurie de candidats alors que les besoins vont aller croissant dans les prochaines années. Symptôme de cette désaffection, le nombre d’inscrits au concours d’aide-soignant a baissé d’un quart en six ans.

Supprimer le concours

La première urgence est donc de relancer le recrutement. Le rapport estime qu’il faudrait créer 93 000 postes en quatre ans dans les maisons de retraite et les services de soin à domicile. Cela permettrait d’augmenter de 20 % le taux d’encadrement en personnels dans les ehpad. Or, le projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2020 prévoit de ne financer que 5 200 postes dans les ehpad pour l’an prochain. Myriam El Khomri porte le besoin à 18 500 dès 2020. Le coût annuel de ces recrutements est estimé à 450 millions d’euros.

Recruter suppose de former. Pour élargir les viviers, Mme El Khomri suggère de supprimer le concours d’aide-soignant et de le remplacer par une inscription à une formation sur Parcoursup, à l’instar de qui est désormais possible pour devenir infirmière. Cette suppression du concours d’entrée coûterait un million d’euros.

L’ex-ministre du travail souhaite développer la voie d’accès au métier d’aide-soignant ou d’auxiliaire de vie grâce à la « validation des acquis de l’expérience » (VAE). Elle estime que 25 000 aides-soignants sur 100 000 formés par an devraient avoir recours à la VAE. Le rapport mise surtout sur la formation par l’apprentissage, très peu développée dans ce secteur. Le Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa) a rappelé, lundi, qu’il était « essentiel que les crédits de formation professionnelle soient redéployés vers le secteur du grand âge ». Le Synerpa se dit prêt à « signer une convention avec l’Etat prévoyant 1 500 contrats d’alternance ou d’accompagnements par la VAE dès 2020 pour aboutir à 2 500 en 2022 ». Le rapport prévoit 100 millions d’euros pour la création de « plates-formes départementales des métiers du grand âge », sites d’information sur les formations, les filières, les meilleures voies d’accès pour entrer dans cette carrière.

Deuxième urgence : augmenter les rémunérations. Sur les six conventions collectives qui régissent les métiers de soignants en établissement et d’aide à domicile, deux prévoient dans leur grille des salaires pour débutant inférieurs au smic. Les employeurs sont contraints de respecter le salaire minimum, mais ils n’ont aucune obligation de répercuter les revalorisations annuelles prévues sur les bas salaires. Ainsi, les employés qui débutent au bas de l’échelle voient leurs rémunérations bloquées à des niveaux très faibles pendant parfois plus d’une dizaine d’années. Le rapport El Khomri juge urgent de sortir de cette ornière salariale en alignant les premiers niveaux de rémunération des aides à domicile sur le smic. La mesure coûterait 170 millions d’euros.

Réduire la pénibilité

Troisième priorité du rapport : l’amélioration de la qualité de vie professionnelle. En ehpad et à domicile, le nombre d’accidents du travail est trois fois supérieur à la moyenne dans toutes les autres branches. « La baisse des temps d’intervention à domicile s’accompagne d’une augmentation du nombre d’usagers suivis par une aide à domicile, et dans le même temps par des déplacements plus nombreux, fatigants et coûteux », relève Alexandra Garabige, sociologue à l’Institut national d’études démographiques et spécialiste des politiques publiques de prise en charge de la dépendance.

Le rapport El Khomri prévoit des plans de prévention et de formation contre les troubles musculo-squelettiques, l’investissement dans des équipements pour réduire la pénibilité au travail et l’instauration de « quatre heures de temps collectif » dans les ehpad et les services à domicile pour permettre au personnel de souffler et d’échanger. Ce train de mesures est estimé à 100 millions d’euros. Au passage, Myriam El Khomri suggère que l’Etat lance un appel d’offres national auprès de fabricants automobiles pour permettre aux accompagnants à domicile d’acheter une voiture de fonction à leur compte. Le rapport reprend également l’idée d’une « grande campagne de communication » pour valoriser les métiers du grand âge, pour un budget estimé à environ 4 millions d’euros.

Reste à trouver comment financer l’ensemble de ces mesures. « Nous avons repris à notre compte, explique Mme El Khomri, l’idée d’affecter à ces mesures, à compter de 2024, une part de la CRDS [Contribution pour le remboursement de la dette sociale] qui sert à rembourser aujourd’hui le trou de la sécurité sociale via la caisse d’amortissement de la dette sociale. » Mais Bercy a fait jusqu’ici la sourde oreille à cette solution pourtant portée par une partie de la majorité.

Myriam El Khomri ébauche une autre piste plus immédiate : la présentation d’une loi de finances rectificative qui serait adoptée dans la foulée du projet de loi grand âge et autonomie. Elle espère aussi que ses mesures susciteront un effort financier des départements, même si ceux-ci supportent déjà deux milliards d’euros sur les quatre milliards versés aux quelque 1,4 million bénéficiaires de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Pour les inciter à investir davantage, Mme El Khomri suggère au gouvernement de les autoriser à soustraire leurs dépenses liées aux personnes âgées des crédits de fonctionnement dont la hausse a été plafonnée par le gouvernement au terme du « Pacte de Cahors » de décembre 2017.

Mardi, Agnès Buzyn a annoncé qu’elle proposerait à Muriel Pénicaud, ministre du travail, et au premier ministre Edouard Philippe de nommer « une personnalité qualifiée pour piloter la mise en œuvre opérationnelle » du rapport El Khomri. Cette personnalité sera également chargée de préparer l’organisation d’une « conférence » avec les acteurs du secteur. « Il nous faudra concerter, négocier, travailler tous ensemble. Je nous donne d’ici début 2020 pour réussir », a-t-elle ajouté.

Béatrice Jérôme