Organisation du systéme de santé

Le Monde. fr : Il faut revaloriser « la médecine de ville » et investir dans le numérique pour éviter au maximum le recours à l’hospitalisation

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde. fr : Il faut revaloriser « la médecine de ville » et investir dans le numérique « pour éviter au maximum le recours à l’hospitalisation »

Tribune

Angèle Malâtre-Lansac

Directrice déléguée à la santé, Institut Montaigne

Le gouvernement vient de consentir à un investissement massif dans les hôpitaux, mais il faut aussi repenser notre système de santé construit autour des professionnels de santé, de l’hôpital et des spécialités médicales et insuffisamment pensé pour et par les patients, estime Angèle Malâtre-Lansac, de l’Institut Montaigne.

Publié le 3 décembre 2019

Après le « pacte de refondation » des urgences du 9 septembre 2019 qui annonçait 750 millions d’euros pour les hôpitaux sur trois ans, le plan d’urgence pour l’hôpital public présenté le 20 novembre par Edouard Philippe et Agnès Buzyn engage des financements supplémentaires à hauteur d’1,5 milliard d’euros d’ici à 2022, ainsi qu’une reprise partielle de la dette des hôpitaux. Un investissement massif, qui dépasse la barre symbolique du milliard d’euros attendue par de nombreux acteurs.

En multipliant les primes à destination des personnels soignants et en redonnant de l’oxygène et des moyens à un hôpital public exsangue, le gouvernement envoie un signal fort aux acteurs de l’hôpital dont la colère s’est manifestée dans les rues le 14 novembre, après plus de six mois de grèves dans de nombreux services d’urgences.

Cette réponse, sans doute inévitable compte tenu de la paupérisation des établissements publics et de la souffrance des professionnels, interroge toutefois sur les moyens qui seront mis en œuvre pour refonder sur le long terme notre système de santé. La transformation épidémiologique et technologique à l’œuvre appelle pourtant à repenser en profondeur l’offre de soins, construite autour des professionnels de santé, de l’hôpital et des spécialités médicales et insuffisamment pensée pour et par les patients.

Un système d’une autre époque

La situation dans les hôpitaux publics est symptomatique de l’état de notre système de santé. Elle est le résultat d’un système construit à une autre époque : celle où les maladies chroniques étaient rares, où les solutions numériques n’existaient pas, où les traitements innovants n’avaient leur place qu’à l’hôpital.

Aujourd’hui, grâce aux innovations technologiques et au progrès médical, on vit plus longtemps avec des maladies qui se chronicisent. Au cœur de ces défis, se trouvent les patients âgés, très souvent porteurs de multiples pathologies (90 % des plus de 75 ans souffrent d’au moins deux maladies chroniques). De ce fait, la demande de soins va croissant et la tendance naturelle à l’augmentation des dépenses de santé se situe autour de 4 %.

Pour éviter le dérapage budgétaire, les dépenses de l’Assurance-maladie sont contenues par un objectif national de dépenses ­d’Assu­rance-maladie (ONDAM) voté chaque année, et ne progressent « que » de 2,5 % par an. Sans réforme structurelle, on comprend aisément que cette contrainte budgétaire annuelle, souvent comparée à un « coup de rabot », est de nature à paupériser un système dont le mode de financement est par ailleurs largement lié au volume d’activité (la tarification à l’acte).

Penser les réponses à la crise actuelle autour de l’institution hospitalière (ses moyens, ses statuts, sa gouvernance) sans considérer l’ensemble du système de santé et l’évolution des technologies comme des besoins serait une grave erreur et risquerait de conduire à une nouvelle crise dans deux ou trois ans. Les besoins de santé ne sont pas figés dans le temps : ils ne font et ne feront qu’augmenter et aujourd’hui la médecine de ville, totalement désorganisée, n’arrive pas à faire face, donnant à l’hôpital un rôle d’acteur de premier recours qui le fragilise.

Les Pays-Bas ou le Danemark

Rappelons que près de 40 % des urgences traitées à l’hôpital pourraient être traitées en ville. Sans réforme systémique, la croissance continuelle de la demande continuera à faire pression sur l’hôpital et ses professionnels. De plus, le pilotage actuel, qui oppose encore trop souvent médecine de ville et hôpital, avec une gouvernance séparée – l’hôpital géré par l’Etat, la médecine de ville pilotée par l’Assurance-maladie – limite toute réflexion d’ensemble. Il faut partir des parcours et des besoins des patients pour mettre en œuvre des réformes structurelles.

La stratégie « Ma Santé 2022 » proposée par le gouvernement va d’ailleurs dans le sens d’une réorganisation du système davantage tournée vers la médecine de ville, avec une gradation des soins en fonction des besoins des patients, et amorce la création d’un maillage territorial avec de nouveaux métiers et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Ces annonces, accueillies de façon très positives, demandent aussi un investissement massif et rapide dont la mise en œuvre risque de se voir amputée par les ressources dégagées par le plan d’urgence pour l’hôpital.

Des pays comme les Pays-Bas ou le Danemark peuvent pourtant nous donner la voie : ils se sont engagés depuis plusieurs années dans des politiques volontaristes de consolidation de leur médecine de ville, dans la revalorisation de la médecine de premier recours (généralistes et pédiatres) et ont investi massivement dans les solutions numériques et la création de métiers intermédiaires pour accompagner les patients dans leurs parcours et éviter au maximum le recours à l’hospitalisation.

De telles réformes prennent du temps mais sont de nature à répondre au triple défi d’une meilleure qualité des soins, d’une maîtrise des coûts et d’une plus grande satisfaction des patients comme des professionnels.

¶Angèle Malâtre-Lansac est lauréate du Harkness Fellowship 2018-2019. Elle a ainsi travaillé pendant un an à la Harvard Medical School et à la Rand Corporation à Boston sur l’organisation des soins primaires.

Angèle Malâtre-Lansac (Directrice déléguée à la santé, Institut Montaigne)