Tuberculose

Le Monde.fr : Inquiétudes dans un lycée de Roubaix touché par la tuberculose

Janvier 2023, par infosecusanté

Le Monde.fr : Inquiétudes dans un lycée de Roubaix touché par la tuberculose

Echaudés par la gestion du Covid-19 dans l’éducation nationale, les enseignants ne comprennent pas le temps qu’il a fallu pour que tout l’établissement soit dépisté après la découverte d’un cas. Selon eux, quatre tuberculoses actives et treize latentes ont été détectées côté élèves et cinq latentes chez les adultes.

Par Florence Traullé(Lille, correspondante)

Publié le 11 janvier 2023

« On ne parle que de ça », soupire une enseignante du lycée professionnel Louis-Loucheur de Roubaix (Nord) qui espérait, à la rentrée de janvier, une information précise sur les cas de tuberculoses actives et latentes détectés dans cet établissement qui forme aux métiers du bâtiment. Comme tous les enseignants interrogés par Le Monde, elle préfère ne pas donner son nom. « On va à la pêche aux informations par nous-mêmes, on est alertés par les collègues sous traitement préventif car détectés à la tuberculose latente et on fait le compte des élèves hospitalisés en décembre ou sous traitement. On arrive à quatre tuberculoses actives et treize latentes côté élèves et cinq latentes chez les adultes », affirme-t-elle.

Des chiffres qui circulent et inquiètent : « On attend toujours une confirmation officielle. Pourquoi ce silence qui alimente la psychose ? », interroge un autre enseignant, ajoutant que « tout le monde est à cran. Un collègue a été hospitalisé. Il a arrêté son traitement préventif à cause des effets secondaires. La forme latente, ce n’est pas rien quand on doit prendre des antibiotiques pendant trois ou six mois ».

Pendant les vacances de la Toussaint, les enseignants avaient appris par des échanges de messages privés que deux d’entre eux étaient positifs à la tuberculose latente ainsi que cinq élèves. Un dépistage avait été mis en place en octobre 2022 par le centre de lutte antituberculeuse (CLAT) de Tourcoing (Nord) pour les élèves et enseignants de la classe d’un lycéen ayant déclaré la maladie en avril. « Il a fallu six mois pour que ce premier dépistage soit fait. Vu les risques de contamination, c’est invraisemblable ! », s’indigne un autre enseignant.

Il semble qu’il y ait eu un raté de transmission de l’information entre le CLAT de Lille, où le jeune malade vit en foyer, et celui de Tourcoing, dont dépend le lycée de Roubaix. Olivier Robineau, infectiologue et spécialiste de la tuberculose au CLAT de Tourcoing, confirme que son centre n’a été averti que « fin septembre de ce cas de tuberculose bacillifère, donc contagieuse ». « A partir de là, on a enquêté dans le premier cercle. Tout s’est fait dans les temps », assure-t-il.

« Aucune info, aucun conseil »
« Le problème, c’est que, depuis le début, notre proviseur ne nous a tenus au courant de rien. Aucune info, aucun conseil. Très inquiets, on a fait valoir notre droit de retrait à la rentrée de la Toussaint pour obtenir un dépistage de tout le lycée », témoigne un enseignant. Pendant ces deux jours, les élèves ont été renvoyés chez eux ou dans leurs foyers, car, au lycée Louis-Loucheur, on compte beaucoup de mineurs isolés, « venant de pays, notamment d’Afrique subsaharienne, avec des foyers de tuberculose latente », observe le docteur Robineau.

Le médecin est venu rencontrer l’équipe éducative pendant son droit de retrait et, après avoir tenté de rassurer sur la forme latente, expliquant que « cela signifie que l’on a détecté une réaction immunitaire à la tuberculose. Cela ne veut pas dire qu’on est malade », il a annoncé qu’un dépistage systématique allait être effectué pour tout l’établissement. Fin novembre, un camion est arrivé pour réaliser les prises de sang et les radios thoraciques.

« Nous sommes en janvier, et toujours sans aucune information officielle et fiable », déplore un enseignant qui, pendant les vacances de Noël, s’inquiétait de l’état de santé d’un lycéen atteint d’une péricardite tuberculeuse pour laquelle il a été pris en charge par l’Institut Cœur-Poumon du CHU de Lille, « où il s’est retrouvé en soins intensifs ».

Olivier Robineau confirme qu’il y a plusieurs cas de tuberculose active « et un taux anormal de tuberculoses latentes ». « Nous continuons les investigations et avons lancé des enquêtes ailleurs, dans l’environnement des cas repérés. Elles se déroulent comme elles doivent être menées, de manière progressive et par vagues », précise-t-il. Bien conscient de l’émoi qui règne au sein du lycée Loucheur, il ajoute que « toutes les informations seront données lors d’une réunion au lycée fin janvier ». Contacté à plusieurs reprises pour avoir sa réaction aux accusations de manque de transparence et de réactivité portées par les enseignants, le proviseur du lycée Loucheur n’a pas donné suite.

« La procédure a été respectée »
Du côté de l’agence régionale de santé, Béatrice Merlin, médecin responsable de la veille sanitaire, dit « comprendre que ce soit très difficile à gérer pour les personnels et élèves atteints ou inquiets ». « Mais, au vu des éléments que nous avons, et d’un point de vue veille sanitaire, je ne m’inquiète pas particulièrement, ajoute-t-elle. Avoir mené cette enquête en deux mois et demi, c’est très efficace et la procédure a été respectée. Il n’y a pas eu de dysfonctionnement. »

Le docteur Merlin n’a pas donné de précisions sur d’éventuelles contaminations à la tuberculose dans un autre établissement du secteur, le lycée Saint-Exupéry, à Halluin (Nord), où un dépistage a été effectué en octobre, et estime qu’« il n’y a pas d’inquiétude à avoir ». Pour cet établissement, le service communication du rectorat dit avoir pour instruction de ne pas communiquer. Pour le lycée Louis-Loucheur, il dit ne pas avoir connaissance du résultat du dépistage. La section régionale de la CGT-Educ’action a adressé un courrier à la rectrice, menaçant d’un nouveau droit de retrait dans ce lycée « si rien n’est fait et que le manque de transparence perdure ». Mercredi 11 janvier, les enseignants ont finalement appris que la réunion pour faire le point avec le docteur Robineau était avancée au lundi 16 janvier.

La tuberculose en baisse en France, avec de fortes disparités régionales
En 2020, 4 606 nouveaux cas de tuberculose ont été déclarés en France, soit une baisse de 10 % par rapport à 2019. « Cette forte diminution est très inhabituelle, explique Jean-Paul Guthmann, coordinateur du programme de surveillance de la tuberculose et épidémiologiste à Santé publique France. Ces vingt dernières années, on notait plutôt une baisse de 1,7 % par an en moyenne. » Différents facteurs liés au Covid-19 y concourent : la multiplication des gestes barrières, les confinements, mais aussi des consultations moins fréquentes, provoquant un retard de diagnostic. « On pourrait observer un petit rebond ou une baisse moins significative pour la période 2021-2022 », précise-t-il.

Pour Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS-maladies infectieuses émergentes, la guerre en Ukraine est aussi un élément à prendre en compte : « Il y a une proportion plus importante de cas de tuberculose multirésistante dans les pays d’Europe de l’Est, ce qui pourrait entraîner une hausse en Europe en raison des déplacements de population. »

La France demeure un pays à faible incidence. Depuis le début des années 2000, la moyenne est comprise entre cinq et dix cas pour 100 000 habitants, avec des situations territoriales très hétérogènes. Trois régions sont particulièrement touchées : Mayotte, la Guyane et l’Ile-de-France. Cette dernière cumule, à elle seule, 38 % des cas déclarés sur l’ensemble du territoire en 2020. Et le département de Seine-Saint-Denis a le taux d’incidence le plus élevé, avec 26,5 cas pour 100 000 habitants. « On y constate un niveau socio-économique plus faible et donc des conditions de logement et d’accès aux soins plus difficiles, précise M. Guthmann, d’autant qu’il s’agit d’un département où il y a une concentration de personnes issues de pays où la maladie est endémique. »

Florence Traullé(Lille, correspondante)