Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : L’Europe doit tracer le Covid-19 sans les Gafam

Mai 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : L’Europe doit tracer le Covid-19 sans les Gafam

ÉDITORIAL : Le Monde

L’incapacité des Européens à s’entendre sur un système commun d’identification des personnes côtoyées par les malades et l’entrée en scène de Google et d’Apple risquent d’aboutir à des résultats désastreux.Publié Casser les chaînes de contamination du Covid-19 en avertissant les potentiels contaminés par le biais de leur téléphone portable. L’objectif des applications d’identification des personnes côtoyées par les malades, comme StopCovid, dont le gouvernement français annonce le lancement pour le 2 juin, est vertueux. Leur mise en œuvre accélérée en Europe soulève cependant des interrogations sur le respect de la vie privée, mais aussi sur leur efficacité même, face à la pandémie.

L’incapacité des Européens à s’entendre sur un système commun et l’entrée en scène de Google et d’Apple risquent d’aboutir à des résultats désastreux : des pays de l’Union européenne équipés d’applications anti-Covid non compatibles entre elles et des géants américains du commerce des données introduits, sous le couvert de la lutte contre le coronavirus, au cœur des systèmes de santé publique.

L’aventure avait pourtant commencé comme une success story européenne : un chercheur de l’université d’Oxford mobilisé pour adapter aux exigences occidentales la technique chinoise du traçage, un consortium franco-allemand développant en un temps record un système utilisant la liaison Bluetooth et respectant les règlements de l’UE en matière de données personnelles. « Le pire serait d’avoir différentes applications de traçage en Europe », a averti, le 6 avril, le porte-parole de la chancelière allemande, Angela Merkel.

Les chercheurs divisés
C’est pourtant ce qui risque fort d’arriver, depuis que les chercheurs se sont divisés entre partisans d’un système qui centralise les données personnelles, et d’un autre qui les stocke sur chaque portable. Et depuis que l’Allemagne, le 26 avril, a cédé aux sirènes de Google et d’Apple, qui proposent une solution clés en main, mais excluant l’architecture centralisée retenue par Paris. Tandis que l’Autriche, l’Italie et la Suisse ont suivi Berlin et que l’Espagne hésite, la France résiste aux géants du Web, au risque de l’isolement.

Quant au Royaume-Uni, il a mis des œufs dans les deux paniers. Google et Apple, qui contrôlent la quasi-totalité des smartphones en service, ont en effet la main sur le Bluetooth, qu’ils brident, pour éviter aux usagers d’être espionnés à leur insu et qu’il s’agirait au contraire, dans le cas de la lutte contre le Covid-19, d’activer en permanence pour repérer les personnes côtoyées.

Alors qu’aucun des deux systèmes ne présente un avantage décisif en matière de protection des données personnelles, la France a fait un choix de raison en maintenant l’ambition de développer une solution indépendante d’Apple et Google. Mais cette option risque d’aboutir à un fonctionnement dégradé de StopCovid. Il paraît stupéfiant que l’Allemagne, que son histoire a rendue extrêmement pointilleuse en matière de respect de la vie privée, facilite l’entrée dans le monde des données de santé de firmes dont les ambitions dans ce domaine sensible font polémique. Pourquoi pareille concession, sans véritable débat, alors que des scientifiques s’interrogent sur la pertinence médicale d’un suivi de type Bluetooth pour repérer les personnes contaminées par le coronavirus ?

Quant à l’Union européenne, elle a, certes, évité le pire en publiant, dès le 16 avril, une « boîte à outils » posant des exigences en matière de respect des standards européens et vient de lancer un appel en faveur de la compatibilité des applications. Mais une nouvelle démonstration de force d’Apple et Google, à la faveur de la pandémie, marquerait sa difficulté à concrétiser l’indispensable souveraineté numérique européenne.