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Le Monde.fr : L’automne des grands chantiers à la santé

Septembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : L’automne des grands chantiers à la santé

Début octobre sera lancée une grande concertation sur le système de soins, suivie par le vote du budget et les négociations de la nouvelle convention médicale. Trois échéances qui doivent répondre à un défi majeur : l’égalité d’accès aux soins.

Par Mattea Battaglia

Publié le 20/09/2022

A situation exceptionnelle, ­réponse exceptionnelle ? La question est posée par les ­acteurs de la santé, confrontés à une crise systémique du secteur : pénurie de personnels hospitaliers, urgences exsangues, manque de médecins traitants, déserts médicaux... Alors qu’ils sont aux prises avec un système arrivé « à bout de souffle », selon leur ministre de tutelle, François Braun, ils voient se dessiner trois échéances décisives.

Il y a, d’abord, sur le point d’être inaugurée, la grande conférence sur le système de soins, déclinaison du ­Conseil national de la refondation (CNR) voulu par le président Macron. Elle s’appellera « CNR santé », et sera lancée le 3 octobre au Mans, précise-t-on Rue de Ségur.

Il y aura, très vite aussi, le budget pour l’exercice 2023, qui sera présenté en conseil des ministres fin septembre, avant le débat parlementaire prévu fin octobre. Viendront, presque en même temps, les négociations de la convention médicale, très attendues par les médecins libéraux, et qui devront être bouclées en mars. Un automne chargé, après un été compliqué.

Marge de négociation supplémentaire
Ces rendez-vous ne relèvent pas des mêmes logiques. Le premier doit incarner un « changement de méthode », selon les termes d’Emmanuel Macron, et inspirer les mesures structurelles promises par l’Elysée, qui a fait de la santé un « chantier prioritaire ». Les deux autres sont des outils de régulation classique qui reviennent à l’agenda – l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), tous les ans ; celui de la convention médicale, tous les cinq ans.

Mais leur enchaînement – voire leur enchevêtrement – laisse présager qu’il y aura peut-être une marge de négociation supplémentaire à attendre, en cette rentrée. Du côté des médecins libéraux qui réclament « leur » Ségur (celui de l’été 2020, au sortir de la première vague du Covid-19, s’était concentré sur l’hôpital). Du côté des hospitaliers qui, après avoir « tenu bon » tout l’été, et évité la « catastrophe » aux urgences, pourtant saturées, attendent qu’une réponse soit apportée aux fermetures de lits et à l’hémorragie de soignants. Du côté, aussi, des autorités de santé qui, pour répondre au défi de l’accès aux soins et des déserts médicaux, entendent avancer « sans tabou » et (re)poser la question de l’articulation entre médecine de ville et hôpital.

« Je veux être clair, ce sera droits et devoirs », a affirmé le ministre François Braun dans un entretien donné au Quotidien du médecin, fin août, alors qu’il était interrogé sur les moyens supplémentaires à débloquer, pour la médecine de ville notamment. Le patron de l’Assurance maladie, Thomas Fatôme, qui s’apprête à conduire les négociations de la nouvelle convention médicale avec les syndicats de médecins libéraux, n’exclut pas des « contreparties » à une éventuelle revalorisation des tarifs de la consultation.

Le calendrier peut, selon le point de vue où l’on se place, « faciliter ou durcir les négociations, estime Claude Pigement, ancien responsable des questions de santé pour le Parti socialiste. Il peut y avoir des passerelles bâties d’un rendez-vous à l’autre ou des thématiques qui rebondissent de l’un à l’autre, un peu comme si l’on ouvrait des poupées russes. »

Clauses à l’installation
Un alignement des planètes est-il possible ? Les syndicats de médecins attendent de voir. En 2016, les porte-paroles des praticiens libéraux avaient donné leur accord à une convention médicale portant la consultation standard de 23 à 25 euros. Eux qui, après des mois de contestation de la loi santé promulguée en janvier 2016, réclamaient un « new deal », avaient fini par accepter une proposition à 1,3 milliard d’euros.

Six ans ont passé – dont deux marqués par la crise sanitaire et par l’inflation –, et ce sont « plusieurs milliards d’euros » que les protagonistes du round à venir réclament pour la médecine de ville. MG France, syndicat majoritaire, n’avance pas d’enveloppe plus précise. « On ne va pas mettre les lettres avant les chiffres, explique sa présidente, Agnès Giannotti. La convention arrive à un moment charnière et doit être celle du médecin traitant. On a déjà de prête la boîte à outils qu’on entend mettre en discussion, et qui vise à le soutenir et à développer le travail aidé ou collaboratif. »

Le Syndicat des médecins libéraux estime, lui, à 10 milliards d’euros l’investissement nécessaire sur cinq ans. « En injectant plus au début qu’à la fin », espère son président, Philippe Vermesch : « Garantir l’accès aux soins, alors que 6 millions de personnes, dont 600 000 en ALD [affection de longue durée], n’ont toujours pas de médecin traitant, et redonner de l’attractivité à notre métier font partie des grands sujets que nous porterons à la convention. »

Les médecins spécialistes affûtent aussi leurs arguments, conscients qu’ils n’éviteront pas les discussions sur les clauses à l’installation. « On ne répondra pas à l’urgence, qui est d’améliorer l’accessibilité des soins, en demandant aux collègues d’assurer une permanence ici ou là, deux fois par mois, prévient Patrick Gasser, à la tête du syndicat Avenir Spé. Il faut structurer différemment le travail médical, déployer des aides, développer la délégation de tâches… » Sans doute aussi, concède-t-il, « infuser l’idée vers le terrain » d’un autre maillage territorial pensé « collectivement ». Une manière de repenser l’installation à laquelle son syndicat ne ferme pas la porte.

Fermetures de lits
Le budget à venir sera-t-il à la hauteur de la crise ? La question trouve un écho d’abord au sein du monde hospitalier, éprouvé par les vagues successives de Covid-19, mais aussi par des décennies de restrictions financières. Le Ségur de la santé, à l’été 2020, qui s’est concrétisé par des enveloppes « historiques » (19 milliards d’euros d’investissement, une augmentation de 183 euros mensuels pour les personnels), n’a pas suffi à restaurer l’attractivité de l’hôpital.

« L’hémorragie de personnels se poursuit », entend-on résonner d’un établissement à l’autre. Si l’été a mis en lumière les difficultés des services d’urgence, nombreux à se retrouver obligés de fonctionner en pointillé, les fermetures de lits, partout à l’hôpital, se poursuivent. L’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), mastodonte francilien, vient de recenser 18 % de lits fermés en septembre ; soit autant qu’à la précédente rentrée, et plus du double qu’avant la crise du Covid.

La Fédération hospitalière de France, lobby de l’hôpital public, fait déjà entendre ses attentes. En prévision des discussions budgétaires, elle a réclamé, par la voix de son président, Frédéric Valletoux, de réviser le budget des hôpitaux publics en augmentant l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie d’« au minimum » 4 % à 5 %. Ne serait-ce que pour compenser l’évolution des coûts (liée à l’inflation, au Covid-19 et à la revalorisation du point d’indice). Les premiers chiffres qui circulent tournent plutôt autour de 3,5 %.

Sur le terrain, beaucoup rappellent que tout n’est pas qu’une question de « gros sous ». « L’inventaire des problèmes de l’hôpital public ressemble, aujourd’hui, à une liste à la Prévert, relève Christophe Prudhomme, de la CGT santé-action sociale. On ne peut qu’espérer que les rendez-vous qui s’annoncent permettront de poser les questions de fond : est-ce qu’on stoppe, oui ou non, la dégradation du service public hospitalier ou est-ce qu’on décide de laisser le secteur marchand prospérer ? »

Le diagnostic et les attentes d’Olivier Milleron, du Collectif inter-hôpitaux, ne sont pas moins forts. « La situation est catastrophique, martèle le cardiologue, et résumer l’enjeu à une discussion avec Bercy me semble déconnecté de notre réalité. Gouvernance, tarification à l’acte, ratios patients-soignants… c’est à un changement de paradigme qu’il faut s’atteler ! »

Le temps presse
Cette remise à plat, c’est bien l’ambition affichée par le « CNR santé », chargé par le gouvernement de trouver des remèdes aux maux de l’ensemble du système et qui doit vivre, ces prochaines semaines, son baptême du feu. Mais entre un calendrier très étendu – au moins jusqu’au premier trimestre 2023 pour la concertation avec les professionnels – et un déroulement, mêlant consultation numérique et débats locaux, encore « brumeux », les porte-parole syndicaux font entendre leurs réserves.

Ils ne sont pas les seuls. « Le risque de ce type de rendez-vous est d’en rester à des sujets d’organisation sur des bases attendues, portés par les interlocuteurs habituels, autrement dit les professionnels, note Daniel Benamouzig, titulaire de la chaire santé à Sciences Po. Ces sujets sont importants, mais les élus, les patients, les citoyens vont-ils réellement s’impliquer ? S’emparera-t-on du grand âge ? Parlera-t-on de santé publique et de ses déterminants, logement, urbanisme, transports, compétences des collectivités territoriales ? Le défi est celui-là. »

Parmi les médecins, on rappelle que le temps presse, et que les grands-messes et rapports sur la santé n’ont pas manqué ces dernières années. Dernier rapport en date, celui signé par le Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie, début septembre, s’est penché sur l’« organisation des soins de proximité ». Le groupe de réflexion distingue des pistes de « court terme » et d’autres de « moyen terme », évoquant par exemple une collaboration plus étroite entre médecins traitants, infirmiers et assistants médicaux au service d’une « patientèle commune ». Ou encore l’élargissement de la contribution des kinésithérapeutes ou des pharmaciens. Il ne préconise pas, en revanche, de s’attaquer à la liberté d’installation des médecins libéraux.

Le gouvernement viendra-t-il y piocher des idées ? François Braun a déjà exprimé ses réticences à exercer une forme de contrainte à l’installation – un chiffon rouge pour les libéraux – en assurant dans le même temps que « tout » sera sur la table. Le sujet, récurrent chez les parlementaires et les élus locaux, fait l’objet d’au moins huit propositions de loi en préparation à l’Assemblée.

En attendant, l’équation budgétaire que le ministre doit résoudre, s’il veut tenir l’objectif d’une réduction de la dette à l’horizon 2027, s’annonce compliquée. « La Sécurité sociale devra prendre sa part à ce redressement [des comptes publics], mais on ne va pas réformer le système de santé sans nouveaux moyens, a-t-il assuré au Quotidien du médecin. On est en train de rechercher cet équilibre, sur une ligne de crête, avec des gouffres de chaque côté. »

Une « ligne de crête » que complique un dernier élément du calendrier : M. Braun doit encore trancher, fin septembre, sur la pérennisation – ou non – des mesures déployées durant l’été pour soutenir les services d’urgence. Entre autres enjeux figure le maintien de la régulation (le filtrage par le 15 à l’entrée aux urgences), de la majoration de 15 euros sur les consultations non programmées chez les généralistes, ou encore de la revalorisation du travail de nuit à l’hôpital. Ces décisions, si elles étaient prises, devraient trouver une traduction dans le budget. Le temps est compté.

Mattea Battaglia