Maternités et Hopitaux publics

Le Monde.fr : L’hôpital « au chevet d’une République blessée »

Février 2017, par infosecusanté

LE MONDE IDEES
L’hôpital « au chevet d’une République blessée »

Il faut, selon le docteur Marie-José Durieux, donner aux hôpitaux des moyens à hauteur de leurs missions. Au-delà des soins prodigués, ils font vivre les valeurs de la République.

27.02.2017

Par Docteur Marie-José Durieux

L’épisode dramatique qui a conduit le président de la République à se rendre au chevet d’un blessé, Théo L., à l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) le 7 février, a mis en évidence la place centrale qu’occupe aujourd’hui l’hôpital public dans la sauvegarde de l’unité nationale et de la paix citoyenne.

Il s’agissait en effet, dans ce geste hautement symbolique, de tenter de retrouver un climat d’apaisement dans un contexte où l’affrontement et la violence étaient, et sont encore, au premier plan. Pour une République plus libre, plus égale et plus fraternelle. Et c’est à l’hôpital public que ce geste a trouvé tout son sens. Au chevet d’une République blessée.

L’hôpital, haut-lieu des valeurs républicaines

L’hôpital d’Aulnay est un grand lieu de soins intercommunal dont le bâtiment principal, récemment reconstruit, est dédié aux femmes et aux enfants. Des familles entières viennent y chercher quotidiennement secours et assistance, dans un département qui a pour caractéristique d’être à la fois le plus jeune et le plus pauvre de France.

Oui, l’hôpital est encore aujourd’hui le lieu où se retrouvent toutes les cultures, toutes les origines, toutes les histoires de vie, tous les milieux sociaux, dans un contexte où la solidarité et la générosité l’emportent toujours sur l’hostilité et la haine. Peut-être est-il le seul depuis que l’« école de la République » a été mise en échec par les clivages sociaux et même raciaux. Un lieu de rencontre des cultures et des langues quand une quarantaine de soignants de toutes origines s’inscrivent généreusement sur la liste des interprètes volontaires, pour une vingtaine de langues et de dialectes différents, au profit des patients ne parlant pas français.

L’hôpital est encore aujourd’hui le lieu où se retrouvent toutes les cultures, toutes les origines, toutes les histoires de vie, tous les milieux sociaux

Oui, l’hôpital est un lieu de soins, pas seulement au sens médical mais dans le sens où chacun peut prendre soin de l’autre. Un lieu de solidarité au profit des plus fragiles : les enfants, les malades, les handicapés. C’est le lieu où l’on rencontre son prochain à chaque coin de couloirs, qui nous interpelle dans sa souffrance et son humanité. Un lieu où l’égalité devant les soins existe. Un haut lieu de la civilisation. Ne dit-on pas que le degré de civilisation se mesure à la façon dont une société prend soin de ses citoyens les plus vulnérables ?

Oui, l’hôpital est encore un lieu dont notre pays peut être fier, un lieu qui fait vivre les valeurs des droits de l’homme où l’accueil, l’écoute et la bienveillance ont une vraie place. Un lieu pour vivre. La présence de comités d’éthique dans les hôpitaux indique bien le souci de tous les soignants d’être à la hauteur de leur tâche et des débats de société qui s’y rattachent. Et au-delà des grandes questions de société soulevées par la bioéthique, la fin de vie, les dons d’organe ou le droit à disposer de son corps, l’éthique médicale se décline d’abord au quotidien dans les couloirs surchargés des urgences, dans les unités de réanimation, autour des couveuses des nouveau-nés…

Sanctuariser l’hôpital ?

Ce lieu de soins, de partage et de fraternité ne devrait-il pas être sanctuarisé, comme le sont, ou devraient l’être, les hôpitaux sous les bombes dans les zones de guerre ? Une sanctuarisation au profit de tous, patients et aussi soignants qui réclament soutien et écoute pour supporter cette confrontation quotidienne avec la maladie et la souffrance décuplées par le dénuement.

Les médecins, les personnels infirmiers et paramédicaux sont happés par un exercice hospitalier de plus en plus disséminé, car spécialisé, technicisé, au service d’une médecine certes plus performante mais aussi de plus en plus anonyme, aussi bien pour les soignants que pour les patients. Il faut donner aux soignants de tous grades le temps nécessaire pour créer ces liens intersubjectifs sans lesquels aucune prescription n’est vraiment efficace ni même suivie.

On sait d’ailleurs que la difficulté d’accès aux soins des plus démunis se situe d’abord en termes de suivi de prescriptions, d’observance de traitement, rendu quasi impossibles en l’absence de l’installation d’une relation humaine de confiance et d’empathie.

Il est malheureusement à redouter que la mise en place de ces inventions technocratiques que sont la tarification à l’activité (T2A) et la dispersion des lieux d’administration (GHT) ne soit en train de dissoudre définitivement le fragile équilibre humain nécessaire à tout acte de soin hospitalier en particulier dans les zones où les populations sont si démunies.

Il faut donner à nos hôpitaux des moyens à hauteur de leur mission. Attention l’hôpital est en danger. Qui veillera sur la République quand il sera mort ?

Docteur Marie-José Durieux