Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : La Chine confrontée à une violente flambée de Covid-19

Décembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : La Chine confrontée à une violente flambée de Covid-19

Quasi-disparition des tests, suppression de l’application de traçage, fin des confinements collectifs : Pékin semble désormais décidé à laisser circuler le virus et à miser sur l’immunité collective.

Par Frédéric Lemaître(Pékin, correspondant)

Publié le 12/12/2022

Le silence. Quatre jours après la levée des principales mesures de confinement, Pékin est paradoxalement redevenue ce week-end une ville fantôme, comme en février 2020 ou en mai 2022. En soixante-douze heures, le nombre de personnes contaminées par le Covid-19 a explosé. Nul n’en connaît le chiffre exact, puisque les cabines pour se faire tester ont aussi soudainement disparu qu’elles avaient été installées six mois plus tôt et que les autorités conseillent aux personnes qui ne sont pas gravement malades de rester chez elles. Mais, d’après plusieurs estimations, environ 10 % des Pékinois (22 millions d’habitants) seraient contaminés. « Près de 13 % », affirme le site Solidarité Covid, géré par des expatriés français. Les autres, soit parce qu’ils sont cas contacts, soit par prudence, restent chez eux.

La rue appartient donc aux milliers de livreurs, aussi vaillants qu’exploités, dont le rôle est d’autant plus indispensable que les pharmacies, prises d’assaut, manquent d’autotests et de remèdes contre la fièvre.

Le salut ne peut venir que d’Internet et de ses soutiers. Et encore, difficile aujourd’hui de trouver des autotests, même sur Internet. Du coup, c’est le système D. Mais la générosité des amis prévoyants s’émousse au fil des heures. « C’est la panique. Les gens sont dans une grande détresse psychologique. Impossible de trouver la moindre boîte de Doliprane, même en ligne », témoigne Sylvie Berger, présidente de l’association Pékin Accueil. Sur les réseaux sociaux, on peut, en revanche, désormais acheter des appareils respiratoires.

Le personnel soignant n’étant pas épargné par le virus, nombre d’hôpitaux tournent au ralenti. Pourtant, les files d’attente qui s’étaient formées les 7 et 8 décembre semblent avoir disparu. « Près de chez moi, l’hôpital fait des consultations en ligne et envoie des médicaments en petite quantité », témoigne une Pékinoise.

« Chacun est responsable de sa santé »
Du coup, les entreprises sont repassées en télétravail. La délégation de l’Union européenne qui devait organiser, lundi 12 décembre, sa rencontre annuelle autour des droits humains l’a annulée au dernier moment. A Pékin, les cours ont lieu à distance mais le taux d’absentéisme dépasserait les 20 %. « Et encore, certains élèves malades suivent les cours », témoigne une enseignante.

Malgré l’ambiance chaotique, les autorités maintiennent le cap. Dimanche 11 décembre au soir, elles ont même pris une nouvelle mesure radicale : la suppression de l’application qui permettait de tracer chaque déplacement – une flèche verte au bas de laquelle s’inscrivait automatiquement le nom des villes, voire des quartiers où le téléphone avait « borné » les sept jours précédents et qui était systématiquement vérifiée à l’arrivée en gare ou dans les hôtels. Dans la même logique, les villes n’indiquent plus le nombre de contaminations par quartiers. Il n’y a donc plus de « zones à risques » spécifiques.

Depuis janvier 2020, la lutte contre le Covid-19 en Chine passait par le triptyque : tester, tracer, isoler. Désormais, les tests ont quasiment disparu. Ils ne sont plus obligatoires pour les transports en commun ni pour l’accès aux résidences. Le traçage vient, lui aussi, d’être supprimé. Reste l’isolement. Mais là encore, les confinements collectifs touchent à leur fin. Les malades restent chez eux et se débrouillent. Comme l’indique une inscription monumentale apparue sur la tour iconique de Canton : « Chacun est responsable de sa santé ».

Les observateurs se perdent en conjecture sur les raisons qui ont poussé le gouvernement à rouvrir si rapidement. La flambée des cas à Pékin et à Canton malgré les mesures zéro Covid, la dégradation de la situation économique, le ras-le-bol désormais explicite de la population, ont sans doute joué.

Miser sur l’immunité collective
Certains n’excluent pas que le président Xi Jinping, qui s’est rendu au G20 à Bali à la mi-novembre, ait constaté, à cette occasion, que le reste du monde vivait avec le Covid-19. Peut-être même aurait-il été contaminé par John Lee, le responsable de Hongkong qu’il a croisé à plusieurs reprises lors du sommet de l’APEC, le Forum de coopération économique Asie-Pacifique, les 18 et 19 novembre à Bangkok, et qui a été testé positif à son retour.

Quoi qu’il en soit, la Chine semble maintenant décidée à laisser circuler le virus et à miser sur l’immunité collective. Selon Airfinity, un organisme basé à Londres qui a concentré ses recherches sur l’ouverture de Hongkong à l’automne, entre 1,3 million et 2,1 millions de personnes pourraient mourir. « Nous verrons un grand nombre de cas dans un mois et la mortalité arrivera deux semaines plus tard », a déclaré à l’agence Bloomberg Ali Mokdad, spécialiste de la santé publique à l’université de Washington.

Dans un entretien à l’agence Chine nouvelle, Zhong Nanshan, l’épidémiologiste star du pays, s’est montré plus rassurant en réaffirmant, dimanche, que le taux de morbidité dû à Omicron n’est que de 0,1 % environ, soit un niveau comparable à celui de la grippe. Il estime néanmoins qu’il y a un « besoin urgent » d’augmenter le taux de vaccination, notamment des centaines de millions de Chinois qui s’apprêtent à voyager à l’occasion du Nouvel An lunaire. Zhong Nanshan prévoit un retour à la normale durant le deuxième trimestre 2023.

Tous les experts ne sont pas aussi optimistes. Rao Yi, président de l’université de médecine de Pékin, lui-même testé positif, a déclaré qu’il fallait revoir le système de santé publique et « être préparé au fait que la plupart des gens vont probablement être infectés, que [la maladie] a un certain taux de mortalité même s’il n’est pas très élevé, qu’il y a un risque que le variant mute et que les gens soient réinfectés ». En attendant la sortie du tunnel, les autorités sanitaires ont ordonné à toutes les villes d’augmenter le nombre de lits dans les unités de soins intensifs.

Frédéric Lemaître(Pékin, correspondant)