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Le Monde.fr La maltraitance des étudiants de santé, « une problématique ancienne »

Mars 2017, par infosecusanté

La maltraitance des étudiants de santé, « une problématique ancienne »

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LE MONDE

02.03.2017

Pour le cardiologue et président de la conférence des doyens des facultés de médecine, Jean-Luc Dubois-Randé, dans un milieu hospitalier « brutal », les étudiants sont « les plus vulnérables »
Propos recueillis par Séverin Graveleau

Pression psychologique, harcèlement moral, abus de pouvoir, violences verbales voire physiques : dans l’ouvrage Omerta à l’hôpital, publié jeudi 2 mars (Ed. Michalon), le docteur Valérie Auslender lève le voile sur les maltraitances faites aux étudiants en santé par leurs supérieurs hiérarchiques. 130 élèves infirmiers, aides-soignants ou internes en médecine ont accepté d’y témoigner. Entretien avec le cardiologue et doyen de la faculté de médecine de Créteil et président de la conférence des doyens en médecine Jean-Luc Dubois-Randé.

Ces témoignages de maltraitances d’étudiants en santé rendent-ils compte d’une problématique réelle ou nouvelle à l’hôpital ?

Jean-Luc Dubois-Randé. C’est, hélas, une problématique ancienne. Le monde de l’hôpital est de manière générale brutal, particulièrement dans ses relations avec les êtres humains. C’est un lieu de compétition et de souffrances croisées, face à la maladie, face à une hiérarchie qui reste souvent dure et élitiste, face aussi à ses propres collègues qui jouent le jeu “qu’un médecin doit tenir ferme”. C’est un milieu peu tolérant avec les plus faibles. L’humiliation y est fréquente et a longtemps été acceptée, sans compter le machisme encore très répandu.

Dans cet environnement, qui n’est pas propre à la France, les étudiants sont, de fait, les plus vulnérables. Les internes peuvent aussi être mis dans un jeu sadomaso lorsque leur future carrière est en jeu. Le nombre de suicides est d’ailleurs non négligeable. Il n’est pas forcément lié aux conditions de travail mais traduit une vulnérabilité réelle.

Comment le milieu hospitalier, mais aussi les doyens des facultés de médecine, appréhendent-ils cette souffrance ?

J-L D-R. Avec ce contexte, la prise en compte de la souffrance au travail des médecins arrive enfin sur la scène. Mais il existe, de fait, peu de lieux d’échanges en dehors de la classique médecine du travail. De façon récente, un certain nombre d’instances locales se développent, mais cela reste encore à ces débuts.

Au niveau des doyens qui sont confrontés à ses souffrances révélées avec des formes multiples, l’attention est maximum, plus cependant sur les étudiants de deuxième cycle que sur les internes, plus ancrés dans la vie de l’hôpital. Même si la prise de conscience est dorénavant collective, lever l’omerta sur cette situation est un objectif majeur. Il occupe autant le corps médical que les directions.

Comment accompagner les étudiants externes et internes en difficulté ?

Au-delà des sanctions envers ceux qui humilient ou harcèlent, une des réponses est d’avoir les retours des étudiants - et de manière générale du personnel- dans des lieux d’échange adaptés, sous couvert d’anonymat s’il le faut, et avec l’écoute de personnes compétentes et aptes à prévoir des actions concrètes, ce qui n’est pas si simple de fait.

Ma vie professionnelle est émaillée de cette violence depuis que j’ai été étudiant. Mais je ne l’ai jamais subi directement moi-même, sauf à m’entendre dire, depuis le début de mes études, que je ne savais rien, et que tout cela était très difficile. Mais le monde a changé et les étudiants ne veulent plus de cette agressivité. Nous non plus.

Séverin Graveleau
Journaliste au Monde