Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : La pénurie d’oxygène et la saturation des hôpitaux frappent le Mexique

Février 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : La pénurie d’oxygène et la saturation des hôpitaux frappent le Mexique

La stratégie permissive du président « AMLO » est vivement critiquée alors que le pays occupe désormais le troisième rang mondial en nombre de morts.

Par Frédéric Saliba(Mexico, correspondance)

Publié le 04/02/2021

Dès l’aube, une immense queue se forme devant un fournisseur d’oxygène, planté au centre de Mexico. « J’arrive trop tard », soupire Joaquin Avilar, comptable trentenaire, qui attendra des heures pour recharger la bombonne vitale pour son père atteint du Covid-19. La pénurie guette alors que le Mexique occupe désormais le troisième rang mondial en nombre absolu de morts (161 240 décès au mercredi 3 février), derrière le Brésil et les Etats-Unis. La contamination du président, Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO »), attise les critiques sur sa stratégie plutôt permissive face au virus.

« L’hôpital a renvoyé mon père chez lui par manque de place, raconte M. Avilar. Encore faut-il lui trouver de l’oxygène ! » En tête de la file d’attente, un couple squatte le trottoir depuis 4 heures du matin. L’employée, qui les accueille enfin, déplore « les retards de livraison et le manque de bonbonnes ». Depuis les fêtes de fin d’année, la courbe des contagions décolle (plus de 1,8 million de cas cumulés). Treize des trente-deux Etats mexicains sont en alerte rouge. En tête, Mexico et ses banlieues tentaculaires (22 millions d’habitants), où l’occupation hospitalière frôle les 85 %.

AMLO » critiqué face au bilan désastreux du coronavirus
Pour éviter la saturation, les autorités locales libèrent des lits, depuis le 24 décembre 2020, en optant pour des fins de traitement à domicile. Conséquence : les cinquante-cinq fournisseurs d’oxygène de la capitale sont pris d’assaut.

« Rapportez les bonbonnes, pour l’amour de la vie ! », martèle la maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, qui a lancé un appel aux anciens malades à en faire profiter les autres. L’édile assure qu’« il n’y a pas de pénurie d’oxygène », mais reconnaît « un manque de moyens pour le transporter ». D’autant que la demande fait s’envoler les tarifs. Fin janvier, l’Association nationale des petits commerçants (Anpec) a dénoncé dans un communiqué « une spéculation sans scrupule ». Selon la presse, le prix d’une bonbonne d’oxygène de 9,5 litres – soit 1 900 pesos (78 euros) en moyenne – peut atteindre 35 000 pesos (1 400 euros) au marché noir. Les autorités ont désactivé 1 200 profils Facebook et 130 pages Web de vente frauduleuse de bonbonnes et de recharges d’oxygène.

Mesures sanitaires non coercitives
Le phénomène accentue la polémique provoquée par l’infection d’AMLO, en retrait de la vie publique depuis le 24 janvier. Ses symptômes sont « légers ». Son retour aux responsabilités est annoncé le 8 février. Mais 56 % des Mexicains déplorent son refus de se faire vacciner en priorité, selon un récent sondage publié par le quotidien d’opposition Reforma. D’autant que cet adepte de la distanciation sociale ne porte jamais de masque, sauf lors de ses voyages en avion de ligne. Au début de l’épidémie, il avait brandi avec humour des amulettes protectrices, minimisant sa gravité, avant de se raviser face à l’explosion des contagions.

Son gouvernement a fait le pari de mesures sanitaires non coercitives : pas d’amende, pas de confinement obligatoire ni de restrictions pour les touristes étrangers. Le faible recours aux tests (0,17 par jour pour 1 000 habitants) place le Mexique à la traîne, derrière des pays comme le Pakistan (0,18 test), selon Our World in Data. Les écoles restent néanmoins fermées depuis presque un an. Les activités non essentielles sont suspendues dans les régions en alerte rouge. A Mexico, Mme Sheinbaum a toutefois autorisé, lundi 1er février, les petits commerces à l’air libre, fermés depuis le 18 décembre 2020.

« Nous devons trouver l’équilibre entre la santé et la survie économique alors que la moitié de la population est pauvre », martèle Hugo Lopez-Gatell, à la tête de la stratégie gouvernementale contre le Covid-19, dans un pays où la croissance a dégringolé de 8,5 % en 2020.

Le gouvernement a misé sur la vaccination massive, négociant en amont l’achat ou les précommandes de 174 millions de doses. Le Mexique a même été un des premiers pays d’Amérique latine à lancer, dès le 24 décembre, sa campagne de vaccination. Mais, depuis, seules 766 044 doses du vaccin Pfizer-BioNTech ont été reçues. Le réajustement de la production de Pfizer a reporté les prochains envois jusqu’à la mi-février, alors que son concurrent, AstraZeneca, n’a pas encore livré ses premières doses. Quant au vaccin russe, Spoutnik V, il a été validé en urgence, mardi, par les institutions sanitaires pour tenter de pallier les retards.

Mais l’objectif initial de 1,4 million de doses administrées d’ici à la fin janvier n’a pas été atteint. Pis, l’injection de la seconde dose nécessaire du vaccin Pfizer risque d’être compromise pour les 750 000 professionnels de la santé prioritaires. Ces derniers devaient recevoir deux doses dans un intervalle de trois semaines. Seules 677 000 doses leur ont été administrées. Moins de 46 000 ont reçu les deux doses, alors que le pays compte déjà plus de 2 500 soignants décédés du Covid-19.

Un rapport accusateur
Le programme prévoit ensuite la vaccination, d’ici à la fin mars, de 15 millions de personnes âgées. La saturation immédiate du site Internet, lancé mardi pour les enregistrer, a accentué les inquiétudes, alors que quatre cas suspects d’un possible variant mexicain du virus ont été détectés dans l’Etat de Jalisco (Ouest).

De quoi semer le doute : 53 % des sondés par Reforma rejettent la stratégie gouvernementale, contre 41 % en novembre 2020. Une levée de boucliers soutenue par vingt-neuf spécialistes de prestigieuses institutions sanitaires qui ont publié, mercredi 25 janvier, un rapport accusateur qui recommande des mesures plus fermes, dont « l’usage strict du masque », « l’augmentation du nombre de tests » ainsi qu’« une quarantaine obligatoire des infectés et de leurs contacts ». Leur rapport reconnaît néanmoins les efforts du gouvernement pour élargir la couverture hospitalière destinée au Covid-19, même si elle reste « insuffisante ».

Pour calmer les esprits, M. Lopez-Gatell a promis de « réviser ce qui peut être amélioré ». Mais dans la vidéo postée par AMLO, le 29 janvier, sur les réseaux sociaux, pour rassurer sur son état de santé, le président ne portait toujours pas de masque.