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Le Monde.fr : « La santé, nouvel enjeu de la présidentielle »

Janvier 2017, par infosecusanté

« La santé, nouvel enjeu de la présidentielle »

Les Français sont attachés à leur système de santé, devenu un enjeu important du débat public, expliquent Brice Teinturier, directeur général d’Ipsos, et Jean-David Zeitoun, docteur en médecine.

LE MONDE | 29.01.2017

La santé est depuis longtemps un sujet sensible et de préoccupation forte chez les Français. Ils sont non seulement attachés à leur santé – et l’évolution des valeurs sociétales va de plus en plus en ce sens –, mais également au système de santé, fiers de ce qu’il est, considéré comme un modèle et, comme sur de nombreux sujets, inquiets de son évolution. Pour eux, ce qui fait sa force, c’est l’excellence des soins qui le caractérise, leur libre accès – dont fait intégralement partie la liberté de choix entre la médecine privée et publique – et son universalité – qui est une autre facette du libre accès, chacun, riche ou pauvre, devant pouvoir être soigné selon les meilleurs standards et remboursé suffisamment, voire intégralement.

En même temps, les Français connaissent l’importance d’un certain nombre de réalités : une démographie nationale certes dynamique mais vieillissante, des progrès thérapeutiques significatifs mais souvent très coûteux, des déficits chroniques et une sollicitation grandissante de l’hôpital public, en particulier des services d’urgence.

Lutter contre les gaspillages

La conséquence est qu’ils ont tendance à ne surtout pas vouloir entendre parler d’une réforme du système. Plus encore que dans tout autre secteur, le mot réforme est connoté négativement tant il suggère une régression. Au contraire, ce système si excellent et menacé, il faut le préserver. Et pour cela, principalement lutter contre les gaspillages. Telle est l’explication premièrement avancée : si le système est fragilisé, c’est parce que certains abusent de ses bienfaits. « Certains », mais jamais soi-même évidemment. Cet autre qui exagère, ce peut être une partie des professionnels de santé, qui prescrivent trop ou sont trop complaisants mais ce sont surtout des Français irresponsables qui multiplient les consultations et examens inutiles. Enfin, les entreprises du médicament font figure de coupable idéal, leurs profits étant alors critiqués. Agir contre les abuseurs, oui ; réformer en profondeur le système, non.

Dans un tel contexte, la santé n’a jusqu’à maintenant jamais véritablement constitué un sujet de controverse politique puissant et encore moins un enjeu clivant dans une campagne électorale. Pour une raison simple : la santé des populations tendait à s’améliorer de manière continue et aucun candidat ne s’était risqué, sur un sujet aussi surdéterminé individuellement et collectivement, à briser le consensus existant sur « l’excellence de notre système ». Or, c’est peut-être ce qui est en train de changer avec les propositions de François Fillon et la polémique qu’elles ont générée, et c’est ce qui a déjà changé au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Premièrement, la santé des populations américaine et britannique montre des signes d’affaiblissement. Aux Etats-Unis, l’épidémie d’obésité et ses conséquences (maladies cardiovasculaires, diabète, cancers) ne sont pas contrôlée, les suicides ont augmenté de 20 % en 10 ans, les décès par overdose d’héroïne ont été multipliés par 5 au cours de la même période. L’espérance de vie augmente moins vite chez les personnes blanches par rapport aux personnes noires et, fait inédit, l’espérance de vie des Blancs non hispaniques baisse. Au Royaume-Uni, la mortalité a augmenté dans presque toutes les tranches d’âge entre 2014 et 2015.

Deuxièmement, la perception qu’ont les populations de leur santé ou de leur système de santé se dégrade. Bien que l’Obamacare soit intrinsèquement prosocial, beaucoup d’Américains y voient une intervention de l’Etat et une solidarité dont ils ne veulent pas. De plus, ils observent les désordres organisationnels qu’il a provoqués, les plus récents étant les désengagements d’assureurs générant des monopoles et des hausses de prix dans certains Etats. Au Royaume-Uni, plusieurs études ont mesuré une baisse de l’état de santé déclaré des habitants, chaque année étant pire que la précédente depuis 2010.

Un sujet explosif

Dans ce contexte, il semble que la question de la santé ait influencé les votes du Brexit et de la présidentielle américaine. Aux Etats-Unis, il a été montré une superposition entre l’état de santé des populations et le vote Trump. Ces associations statistiques ne prouvent pas la causalité mais elles suggèrent fortement une causalité partielle. En effet, même après ajustement sur tous les facteurs mesurables et pertinents (genre, âge, ethnie, catégorie socio-professionnelle), les régions les plus malades – notamment la fameuse « ceinture de rouille » où la crise sanitaire est notoire – exhibaient le plus fort taux de progression républicaine par rapport à l’année 2012. La campagne sur le Brexit s’est quant à elle polarisée sur deux sujets : l’immigration et la santé, avec la promesse non tenue des pro-Brexit de réaffecter 350 millions de livres sterling par semaine au système de soins anglais grâce à la sortie de l’Union.

Bien sûr, la France n’est ni le Royaume-Uni ni les Etats-Unis. Notre système de santé est en moyenne plus protecteur et moins inégalitaire. Mais les problèmes ne manquent pas : le déficit de l’Assurance maladie n’est pas résolu, le prix de certains traitements pose des difficultés de financement, l’offre médicale est déséquilibrée et certaines régions en pénurie, beaucoup de professionnels de santé s’estiment en crise. Tout aussi préoccupant bien que souligné par aucun grand média, la mortalité a augmenté en 2015, avec 41 000 décès de plus qu’en 2014 pour un total de 600 000 décès, soit un chiffre jamais vu depuis l’après-guerre.

La présidentielle serait donc une occasion légitime de faire de ce sujet de préoccupation un sujet de réflexion et éventuellement de controverse. Mais c’est un sujet explosif et François Fillon vient d’en faire l’expérience. A minima, pour l’aborder, il convient de ne pas faire peur. Sera-t-il mis sous le boisseau ou assisterons-nous pour la première fois à son irruption dans le débat électoral ? Cela fait en tout cas bien partie des inconnues de cette élection et cela est déjà une nouveauté.

Brice Teinturier (directeur général délégué d’Ipsos France) et Jean-David Zeitoun (docteur en médecine, diplômé de Sciences Po et doctorant en santé