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Le Monde.fr : Le déficit de l’assurance-maladie pourrait atteindre 31 milliards d’euros en 2020

Juin 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Le déficit de l’assurance-maladie pourrait atteindre 31 milliards d’euros en 2020

Il s’agit d’une dégradation historique, d’après les chiffres de la commission des comptes de la Sécurité sociale auxquels « Le Monde » a eu accès.

Par Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières

Publié le 16/06/2020

Au sein de notre Etat-providence, c’est l’assurance-maladie qui encaisse le plus gros choc budgétaire lié à la crise : en 2020, elle pourrait afficher un déficit de 31,1 milliards d’euros, contre 1,46 milliard un an plus tôt. Une « dégradation exceptionnelle » mise en évidence dans une synthèse d’un rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale (CCSS), que Le Monde a pu consulter, quelques heures avant sa présentation, mardi 16 juin.

La diffusion de ces chiffres a lieu le jour où les personnels soignants sont appelés à se mobiliser afin de réclamer des moyens supplémentaires. Le constat de la CCSS est préoccupant, même s’il nécessite d’être commenté prudemment en raison des « marges d’incertitudes très supérieures à celles habituellement rencontrées à mi-année » pour établir de telles projections.

En dehors de l’assurance-maladie, les trois autres branches du régime général – famille, assurance-vieillesse, accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) – seraient, elles aussi, dans le rouge. Même chose s’agissant du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui prend en charge les cotisations-retraite des chômeurs et le minimum vieillesse.

Au total, le trou de la « Sécu » (régime général et FSV) atteindrait − 52 milliards d’euros, conformément à ce qu’avait annoncé, le 2 juin, Gérald Darmanin. Le ministre de l’action et des comptes publics n’avait, toutefois, livré que cet ordre de grandeur, sans donner de détails branche par branche. Le rapport de la CCSS, lui, apporte ces précisions.

Boom des dépenses
Les déséquilibres financiers risquent donc d’être colossaux – en tout cas nettement plus importants que ceux mentionnés dans les prévisions de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2020 : celle-ci tablait sur un déficit presque dix fois moins élevé (− 5,4 milliards). « Jamais la Sécurité sociale n’a subi une détérioration aussi brutale et rapide de ses comptes », écrit la CCSS, peu habituée à manier les superlatifs.

Ces tendances tiennent, en premier lieu, à la baisse spectaculaire des recettes du régime général, dont les causes sont multiples : reports et exonérations de cotisations sociales ; suppressions de postes dans les entreprises, qui provoquent une diminution de la masse salariale – donc des contributions versées à la « Sécu » ; recours massif au chômage partiel, qui se traduit par la distribution d’indemnités exemptées de cotisations…

Le cas de l’assurance-maladie est un peu singulier car elle se retrouve prise en ciseau entre « des pertes considérables de recettes » liées à la dégradation de la situation économique et « des dépenses exceptionnelles » pour affronter les conséquences de la crise sanitaire. Résultat : l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) devra être réévalué « significativement » avec un dépassement évalué à 8 milliards d’euros par rapport à ce qui était anticipé. Fixé à + 2,45 % l’an dernier par les parlementaires, il devrait dépasser + 6,5 %, « un niveau jamais atteint depuis le début de la décennie 2000 », selon la CCSS.

Cette envolée tient au boom des dépenses entraînées par l’épidémie : 4,5 milliards d’euros pour l’achat de masques, 3,8 milliards d’euros supplémentaires en faveur des établissements sanitaires (achat de matériels, primes, indemnisation des heures supplémentaires…), 2 milliards d’euros pour les arrêts-maladie (notamment ceux accordés aux personnes pour pouvoir garder leurs enfants), 1,7 milliard d’euros répartis entre la distribution de masques dans les pharmacies, les tests diagnostics effectués dans les laboratoires de ville… S’y ajoute une aide financière, évaluée à 1,4 milliard d’euros, pour les professionnels de santé qui n’ont pu travailler ces derniers mois, afin de leur permettre d’absorber une partie de leurs charges fixes. A l’inverse, le confinement a fait baisser le nombre de consultations en médecine de ville, soit 5,4 milliards d’euros de dépenses en moins.

Revalorisation des personnels soignants
Mais l’addition pourrait encore gonfler, ces prochaines semaines. Lors du lancement du « Ségur de la santé », le 25 mai, le premier ministre, Edouard Philippe, s’est engagé à une revalorisation « significative » des rémunérations des personnels soignants. Ce coup de pouce, dont le coût reste à définir, sera programmé dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, qui sera discuté devant le Parlement à l’automne.

Les finances des autres branches du régime général repassent donc, elles aussi, sous la ligne de flottaison. La détérioration est impressionnante pour l’assurance-vieillesse, qui couvre les salariés du privé. Son déficit serait multiplié par dix, passant de − 1,4 milliard d’euros en 2019 à − 14,9 milliards d’euros pour cette année. Une évolution imputable, là encore, à la chute des recettes, mais aussi à un accroissement des dépenses, lié notamment à une mesure adoptée dans la foulée du mouvement des « gilets jaunes » qui revalorisait plus fortement les pensions de retraite.

Quant à la branche accidents AT-MP, elle devrait renouer avec un solde négatif pour la première fois depuis 2012, avec un « trou » estimé à − 700 millions d’euros. Idem pour la branche famille, excédentaire depuis deux ans, qui replongerait à − 3,1 milliards d’euros.