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Le Monde.fr : Le glyphosate franchit une étape-clé vers sa réautorisation en Europe

Juin 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Le glyphosate franchit une étape-clé vers sa réautorisation en Europe

L’Agence européenne des produits chimiques, qui donne un poids déterminant aux tests fournis par les industriels, estime que l’herbicide controversé ne présente pas de danger majeur pour la santé.

Par Stéphane Foucart

Publié le 31 mai 2022

Le glyphosate vient de franchir une étape majeure vers sa réautorisation dans l’Union européenne. L’Agence européenne des produits chimiques (EChA) a rendu publique, lundi 30 mai, la conclusion de son évaluation de l’herbicide controversé – le pesticide de synthèse le plus utilisé dans le monde. Comme en 2017, l’EChA estime que le glyphosate n’est ni cancérogène, ni mutagène, ni toxique pour la reproduction, que ce soit de manière avérée (niveau de preuve le plus élevé) ou seulement supposée (niveau de preuve intermédiaire).

L’avis de l’EChA était déterminant pour l’avenir du glyphosate. Si l’agence européenne, basée à Helsinki, avait classé le célèbre herbicide dans l’une ou l’autre de ces catégories, celui-ci n’aurait pu être réautorisé à l’issue de l’expiration de sa licence, fin 2022. La réglementation européenne interdit en effet, théoriquement, l’arrivée sur le marché des pesticides répondant à ces critères de danger (cancérogène, mutagène ou reprotoxique). Ainsi, l’EChA ne juge le produit dangereux que pour les yeux des utilisateurs et toxique pour les organismes aquatiques – deux caractéristiques n’entraînant pas le rejet automatique de la demande d’autorisation.

Prochaine étape : l’avis de l’autre agence européenne impliquée dans le processus, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Cette évaluation des risques inhérents à l’utilisation du glyphosate – pour les travailleurs, les consommateurs et l’environnement –, initialement attendue pour le courant du second semestre 2022, a été repoussée à juillet 2023 en raison du grand nombre de commentaires critiques reçus par l’EFSA sur le rapport d’expertise préliminaire, de la part de la société civile et des Etats membres.

En attendant, la controverse scientifique sur les dangers de la substance ne faiblit pas. L’avis rendu par l’EChA est toujours en contradiction avec celui du Centre international de recherche sur le cancer, qui a estimé, en mars 2015, que le glyphosate devait être classé « cancérogène probable pour l’homme ».

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Divergences scientifiques
Les divergences se sont même accentuées avec la publication, en juin 2021, de l’expertise collective « Pesticides et Santé », de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Les scientifiques mandatés par l’Inserm jugent en effet qu’il existe une « présomption moyenne » d’un lien entre glyphosate et certains cancers lymphatiques. Au contraire, selon les experts rassemblés au sein du comité d’évaluation des risques (Risk Assessment Commitee, ou RAC), de l’EChA, ce lien n’existe pas.

protestent vivement contre l’avis rendu. Dans un communiqué commun publié lundi 30 mai, l’European Environmental Bureau, ClientEarth et l’Alliance pour la santé et l’environnement, qui regroupe des associations européennes de soignants et des organismes de santé, se disent « alarmés par l’échec de l’agence européenne à classer le glyphosate comme cancérogène ». En tant que représentants de la société civile, les trois organisations ont participé, au titre d’observateurs, à la réunion du RAC. Elles ont même pu inviter trois scientifiques spécialistes du sujet à présenter leurs travaux devant le comité d’experts de l’EChA.

« Les arguments importants présentés par ces scientifiques indépendants n’ont pas été correctement pris en compte », estiment les trois ONG, ajoutant qu’« il existe des incohérences majeures dans l’évaluation scientifique européenne sur le potentiel génotoxique [toxique pour le matériel génétique] et cancérogène du glyphosate ». De son côté, l’EChA dit avoir pris en compte tous les commentaires critiques formulés et s’être basée sur « un examen approfondi des preuves scientifiques disponibles ».

Les causes de désaccord sont en partie connues. En particulier, les agences réglementaires donnent un poids déterminant aux résultats des tests standardisés fournis par les industriels, tandis que les ONG et les chercheurs du monde académique se fondent plutôt sur les travaux publiés dans la littérature scientifique. Une étude publiée en 2019 par la revue Environmental Sciences Europe a illustré ce hiatus de manière frappante : 99 % des tests réglementaires fournis par les firmes agrochimiques au régulateur américain (l’Agence de protection de l’environnement) pour son dernier cycle d’expertise, en 2016, échouaient à mettre en évidence le moindre potentiel génotoxique du glyphosate, tandis qu’environ 70 % des études publiées dans les revues scientifiques sur le même sujet soulignaient au contraire de telles propriétés.

D’autres points de divergence existent, comme la nature des tests statistiques utilisés pour interpréter les résultats de certaines études de cancérogenèse sur les animaux de laboratoire. De quoi nourrir encore quelque temps une controverse qui dure maintenant depuis plus de sept ans.

Stéphane Foucart