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Le Monde.fr : Le gouvernement lance une réflexion sur l’aide médicale d’Etat

Août 2019, par infosecusanté

Le gouvernement lance une réflexion sur l’aide médicale d’Etat

Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances étudie des pistes de réforme de ce dispositif réservé aux sans-papiers.

Par Julia Pascual

Publié le 1er Aout 2019

« Nous ne remettrons pas en cause l’aide médicale d’Etat [AME] ». Quelques semaines avant d’être élu président de la République, Emmanuel Macron défendait, dans une interview au magazine mutualiste Viva, un « système fondé sur la solidarité ». Face à lui, les candidats François Fillon (Les Républicains, LR, droite) et Marine Le Pen (ex-Front national, extrême droite) prônaient la suppression de ce dispositif de prise en charge médicale des étrangers en situation irrégulière.
Aujourd’hui, des signaux laissent à penser que les lignes bougent. L’AME bénéficie à un peu plus de 300 000 personnes, pour un budget annuel avoisinant le milliard d’euros. Elle couvre un panier de soins médicaux et hospitaliers réduit (médecine générale et spéciale, frais de soins dentaires, frais d’hospitalisation, analyses, vaccinations obligatoires, examens de dépistage…).

Signe qu’une réflexion agite le gouvernement, un rapport a été commandé à l’Inspection générale des finances (IGF) et à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le sujet. Lancée cet été, elle doit rendre ses conclusions en octobre au moment de l’examen parlementaire du budget de l’Etat, dont la mission santé est rapportée par la députée (LR) de l’Orne Véronique Louwagie.

Composée de trois inspecteurs de l’IGF (un préfet, un jeune énarque et un ingénieur des mines) et d’une inspectrice de l’IGAS, Fabienne Bartoli, économiste spécialiste de l’industrie du médicament, passée par les cabinets ministériels de Xavier Bertrand, Philippe Bas et Philippe Douste-Blazy, la mission a déjà procédé à plusieurs auditions.

Le discours des inspecteurs est « politique »
« Ils répondent à une commande politique qui est de réformer l’AME pour en limiter les abus, croit comprendre une des personnes auditionnées. Ils estiment que la France a le système le plus généreux en Europe. Ils posent des questions sur les filières d’immigration et nous ont parlé des Géorgiens, des Albanais et des Algériens qui viennent se soigner, notamment pour des pathologies coûteuses comme le cancer et l’hépatite B. »

« Les filières qui peuvent exister sont marginales, réagit Luc Ginot, de l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, également auditionné. Si on veut maîtriser les coûts, il faut prendre les pathologies le plus tôt possible. »

D’aucuns voient dans la résurgence du sujet un écho à la déclaration de politique générale d’Edouard Philippe du 13 juin. Le premier ministre y présentait l’acte II du quinquennat et déclarait que « combattre les peurs du pays, montrer que nous gardons le contrôle, c’est avoir le courage d’affronter sans fausse pudeur certaines réalités, notamment concernant la pression migratoire ». Notamment, « lutter avec fermeté contre les abus » dans un contexte de hausse de la demande d’asile, dont le gouvernement considère qu’elle est alimentée par une demande illégitime en provenance du Caucase et des Balkans. L’organisation d’un débat parlementaire sur l’immigration, à l’automne, s’inscrit dans cette volonté.

« J’étais étonné [de constater] à quel point le discours des inspecteurs était politique, réagit une personne également auditionnée par la mission IGAS/IGF. Ils veulent rendre le dispositif plus acceptable pour éviter que le Rassemblement national ne s’empare du sujet. »

Trois pistes de réforme ont notamment été abordées au cours des auditions : la mise en place d’un ticket modérateur (un reste à charge pour le patient), des centres de santé dédiés ou encore la réduction du panier de soins pris en charge. L’exclusion des soins psychiatriques serait par exemple à l’étude.

« L’AME, c’est 0,5 % des dépenses de santé »
En 2011, le gouvernement Fillon avait déjà instauré un droit de timbre de 30 euros, supprimé par la gauche à son arrivée au pouvoir en 2012. Depuis, la droite parlementaire soumet régulièrement des amendements visant à rétablir une franchise ou à limiter l’AME aux seules urgences et maladies susceptibles de provoquer des épidémies.

Face à ces initiatives, la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn avait d’ailleurs eu l’occasion de dire, devant les députés, qu’« à chaque fois que l’on tente de raboter quelques euros sur l’AME (…) les bénéficiaires accèdent plus lentement aux soins, arrivent bien plus malades dans les hôpitaux, ce qui, in fine, coûte beaucoup plus cher, sans compter le risque d’exposition infectieuse de la population française ».

En juin, le soutien du gouvernement à un amendement LR – finalement rejeté – permettant de priver les bénéficiaires de l’AME des réductions tarifaires dans les transports a pourtant suscité l’émoi au sein de la majorité. Le groupe La République en marche (LRM) est divisé autour des questions migratoires et le pôle social verrait d’un mauvais œil un changement de braquet du gouvernement, après avoir été déjà échaudé par les débats autour de la loi asile immigration de 2018.

« Les questions posées [par la mission IGAS/IGF] ne disent rien de ses conclusions, relativise le député (LRM) de l’Isère Olivier Véran, conseiller santé de M. Macron pendant sa campagne et défenseur de l’AME. Je regarde ça avec beaucoup d’attention mais sans paniquer. Faire un état des lieux sur un dispositif qui coûte 1 milliard d’euros, ce n’est pas illégitime. »

Du côté des associations, l’inquiétude est d’ores et déjà manifeste. Dans un courrier du 25 juillet, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), qui regroupe notamment Médecins du monde (MDM), Aides ou SOS Hepatites, a sollicité un rendez-vous auprès du président de la République et fait état de son opposition à « toute nouvelle restriction » de l’AME. L’ODSE devait être reçu par le cabinet du ministère de la santé, jeudi 1er août.

« L’AME, c’est 0,5 % des dépenses de santé, rappelle Patrick Bouffard, médecin membre du Conseil d’administration de MDM. Le risque, c’est qu’il n’y ait pas de continuité des soins sur des pathologies chroniques qui vont devenir aiguës et coûter beaucoup plus cher et mettre les services d’urgence encore plus tension. »

Julia Pascual