Les Ehpads et le grand âge

Le Monde.fr : Le groupe Korian de nouveau visé par une enquête dans un de ses Ehpad

Décembre 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Le groupe Korian de nouveau visé par une enquête dans un de ses Ehpad

Trois ans après la mort d’une résidente de 94 ans, brûlée sous sa douche, près de Rouen, la famille attend toujours un retour des autorités judiciaires.

Par Gilles Triolier •

Publié le 30/12/2019

Comment Jeanine Dezaille, 94 ans, résidente d’une maison de retraite médicalisée près de Rouen, a-t-elle pu mourir après avoir été grièvement brûlée par l’eau de sa douche ? Après deux ans d’enquête, ses enfants attendent toujours un retour des autorités judiciaires. Déposée en décembre 2017, leur plainte contre X n’a pas encore permis de faire la lumière sur le drame survenu il y a plus de trois ans au sein de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Villa Saint Do, situé à Bois-Guillaume, banlieue cossue de la capitale normande, et propriété du groupe privé Korian, leader européen de ce type d’établissements. « L’enquête est en cours du chef d’homicide involontaire », assure néanmoins le procureur de la République de Rouen, Pascal Prache.

Dans la nuit du 8 au 9 juillet 2016, comme révélé récemment par le quotidien Paris Normandie, la nonagénaire, atteinte d’une maladie apparentée à Alzheimer et en perte de repères spatio-temporels, se lève et se met sous la douche sans raison. Victime d’un malaise, elle s’ébouillante sous une eau « à 60 °C », avancent ses proches. « L’alerte n’a été donnée que lorsque l’eau a débordé et est passée dans le couloir, sous la porte de sa chambre. La vapeur a alors déclenché l’alarme incendie », détaille l’avocat de la famille, Me François Jegu.

Transportée inconsciente au CHU de Rouen, Jeanine Dezaille est brûlée au deuxième degré sur les pieds et les mains. « Selon les médecins, il a fallu qu’elle reste trois quarts d’heure sous l’eau pour occasionner ce type de blessures. Un temps extrêmement long », assure la fille de la défunte, Corinne Boulnois. Incapable d’endurer la douleur des soins intensifs, elle s’est éteinte le 21 juillet.

« Il faut des garde-fous techniques et juridiques »

Sans blâmer le personnel de l’Ehpad, ses enfants pointent un manque de surveillance « évident ». « Nous avions cru trouver le bon endroit pour notre mère. C’est un établissement moderne », raconte aujourd’hui sa fille. Pour un coût de « 3 300 euros mensuels », d’après ses proches, Jeanine Dezaille était hébergée dans une unité spécifique réservée à l’accueil de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou apparentée. « Une unité de vie sécurisée », écrit le groupe Korian sur son site Internet.

Dénonçant lui aussi un « défaut de surveillance », Me Jegu s’interroge sur l’organisation de Korian et sur la qualité de la prise en charge : « Cette dame n’aurait jamais dû rester seule tout ce temps. Nous voulons que ce dysfonctionnement majeur soit un exemple, un outil. Faire de l’argent, d’accord, mais pas sur des personnes vulnérables. Il faut des garde-fous techniques et juridiques. »

Quant à la famille, outre sa volonté de connaître les détails de la tragédie, elle voit dans ce dossier judiciaire un moyen « de garantir à l’avenir la sécurité des résidents afin que cela ne se reproduise plus ». En 2017, quelques mois après cet accident, le groupe Korian a installé des « cartouches antibrûlures » sur les robinets de l’ensemble de ses résidences, l’eau chaude se coupant dès que la température atteint 48 °C. Invité à réagir, le groupe a répondu au Monde par l’entremise « du porte-parole de la Villa Saint Do ». « Nous ne pouvons faire aucun commentaire car une enquête préliminaire est en cours », explique sobrement ce dernier, précisant toutefois que « l’équipe a été très touchée par le décès de cette résidente ».

Cependant, les récents articles évoquant le dossier dans la presse régionale n’ont manifestement pas été du goût de l’entreprise. Le communicant estime, en effet, « que seules les conclusions de l’enquête permettront de déterminer ce qu’il s’est passé », ceci « au vu de certaines déclarations récentes de personnes non présentes au moment des faits et qui peuvent porter atteinte à la réputation de la résidence ».

L’image du groupe Korian ternie

Ces dernières années, l’image du groupe Korian, coté en bourse, a déjà été ternie à plusieurs reprises. Entre fin 2016 et début 2017, à Lyon, treize résidents d’un de ses établissements ont succombé à la grippe. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales a pointé un défaut de vaccination. En 2017, l’émission de France 3 « Pièces à conviction » a étrillé la société, montrant comment elle limitait ses coûts, quitte à restreindre l’usage de couches.

En avril, un de ses Ehpad, celui de La Chêneraie, à Lherm, en Haute-Garonne, a également été endeuillé par la mort de cinq pensionnaires, quatre femmes et un homme, âgés de 76 à 95 ans, victimes d’une probable intoxication alimentaire. Au total, vingt-deux résidents avaient été touchés.

Né en 2003, le groupe Korian est implanté dans six pays européens (France, Allemagne, Belgique, Italie, Espagne, Pays-Bas), où il gère plus de 800 établissements, dont 364 en France. Il affiche d’excellents résultats : un chiffre d’affaires de près de 3,34 milliards d’euros en 2018, en hausse de 6,4 % par rapport à 2017, pour un bénéfice de 123 millions d’euros.

Gilles Triolier (Rouen, correspondance)