Europe

Le Monde.fr : Le mirage du système suédois de retraite

Mai 2018, par infosecusanté

Le mirage du système suédois de retraite

LE MONDE ECONOMIE

17.05.2018

Par Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale)

Le premier ministre suédois, Stefan Löfven (ici en mars, à Berlin), a promis de débloquer 400 millions d’euros pour les retraités.

Birgitta ne se plaint pas. Cette ancienne cantinière d’une usine d’Helsingborg, dans le sud de la Suède, a « la santé ». Ses enfants habitent à côté. Entre les promenades dans le quartier et les activités du club de retraités, elle trouve à s’occuper, même si elle doit veiller à ses dépenses. La fringante octogénaire touche 12 000 couronnes (environ 1 160 euros) de retraite et l’équivalent de 200 euros d’allocation logement par mois. Une fois les charges et le loyer de son deux-pièces payés, il lui reste 485 euros pour se nourrir et s’habiller.

Femme, sans diplôme, vivant seule, embauchée à mi-temps et partie en préretraite à 61 ans en raison d’une blessure au cou, elle aurait pu servir de tête d’affiche à la campagne lancée en février par Pensionsmyndigheten, l’Office suédois des pensions, pour sensibiliser les membres du Riskgruppen (le « groupe à risque ») – ces salariés dont les pensions atteindront à peine le seuil de pauvreté, le jour où ils arrêteront de travailler.

Au total, plus de 300 000 retraités suédois sont déjà dans cette situation (ils perçoivent moins de 1 165 euros par mois), soit 16,8 % des plus de 65 ans et 24,35 % des plus de 75 ans. Ils sont les grands perdants d’un système de retraite adopté en 1994 et qui sert aujourd’hui d’inspiration à la France, avec son régime universel, ses comptes notionnels (comptes individuels de cotisations) et des pensions indexées sur l’espérance de vie.

Il devait permettre de résoudre le financement des retraites, alors devenu intenable pour les finances publiques du royaume en raison du vieillissement de la population. Aucun âge légal de départ en retraite n’est fixé.

« L’idée a échoué »

La pension des retraités équivaut en moyenne à 53 % de leur salaire de fin de carrière, contre 60 % en 2000

A l’époque, explique Ole Settergren, analyste auprès de Pensionsmyndigheten, « le législateur pensait que si les pensions étaient indexées sur l’espérance de vie, les gens partiraient plus tard, quand la durée de vie s’allongerait, pour maintenir le niveau de leur retraite. »

Mais, vingt-cinq ans plus tard, « l’idée a échoué », note l’analyste, même si le système est à l’équilibre et surtout complètement déconnecté des finances de l’Etat. Alors que les Suédois devraient travailler jusqu’à 67 ans pour garder une retraite constante, ils s’arrêtent en moyenne à 65 ans. Résultat : leur pension équivaut en moyenne à 53 % de leur salaire de fin de carrière, contre 60 % en 2000.

Le 14 décembre, les six partis formant le « Pensiongruppen » – sociaux-démocrates, conservateurs, libéraux, centristes et chrétiens-démocrates, rejoints par les Verts en 2014 – ont proposé une série de mesures destinée à reporter l’âge du départ en retraite. D’ici à 2026, les Suédois devront attendre 64 ans pour commencer à toucher leur pension (contre 61 ans actuellement). Le versement de la pension minimale garantie sera indexé sur la durée moyenne de vie.

Lire aussi : La Suède retarde l’âge de la retraite à 64 ans

Conjointement, l’Office suédois des pensions ne recommande plus d’âge idéal pour arrêter de travailler, comme il le faisait chaque année dans ses « enveloppes orange » envoyées à tous les citoyens. « Nous préférons qu’ils se connectent à leur compte retraite pour en suivre l’évolution et agir en fonction », explique M. Settergren. Parmi les conseils dispensés : négocier une retraite complémentaire pour ceux qui n’en ont pas, éviter le temps partiel, travailler plus longtemps ou épargner.

Régime « sous-financé »

« Le problème avec ce système est qu’il exige de l’individu qu’il fasse les bons choix tout au long de sa vie », remarque Anders Thoré, expert auprès de l’organisation de retraités Pro. Ainsi, les femmes, dont beaucoup ont opté pour le temps partiel et qui sont pénalisées par des salaires 12 % plus faibles en moyenne que ceux des hommes, perçoivent 600 euros de moins qu’eux à la retraite.

Or travailler plus longtemps n’est pas une option pour tous, souligne M. Thoré, qui dénonce l’injustice du système, car « l’espérance de vie n’augmente pas pour tout le monde ». Les organisations de retraités exigent une hausse des cotisations. « Le régime des retraites est sous-financé », estime Christina Tallberg, présidente de Pro.

« On était déjà conscient du problème quand on a créé ce système, mais il fallait faire une réforme », lâche Daniel Suhonen, président de Katalys, un cercle de réflexion orienté à gauche. Il rappelle les propos de l’ex-premier ministre social-démocrate, Göran Persson, qui constatait, en 2017 : « Nous avons le meilleur système de retraite au monde, avec le seul petit défaut qu’il donne des pensions trop basses. »

Alors que des élections législatives se profilent le 9 septembre, les partis multiplient les annonces. Le chef du gouvernement, Stefan Löfven, a promis de débloquer 400 millions d’euros pour les retraités. « Les plus de 65 ans représentent un quart de l’électorat. On ne peut plus les ignorer », se réjouit Mme Tallberg.