Covid-19 (Coronavirus-2019nCoV) et crise sanitaire

Le Monde.fr : Le pénible marathon des patients atteints d’un Covid long

Octobre 2021, par infosecusanté

Le Monde.fr : Le pénible marathon des patients atteints d’un Covid long

Le Covid-19 peut prendre une forme insidieuse : certains patients, parfois sans même être passés par l’hôpital, souffrent au long cours d’une grande diversité de symptômes. Si ceux-ci finissent pour la plupart par se résorber, l’ampleur du phénomène n’est pas pleinement cernée.

Par Pascale Santi

Publié le 05/10/2021

Plus d’un an et demi après le début de la pandémie, le Covid long reste un mystère. Pourtant habitués à observer des symptômes post-infectieux, les médecins avaient été déroutés par l’arrivée, à partir de mai 2020, de nombreux patients présentant toujours un vaste tableau clinique plusieurs semaines après avoir été infectés par le SARS-CoV-2 : fatigue, dyspnée, douleurs, anosmie, agueusie…

Si les spécialistes y voient un peu plus clair sur les contours du Covid long et constatent que « la grande majorité des patients s’améliorent, de nombreux points restent en suspens », indique la professeure Dominique Salmon-Ceron, infectiologue à l’Hôtel-Dieu (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP). Elle a mis en place l’une des premières consultations consacrées au post-Covid-19, dès mai 2020 – rompant ainsi avec la position de certains médecins estimant qu’il s’agit de manifestations psychosomatiques. Des patients dénoncent d’ailleurs encore le fait de ne pas être toujours pris au sérieux par le corps médical.

Après avoir assisté à des consultations en mars, retour à l’Hôtel-Dieu, début septembre, pour apprécier l’évolution des patients – dont le parcours ressemble pour certains à un marathon.

Ainsi Salomé, venue ce jour-là en consultation, se plaint d’une sorte de « brouillard cérébral », dix mois après avoir contracté le Covid-19, qui s’était alors traduit par de la fatigue, des céphalées, de l’anosmie et une agueusie, une gêne respiratoire. Un TEP-scan, un examen d’imagerie fonctionnelle qui mesure la consommation de glucose au niveau cérébral, a montré un hypométabolisme modéré au niveau du tronc cérébral, de l’hippocampe, du cervelet et du bulbe olfactif.

Pour cette étudiante de 21 ans, en troisième année de psychomotricité, « la fatigue est moins présente, mais elle reste soutenue ». Salomé a toutefois poursuivi ses cours. L’agueusie persiste, même si l’olfaction est un peu revenue. Cet été, après un mois de juin consacré à ses examens, elle a parfois dormi jusqu’à quinze heures d’affilée. Si la kiné respiratoire l’a beaucoup aidée – elle a repris la course à pied –, elle ressent toujours cette « oppression thoracique » et se sent essoufflée en montant trois étages.

Majoritairement des femmes
Combien de personnes infectées sont-elles dans le même cas ? Difficile de connaître la prévalence exacte du Covid long. « Pour y répondre, il faudrait des études de grande ampleur faites parmi les personnes symptomatiques et asymptomatiques en population générale, indique Dominique Salmon-Ceron. Des études montrent qu’environ 25 % à 30 % des patients gardent encore des symptômes un à deux mois après le diagnostic initial et 10 % à 15 % après six à huit mois. »

Cependant, il y a une hétérogénéité des données dans la littérature scientifique, selon les populations de patients, hospitalisés ou non, le mode de recueil des informations, la méthodologie. Il semble concerner majoritairement des femmes, des personnes sans facteurs de risque de forme grave, mais qui ont fait beaucoup de symptômes lors de l’épisode initial, des sujets plus jeunes (en moyenne 46 ans) que ceux à risque de développer un Covid-19 sévère. Sa définition ne fait pas encore aujourd’hui consensus.

L’expression Covid long apparaît d’abord sur les réseaux sociaux, à travers les témoignages de patients, dans les premiers mois de 2020. Il sera repris plus tard par les revues scientifiques. En France, en avril 2020, une psychologue anonyme, identifiée sur Twitter comme @lapsyrévoltée, crée le hashtag #aprèsJ20. L’initiative se traduira par la création d’une association de patients en novembre de la même année. D’autres, comme Tous Partenaires Covid, suivront. Le terme de long haulers (« long-courriers ») est aussi utilisé aux Etats-Unis. Certains préfèrent l’expression « syndrome prolongé ».

Reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Covid long a été défini en France en février par la Haute Autorité de santé (HAS) par trois critères : « Les patients ont présenté une forme symptomatique de Covid-19, ils présentent un ou plusieurs symptômes initiaux quatre semaines après le début de la maladie et aucun de ces symptômes ne peut être expliqué par un autre diagnostic. » Ce dernier point est fondamental et il importe d’explorer toutes les pistes afin d’écarter d’autres maladies, préviennent les médecins.

Des symptômes divers et fluctuants
Ces symptômes sont également à distinguer des complications des patients après une hospitalisation ou des séquelles consécutives à un séjour prolongé en réanimation. « Le syndrome post-réanimation peut inclure des troubles psychiques, cognitifs et physiques (neuromyopathie, atteinte respiratoire, enraidissement articulaire, entre autres), indique un article de la revue de médecine interne. Ces séquelles ont un important retentissement sur la qualité de vie et l’autonomie des patients, ainsi que sur leur consommation de soin et sur la mortalité. » Un trouble de stress post-traumatique peut aussi être observé.

« Une corrélation entre la sévérité initiale de la maladie et la persistance à long terme de symptômes semble également se dessiner », indique une étude parue en mai dans le journal Clinical Microbiology and Infection et menée par les investigateurs de la cohorte French Covid-19 (Inserm, AP-HP), qui suivent des patients hospitalisés. Les chercheurs observent aussi des différences de genre : « Si les hommes sont plus à risque de faire des formes graves, les femmes semblent plus à risque de souffrir de symptômes persistants dans la durée. »

Les symptômes du Covid long sont très divers et fluctuants. Ainsi Sabine (le prénom a été changé), reçue en consultation à l’Hôtel-Dieu ce lundi 6 septembre : cette femme de 49 ans a eu un Covid-19 sévère en mars 2020, sans être hospitalisée. « Je n’ai quasiment pas pu manger ni dormir pendant une semaine, avec une perte de poids et un épuisement intense, de très forts maux de tête, de fortes douleurs névralgiques, musculaires, une alopécie et une pneumopathie confirmée au scanner fin mars 2020. »

Le diagnostic est posé avec une sérologie en juin. Depuis, cette mère de trois enfants n’a pas suffisamment récupéré. Environ dix mois après l’infection, « une partie des symptômes a pourtant disparu, mais restent principalement la tachycardie et l’essoufflement à l’effort toujours très présents, ainsi qu’une grande fatigabilité », décrit Sabine, qui a toutefois repris son travail de gérante d’une société. Ces problèmes cardio-respiratoires persistants la gênent pour marcher. « C’est comme si j’étais en batterie faible. La fatigue empêche de faire ce dont on a envie, ce qui génère de la dépression. »

Au total, plus d’une centaine de symptômes ont été répertoriés. « Beaucoup d’entre eux ne sont pas spécifiques (comme la fatigue, les céphalées, l’essoufflement…) et sont fréquents dans la population générale », précise Jean Sibilia, professeur d’immuno-rhumatologie au CHU de Strasbourg et doyen de la faculté de médecine de Strasbourg. La prise en charge passe par des traitements symptomatiques, de la rééducation respiratoire, olfactive… et de la réhabilitation par le sport pour certains patients.

Le brouillard cérébral
Présidente de l’association #aprèsJ20, Pauline Oustric, qui souffre de Covid long depuis son infection par le virus en mars 2020, va mieux, mais elle « n’a pas retrouvé la vie “normale” d’une personne de 28 ans ». « Les controverses sur la définition officielle des symptômes reflètent un manque de connaissance de la physiopathologie de cette phase de la maladie et la crainte, pour les autorités de santé, de devoir prendre en charge des milliers de patients », souligne un article paru dans la revue Soins en juillet, qu’elle cosigne avec Faustine Hélie et Mylène Rahel Damamme, cofondatrices de #aprèsJ20, mais aussi Dominique Salmon-Ceron et Catherine Tourette-Turgis, directrice de l’Université des patients, un cursus qui diplôme des patients experts.

Pour le professeur Eric Guedj, chef du service de médecine nucléaire de l’hôpital de la Timone (Marseille), « la caractéristique du Covid long, c’est la variété et le nombre de symptômes ». Il s’est penché sur ce qu’on appelle le brouillard cérébral. « On retrouve souvent des insomnies, des troubles de l’attention ou de la mémoire, qui évoquent une implication au niveau du cerveau. » Si les scanners ou IRM cérébraux sont souvent normaux, le TEP-scan révèle souvent des anomalies.

L’équipe du Pr Guedj a comparé trente-cinq patients atteints de Covid long à quarante-quatre patients sains. Publiés dans European Journal of Nuclear Medicine and Molecular Imaging, « les résultats mettent en évidence un hypométabolisme en relation avec une diminution de l’activité cérébrale dans le bulbe olfactif et dans des régions importantes du système nerveux central impliquées dans la mémoire, la régulation des émotions, le tronc cérébral qui contrôle les fonctionnements autonomes du corps, comme la respiration ou la fréquence cardiaque, cet ensemble décrivant le réseau de la madeleine de Proust, qui relie l’olfaction à l’émotion et à la mémoire. Enfin le cervelet, qui joue un rôle dans la motricité et l’équilibre », explique le Pr Guedj.

Le temps de récupération varie beaucoup en fonction des patients, sans que l’on connaisse les facteurs associés à un bon pronostic. Ainsi, 80 % des personnes ayant consulté à l’hôpital pour des symptômes persistants du Covid-19 se sont améliorées en un an, selon l’étude Periscor, lancée en mai 2020 par Dominique Salmon-Ceron : 40 % d’entre elles déclarent aller beaucoup mieux ; 34 % un peu mieux ; seules 5 % se disent complètement guéries, tandis que 20 % ne sont pas encore bien un an après. Parmi cette cohorte, qui est constituée à 80 % de femmes, de 46 ans d’âge médian, seuls 9 % ont été hospitalisés, sans être allés en réanimation.

Des moyens insuffisants
Ainsi de Joséphine (le prénom a été changé), qui va mieux. Cette pédiatre de 62 ans a eu un Covid-19 en mars 2020. Elle est alors « très mal », très fatiguée, avec beaucoup de fièvre. Puis son état s’améliore, mais Joséphine a des rechutes presque toutes les trois semaines, avec des épisodes de fatigue, toux, courbatures et douleurs thoraciques, et une fois avec de l’anosmie et de l’agueusie, en avril.

Depuis le début de l’été 2021, elle va mieux. Reçue en consultation début septembre, elle dit même avoir failli annuler le rendez-vous, car « [elle a] parfois l’impression qu’entre les poussées c’est terminé, et les vacances [l]’ont reposée ». Des signes persistent toutefois, comme la toux. Elle a certes repris son travail de pédiatre à plein temps, mais a un peu diminué ses horaires. Si elle est sportive (elle fait de la randonnée et de la natation), elle se dit toutefois moins endurante qu’avant, avec plus de mal à marcher.

« Un fort pourcentage s’améliore progressivement dans les six à douze mois, comme c’est d’ailleurs le cas dans la mononucléose, la tuberculose… », explique Jean Sibilia. Pourtant, les demandes de consultation ne faiblissent pas. « La consultation de l’Hôtel-Dieu a été ouverte en mai, on ne pensait pas revoir encore les même patients un an et demi après », concède Dominique Salmon-Ceron. En une année, la praticienne et ses collègues ont reçu entre 300 et 400 patients pour des Covid longs.

Face aux multiples demandes, une plate-forme multidisciplinaire, appelée Casper, faite pour accueillir les nouveaux patients, a été mise en place en juillet à l’Hôtel-Dieu, en lien avec les infectiologues et internistes du GHU (Cochin, hôpital européen Georges-Pompidou, Hôtel-Dieu, Necker), avec les psychiatres et les médecins du sport, sous l’égide de l’AP-HP. Cette consultation, qui a lieu une fois par semaine, permet au patient d’être reçu par un médecin, un psychologue, un rééducateur et une infirmière. « Nous aimerions pouvoir la proposer trois ou quatre fois par semaine, ce qui nécessite plus de moyens, aujourd’hui insuffisants », souligne Dominique Salmon-Ceron.

De nombreux centres se sont mis en place en France pour prendre en charge ces patients, mais l’offre reste très disparate sur le territoire. Reconnaissant des avancées, Pauline Oustric estime qu’il est « urgent d’y associer les patients experts, qu’on semble avoir oubliés pour le Covid long ». Son association demande la reconnaissance de cette maladie en affection de longue durée.

Les effets à long terme d’infections par d’autres coronavirus, notamment le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), apparu en 2003, ou le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), ont déjà été décrits. D’après une étude citée par l’OMS, 40 % des personnes guéries du SRAS qui avaient été hospitalisées souffraient toujours de symptômes de fatigue chronique trois ans et demi après le diagnostic.

Ces symptômes sont aussi décrits après différentes infections virales (notamment les infections à virus d’Epstein-Barr ou la mononucléose), mais aussi bactériennes, comme la tuberculose, la brucellose ou la maladie de Lyme, rappelle Jean Sibilia. « Pour les décrire, on utilisait le terme de “patraquerie” post-infectieuse. »

Passage vers des régions du cerveau
Certains évoquent des similitudes avec d’autres maladies complexes, comme le syndrome de fatigue chronique ou la fibromyalgie. Lors d’une journée organisée par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales-maladies infectieuses émergentes (ANRS), Brigitte Ranque, interniste à l’hôpital européen Georges-Pompidou, a rapproché le Covid long des troubles somatiques fonctionnels, qui sont « des symptômes durables, invalidants, répétés, qui ont un retentissement majeur sur la vie privée, sociale et professionnelle, et sans anomalies organiques ». Il n’est pas simple non plus pour un médecin de les différencier de la dépression.

On ne connaît pas le mécanisme physiopathologique. L’une des pistes est que « le SARS-CoV-2 pourrait persister sous forme complète ou sous forme d’ARN et-ou de protéines dans différents tissus, dont le tissu nerveux. Ce point majeur devra être étudié », pointe Jean Sibilia. « On pense qu’il peut y avoir un passage du virus, ou de l’inflammation, du nez et des bulbes olfactifs vers des régions plus profondes du cerveau, ce qui entraînerait une désorganisation de ces circuits », explique Eric Guedj.

Mais attention, prévient le professeur Sibilia, « tout état de stress chronique peut entraîner un remaniement fonctionnel cérébral. Des études sont en cours. L’une des questions majeures, pour l’avenir, est de savoir si le neurotropisme de ce virus peut favoriser l’émergence de maladies neurologiques chroniques, en particulier une neurodégénérescence ».

A l’instar d’autres modèles d’infection virale, « l’atteinte cérébrale pourrait toucher les circuits émotionnels et induire des troubles d’apparence psychiatrique, mais de cause inflammatoire », écrivent Eric Guedj et ses collègues psychiatres, dont Guillaume Fond (AP-HM), dans un éditorial publié, fin août, dans la revue L’Encéphale. Certains évoquent aussi une réponse immunitaire inappropriée, avec des mécanismes immunologiques pro-inflammatoires qui favoriseraient ces syndromes post-Covid-19 chroniques, indique une note de synthèse de Jean Sibilia.

« Il est probable que certains sujets ne se débarrassent pas facilement du virus car ils ont un terrain immunologique et-ou génétique particulier, qui fait qu’ils ne reconnaissent pas bien la protéine Spike [qui entoure le virus], explique Dominique Salmon-Ceron. D’autres ont possiblement une réponse inadaptée de type inflammatoire et nous avons remarqué, chez nos patients, un grand nombre de personnes ayant un terrain atopique ou allergique. » Elle mène une étude immunologique en ce sens avec l’Institut Pasteur.

Les questions restent nombreuses. Pourquoi, par exemple, certaines personnes ayant un Covid long ne produisent-elles pas d’anticorps contre le virus ? Il n’existe toujours pas non plus de signature biochimique de la maladie. « La recherche est donc nécessaire pour comprendre l’ampleur, les mécanismes, et explorer les conséquences sociales, le Covid long ayant un énorme impact sur la vie des gens », rappelle Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS.

Mais le budget alloué par la recherche en France reste très faible, au regard du 1,2 milliard de dollars des NIH, les instituts de santé américains. L’OMS a annoncé en août un projet visant à rassembler des données afin de mieux cerner les caractéristiques des cas de Covid long. Pour Pauline Oustric, « le plus important est de trouver la cause de ces symptômes, afin de sortir de l’ambiguïté entre une (ou des) cause(s) organique(s) et une cause psychosomatique, et de mettre au point des thérapeutiques adaptées ».